Il était enfermé ici depuis si longtemps, depuis tant de temps, tant d’années... L’ennui avait renforcé son agressivité, et, depuis des millénaires, il cherchait à sortir de là, de cette cage infâme dans laquelle ce maudit Belzébuth l’avait enfermé il y a des millénaires, à cette époque glorieuse où toutes les Légions infernales étaient unifiées sous l’autorité du Palingène. Sarek avait fait partie des démons ayant cherché à renverser son autorité, mais il n’avait pas eu de chance. Sarek assurait alors les fonctions de Juge des Enfers, ayant pour rôle de déterminer à quelle cercle envoyer les âmes damnées qui étaient passées du Purgatoire aux Enfers. Ceci expliquait pourquoi Sarek pouvait contrôler les âmes, et les retenir. Pendant des millénaires, il avait erré, jusqu’à trouver cette faille, une faille que l’Ordre et ces humains renégats n’avaient pas trouvé. Il l’avait travaillé, et des phénomènes surnaturels avaient fini par amener l’Ordre... Exactement comme il le voulait.
Son plan, concrètement, avait commencé par un vulgaire ermite qui se promenait dans la région. Sarek l’avait appelé, en lui faisant miroiter quantité de richesses. Si lui ne pouvait pas sortir de sa prison, l’ermite, lui, pouvait y rentrer. Il était entré dans son antre, et Sarek avait pris possession de son âme. Malheureusement, tout n’avait pas très bien fonctionné, et il avait fallu attendre des siècles pour que son morceau d’âme se manifeste, à travers les gènes, dans le corps d’une petite fille. Parallèlement, son esprit avait continué à influer dans la région. On avait fini par repérer quelque chose à cause de ces maudits monstres qui vivaient autour, les manticores. Les manticores étaient attirées par les énergies maléfiques, et avaient gravité autour de la faille, ce qui avait amené l’Ordre. On avait bâti ce temple, et il avait su s’adapter. Les moines pensaient à un simple phénomène naturel magique, ignorant que, sous les profondeurs du palais, sommeillait un puissant démon. Et ce démon avait tiré à profit la venue de l’Ordre, à travers la petite fille. Elle était venue au monde avec une partie de lui, donnant lieu à une bataille entre sa conscience, et la sienne. Ses crises magiques avaient amené les religieux de l’Ordre à l’héberger dans leur temple, renforçant la puissance de Sarek en ces lieux. Il avait lentement corrompu ce temple, insidieusement, tranquillement... Un travail de longue haleine, où il avait avancé à pas de fourmis, mais Sarek avait appris la patience.
Il avait utilisé les manticores pour progressivement isoler les moines, la petite fille lui servant de catalyseur, alors que, dans ses rêves, sa conscience d’humaine s’écroulait lentement. Tout son travail reposait sur elle, car elle constituait sa manifestation physique ici. Tranquillement, il avait réussi à la conduire auprès de lui, corrompant les moines de cet endroit. Il pouvait lire dans leurs rêves, dans leurs désirs, et les influer. Lui doutait de sa foi ? Il lui montrait que l’Ordre n’était qu’un regroupement de corrompus, et que Dieu se moquait d’eux. Un autre voulait être ambitieux ? Il lui montrait qu’il pouvait, en exorcisant cette fille, devenir un puissant évêque, un prélat qui siégerait au Conseil épiscopal de l’Ordre. Les religieux s’étaient battus entre eux, quand il était devenu évident qu’on les possédait. Dehors, la tempête de neige faisait rage, les manticores empêchant les moines de sortir. Ils s’étaient entretués, leur haine les consumant, chaque camp accusant l’autre d’être tombé entre les mains du démon. Les survivants s’étaient élancés à la recherche de la petite fille. Un seul avait réussi à la rejoindre, près de la faille. Comme ses invités, il était passé par la caverne aux cristaux, à moitié mort, et s’était avancé vers la fille, en sang. Il avait tenté de la convaincre, de lui dire de suivre les voies du Seigneur... Mais, ici, Dieu n’écoutait pas. Elle lui avait crevé les yeux, avant de balancer son cadavre dans un cratère.
Sarek aurait alors pu ressusciter, mais, malheureusement, d’autres moines avaient survécu. Et, plutôt que d’affronter le démon, ils réussirent à sortir, et scellèrent à jamais le temple, se rendant dans l’église pour prier, tous ensemble. Et la magie sacrée avait parlé, bloquant Sarek dans ce temple. Si proche de la libération, sa haine avait gonflé, terrifiante, inhumaine, et il avait fait souffrir ses âmes, toutes ses âmes tombées. Ils avaient réussi à cause du moine borgne, celui qui s’était sacrifié pour retarder son attention. Si Sarek n’avait pas veillé, n’avait pas repoussé sa persuasion, son catalyseur aurait lutté contre son emprise.
Les survivants s’étaient regroupés à l’église au-dessus du temple. Les manticores ne les attaquaient pas, car leur église avait été le réceptacle d’un sort de magie sacré, et elles en avaient peur. Leurs descendants étaient restés là pour surveiller l’accès au temple, afin de veiller à ce que plus personne ne cherche à l’ouvrir. Ils continuaient à envoyer des rapports à l’Ordre, ne voulant pas dire la vérité sur ce qui se terrait dans le temple. L’Ordre enverrait des Inquisiteurs, il y aurait une enquête, et l’Ordre apprendrait que les moines avaient failli, et avaient peur d’un démon.
