De la chair à l'esprit... (Grace)

Il était vrai que la belle n'en démordait pas quand elle pensait que son interlocuteur se trompait sur un point et n'hésitait absolument pas à exprimer très clairement son point de vue en toute sincérité afin de corriger d'éventuelles erreurs. Au moins, ceux qui appréciaient la franchise étaient servis... En ce moment, c'était le jeune homme qui en faisait les frais.

"Oh, mais nous sommes sur un pied d'égalité, mais notre relation est uniquement professionnelle et platonique. C'est aussi simple que cela, monsieur, et je ne vois pas en quoi cela vous dérange. Je vous considère comme mon égale : pas plus, pas moins. Je tiens à vous rassurer sur ce point : vous n'avez pas à vous inquiéter. Ici, nous sommes tous égaux. Je suis certes la maîtresse des lieux, mais nous traitons tout le monde de la même façon."

La réponse à la question de la jeune femme ne sembla franchement pas la satisfaire : elle avait le sentiment qu'il cherchait à la fuir et à éviter d'y répondre, ce qui lui déplaisait énormément. Elle voulait une véritable réponse et pas quelque chose comme "peut-être, peut-être pas, tu ne le sauras pas". Elle préférait la vérité, aussi terrible fut-elle, que ce genre de réponse qui ne répondait finalement à rien du tout.

Elle soupira et, après un moment d'hésitation, finit par dire avec lassitude :

"Je préfère encore les hommes qui ne savent pas se retenir et regardent franchement mon décolleté ou y glissent même la main pour pétrir avec envie plutôt que ceux qui refusent de me révéler la vérité. Si je suis réellement votre égale, comme vous le prétendez, pourquoi n'ai-je pas le droit à la plus stricte vérité ? Je vous l'ai dit, je veux que vous vous exprimiez librement quand vous êtes ici."

En fait de plaisirs, si je fais le bilan entre les interdits et les recadrages, je me demande ce qu'il va me rester ! Reprenons depuis le début ; je suis assis sur un divan avec une succube, elle m'a pris la main, elle m'a offert la vision dans son décolleté, elle m'a fait un doux massage, mais pas touche ! Finalement, j'ai connu plus simple comme maison des plaisirs ; on paie la patronne, et on monte avec une fille de joie, qui ne va pas vous parler de poésie ou autre. Mais celle qui lui fait face n'est dans aucune de ces dispositions, et tant son insistance que ses doutes commencent à être agaçants.

« Oui, je ne peux pas dire que, lorsque vous vous êtes penchée vers moi, je n'ai pas regardé votre poitrine ; c'était un regard strictement charnel, car j'étais troublé je l'avoue. Et après ? Est-ce que ça me donne le droit d'y poser les mains, d'être si familier alors que nous ne nous connaissons pas ! »

Je réalise que j'ai lâché ces mots avec un ton vif, mais je ne parviens pas à me raisonner :

« Oui, je trouve vos yeux superbes et ils me fascinent, je trouve votre sourire enjôleur et il me captive, je trouve vos mots suaves et ils m'ensorcellent. Et alors ? Vous m'avez vous-même dit que, en tant que succube, il était quelque part dans vos gênes d'engendrer de telles réactions, même si vous avez fait le vœu de partager d'autres plaisirs non charnels. »

Moi qui aime tant jouer sur les mots, moi qui aime en caresser et en être caressé, je pensais trouver ici un havre de paix où me reposer loin des combats qui émaillèrent mes vies passées, en compagnie d'une femme absolument hors de tout ce que j'aurais imaginé de plus merveilleux. Comme un rêve éveillé... Mais, là, j'ai le sentiment que j'aurais plus de facilité à triompher seul face à mille soudards, qu'à m'envoler avec elle dans les plus hauts plaisirs, fut-ce ceux de l'esprit.

La succube rougit quand il avoua avoir posé un regard charnel sur sa poitrine, mais elle préféra mettre ce point de côté. Elle ne pouvait pas lui reprocher une chose que tous les hommes faisaient constamment, d'autant plus qu'il avait finalement la franchise de le reconnaître. Dans ces circonstances, elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait lui dire...