Sarek ignorait ce qui avait poussé ces gens à venir, mais, du fond de sa prison, il les avait sentis attaquer les moines. Il les avait sentis se combattre entre eux, et avait lâché sur eux les manticores, afin de les attirer près de ce temple. Il avait surtout besoin de la fille. Les Skavens, eux, étaient une erreur, n’ayant survécu que parce qu’ils étaient de sales rats habitués à survivre, des cloportes sans importance. Ce cristal magique était relié à l’âme de cette femme, ce qui revenait à dire qu’il devrait dévorer cette âme... Ce qui ne le dérangeait pas particulièrement. Avec ce cristal, il pourrait enfin sortir de sa prison. Et il jubilait à cette idée. Libre ! Il serait libre, oui ! Libre ! Et ils connaîtraient le courroux de Sarek, le Juge-Nécromant, le Démon Banni ! Ils connaîtraient l’étendue de sa haine, l’immensité de sa rage, de cette fureur qu’il accumulait depuis des millénaires.
Cependant, il ne devait pas sous-estimer cette femme. Elle était résistante, et son cristal magique était chargé. Les Skavens... Ils sentaient le trouble en eux, le vice. Le vice, il la sentait aussi en elle, mais elle serait moins facile à corrompre qu’eux. Comment dire ? Il ressentait comme une espèce d’aura magique sur elle, une aura qui appartenait à quelqu‘un d’autre, un magicien qui lui rappelait l’Aballah... Et il ne tenait pas à se heurter à l’Œil Rouge.
Il envoya donc des appels télépathiques aux deux Skavens.
D’abord, au mâle.
*[MT] Toute ta meute a été massacrée, parce qu’ils étaient faibles... Pas comme toi. Toi, Kraks, tu es puissant, vigoureux. Mais penses-tu pouvoir rivaliser contre moi ? Même tes plus puissants guerriers n’pont rien pu faire, et, toi, tu n’as survécu que parce que tu courais plus vite. Mais je sais me montrer magnanime et généreux, Kraks. Je suis un grand seigneur, et je ne demande que le cristal. Tu peux conserver la vie de cette femme, et la baiser, si tu le veux. Elle te donnera des enfants puissants, et, des ruines de ta meute, une nouvelle meute, plus forte, naîtra, valeureuse. Elle n’a beau être qu’une humaine, elle est fière et brave. Ankary, elle, est perfide et sournoise. Ne vois-tu pas qu’elle ne cherche qu’à te trahir ? Joins-toi à moi, Kraks, offre-moi ce cristal, et je t’épargnerai, et je t’offrirai de quoi reconstruire ta horde. [/MT]*
Et, tandis qu’il parlait, des images se matérialisaient dans l’esprit de Kraks, montrant une meute comprenant des centaines de puissants Skavens, dévastant des villages, violant de belles femmes dans des maisons en feu, ravageant des forts. Les Skavens rugissaient joyeusement, et Kraks avait avec lui quantité d’esclaves serviles, terrorisées par lui, qui pleuraient quand il les violait.
Ensuite, la femme.
*[MT] Il ne t’aime pas, il te voit comme une esclave... Mais c’est ce que tu es, Ankary. Il préfère cette femme à toi, il a laissé mourir ses camarades, et te laisserait volontiers mourir, parce que c’est avec elle qu’il veut enfanter. Mais, à défaut, il se reportera sur toi. Pourquoi ne pas le tuer ? Les tuer ? Je t’offrirais ce que tu veux, Ankary : le pouvoir, la liberté, la puissance. Tu fonderas ta propre meute, ou tu seras une guerrière terrifiante. Plus jamais tu n’auras à ouvrir tes cuisses pour lui. C’est ta chance, toute sa meute est décimée, plus personne ne le protègera. Tue-le ! Tue cette salope ! Apporte-moi son cristal, et je te récompenserais, je te ferais sortir d’ici, et je t’offrirais le pouvoir. Tue ! [/MT]*
Comme pour Kraks, des images défilèrent dans l’esprit d’Anakary, en concordance avec ce qu’elle souhaitait. Il ignorait si ça marcherait. Ces Skavens étaient tellement simplets...
Le tunnel fut assez rapide à travers. Le cristal magique de Shaina brûlait contre elle. Il n’avait jamais été aussi puissant que c’en était grisant. Le trio s’avança, et Shaina repéra une silhouette féminine devant eux, ainsi qu’un énorme cratère central, abritant la faille. Une distorsion magique formant une ouverture rougeâtre lumineuse. La fille avait de longs cheveux noirs sales et crasseux, une jupe rapiécée et massacrée, et releva lentement la tête en les voyant, ses yeux rouges se mettant à brûler. Elle tendit sa main vers Shaina.
« Vous voilà enfin », glissa-t-elle, d’une petite voix sinistre.
Autour d’eux, toutes les ombres apparaissaient. Toutes les âmes que le démon avait obtenu, qui restaient dans les coins, formant de silencieux vents.
« Je ne veux qu’une chose : le cristal. Vous ne pouvez pas vous enfuir. Résistez, et vous mourrez. Remettez-moi le cristal, et je vous laisserais vivre. »
Comme pour justifier ses propos, une ouverture s’ouvrit dans un coin, permettant de voir les étoiles dans le ciel. La fille referma le poing, et l’ouverture disparut.
« Jadis, les moines avaient réussi à sceller ce temple en se sacrifiant collectivement. La magie sacrée est la seule qui marche contre les démons primordiaux comme moi. Vous n’êtes que des insectes ridicules contre moi. Acceptez mon offre... Ou disparaissez. »