Voyant que le jeune homme était visiblement énervé et se sentant responsable de son état, elle préféra donc se concentrer sur la seconde partie et répondit en souriant légèrement, comme pour le rassurer, afin de lui expliquer pourquoi elle était ainsi :

"Cela ne vous donne peut-être pas le droit d'y poser les mains, mais bien des hommes ne se gênent aucunement pour le faire et je dois malheureusement dire que je pense qu'ils sont pour la plupart semblables sur ce point : incapables de résister à la tentation quand elle est sous leurs yeux et toujours prompts à accuser les femmes d'être responsables de leur faiblesse. Bien sûr, je ne dis pas que vous êtes comme eux, mais j'ai tendance à me méfier et je pense que vous comprenez parfaitement mes raisons, monsieur..."

Elle se fendit d'un plus grand sourire, puis poursuivit d'une voix calme et douce :

"Et oui, je reconnais que ma nature provoque involontairement de telles réactions et j'en suis sincèrement désolée. Je vois en tout cas que vous êtes un homme franc et honnête, ce que j'apprécie chez vous. Néanmoins, je pense que vous devriez trouver le moyen de vous libérer de vos envies et de vous calmer. Vous seriez bien plus serein, croyez-moi..."

Après lui avoir prodigué ce qu'elle pensait être un sage conseil (sans vraiment savoir si ça l'était, au fond), elle s'approcha de lui et, tout en le regardant fixement dans les yeux et en continuant à sourire, dit enfin :

"Je suis pour la liberté d'expression. Si cela peut vous aider à vous libérer de tous vos désirs charnels, exprimez-les oralement. Dites-moi tout ! Convertissez toutes ces vilaines pulsions en mots savamment choisis et créez une œuvre ! L'art n'est-il pas l'art de faire quelque chose de magnifique à partir de choses bien plus grossières ?"

Une succube, c’est la tentation la plus forte à l’état le plus natif ; il n’y a aucun doute là-dessus. Une succube, c’est une savante alchimie entre la tentation « fatale » et le plaisir charnel. Il semble donc que je suis face à une succube qui a sacrifié l’un pour l‘autre !

« Vous n’êtes pas responsable des pulsions incontrôlées des hommes, et je regrette même que certains vous assimilent d’abord à une silhouette, avant peut-être même de ne jamais remarquer que ce corps est associé à un esprit, et que c’est cet ensemble qui fait « vous ». Pourtant, si vous avez été aussi explicite avec eux qu’avec moi, le message est clair ! »

La rassurer, c’est la première chose à faire, même si je ne puis taire que je suis homme avant tout, que son décolleté est une invitation à des caresses, que sa tunique offre un avant-goût de très jolies jambes dans cette position assise. « Le moyen de vous libérer de vos envies » a-t-elle dit. Si seulement elle connaissait mes plus profondes envies à cet instant… « Dites-moi tout » souhaite-t-elle. Mais réalise-t-elle vraiment la portée de ce qu’elle me demande ?

« Madame, si votre maison de tolérance a attiré mon regard, si vos yeux et votre voix m’ont convaincu d’entrer, je ne puis dire que ce furent les seuls arguments. J’avoue avoir regardé vos seins comme emprisonnés dans ce décolleté, et en avoir admiré les rondeurs absolument délicieuses. Je suis même allé à en imaginé la nudité, la finesse de votre grain de peau, le dessin délicat et un peu tranché des aréoles et ces deux tétons qui doivent être redoutablement tentateurs lorsque le plaisir les fait s’ériger. »

Ca y est, j’ai osé ; elle l’a voulu, je ne vais pas m’arrêter !

«  Tout comme je ne puis nier que votre tunique, sans la moindre ostentation même, sait mettre en valeur vos jambes ; oh, je n’ai pas prétendu la faire remonter pour aller vers quelque trésor enfoui, mais je trouve que l’apparente douceur de cette étoffe se marie à merveille avec le fin galbe de vos jambes. »

Si le jeune homme avait tenté de la rassurer en lui rappelant qu'elle était le savant mélange d'un corps et d'un esprit, c'était plutôt réussi. Elle sourit en rougissant quelque peu et soupira, soulagée d'être vue d'une façon aussi valorisante. C'était toujours agréable et bon pour l'orgueil d'être complimentée et de comprendre que certains la voyaient à sa juste valeur. Les hommes avaient rarement été aussi courtois et aimables avec elle, à quelques exceptions près (et heureusement). Beaucoup la voyaient encore comme ce qu'elle n'était plus.

Malheureusement, si elle avait été satisfaite par les compliments, cela ne dura pas quand l'homme fit preuve d'une grande franchise dans un autre domaine : celui du désir physique. Sa réaction fut nettement moins positive. En fait, elle était plutôt mitigée...

Elle fut naturellement troublée par les mots du jeune homme. Il fallait avouer qu'ils étaient à la fois excitants et effrayants. En effet, les hommes avaient rarement fait preuve d'autant de franchise, y compris dans ce domaine-là et, si Grace essayait de maîtriser ses instincts naturels grâce à une discipline exceptionnelle, les propos de son interlocuteur avaient réussi à réveiller une partie de ses mauvais penchants. Inconsciemment, elle employa même sa capacité surnaturelle de tentation sur l'homme, stimulant ses pulsions et excitant ses désirs afin de lui faire abandonner toute inhibition et de le faire succomber à la tentation. Il allait devenir très difficile de résister à l'incarnation de la séduction qu'elle était devenue...

La succube avait les joues rouges et haletait, mais rien ne permettait de déterminer si cette réaction physique était provoquée par l'excitation ou par la peur. Il y avait probablement des deux. Dans tous les cas, la curiosité l'emporta sur le reste et elle balbutia en se mordillant la lèvre inférieure :

"Con... Continuez ! Je vous en... Je vous en prie... Poursuivez, voulez-vous !"

L'homme devait vraiment tout exprimer afin d'être libéré, pensait-elle. En outre, elle désirait vraiment connaître la suite, au moins par curiosité...

Le compliment semble avoir fait son effet, vu comme les joues de la maîtresse de maison rosissent, presque à en prendre un rouge délicat. Il est désormais si rare qu'une femme apprécie un compliment « objectif » et « courtois que Archangel en est même un peu surpris. Cette femme a de l'éducation, du savoir-vivre, de la culture. Juste un instant, il songe que « quand elle est dans un lit, elle fait comme les autres, elle écarte les cuisses ». Mais là n'est pas le sujet ; il ne sait à qui il a vraiment affaire, si ce n'est à une femme aux pouvoirs sensoriels a priori très développés ; autant éviter qu'elle ne puisse lire dans ses pensées.
Déjà qu'elle réagit au moindre mot, et que chaque syllabe modifie l'expression de son visage, selon qu'elle y ressent plaisir ou peine. Il songe que, jamais, ou alors très rarement, il a pris le temps de se poser auprès d'une femme, de mêle guetter la moindre réaction, et surtout d'en prendre grand soin. Combien de femelles n'a-t-il croisées, qui n'étaient que des exutoires, qu'il laissait ou égorgeait une fois son petit besoin satisfait ? Mais là, pas question de se précipiter... même s'il sent soudain une folle chaleur s'emparer de lui. C'est comme si la sage qui lui fait face lui murmurait « Prenons le temps de nous connaître, cher ami », tandis que la succube l'appelle sans détour « Allez, assez de simagrées, viens me baiser ! ».
La belle hôtesse porte une tunique délicate et raffinée, la succube est vautrée nue sur le divan les cuisses écartées. Le visage de l'une est doux, le visage de l'autre est un appel à la prendre sauvagement, sur le champ, sans se soucier ni des protestations de la prude, ni de ceux qui discutent plus loin. Il sent ses mains moites et des vibrations parcourent son corps en lui injectant de violentes décharges, il croise ses jambes pour tenter de dissimuler l'érection qui se manifeste de plus en plus mais le râpement du tissu lui fait vite reprendre la pose initiale.

« Con... Continuez ! Je vous en... Je vous en prie... Poursuivez, voulez-vous ! »

Continuer ? Est-ce la succube qui lui dit de ne plus dissimuler cette érection incontrôlable ? Est-ce la prude qui lui donne une dernière chance de reprendre pied dans une réalité posée et sans ambiguïté ? Il sent sa t^te qui tente de le maintenir en arrière comme pour le lier au divan ; mais son bas-ventre est en proie à une chaleur incontrôlable. Il n'a jamais ressenti cela, ce n'est pas de l'amour mais du désir charnel pur. Elle l'excite, oui c'est ça ; elle n'est plus maîtresse de maison qui reçoit un hôte avec éducation, elle est femelle offerte et n'attendant que le mâle. Le fil qui retient son ultime courtoisie est tendu à l'extrême ; il est si ténu désormais que, à tout moment, il peut rompre et que, toute distinguée que soit cette femme, cela le précipiterait sur elle pour la trousser comme la plus outrancière des catins...