Les menaces de la Skaven l’indiffèrent totalement. Shaina avait, pour l’heure, des problèmes autrement plus importants à résoudre, que se battre avec elle. Elle avait été à nouveau blessée, et avait réveillé une malédiction. Elle aurait pu avoir de la honte, ou avoir envie de fuir, mais elle était contente. Pour qu’il y ait malédiction, et surtout aussi puissante, il fallait un puissant pouvoir magique. C’était assurément le cristal que Père recherchait qui alimentait la malédiction. D’une manière ou d’une autre, ce temple était lié à ce monastère. Un endroit aussi ancien, aussi grand et aussi désolé, aurait du abriter quantité de créatures des montagnes : putréfacteurs, goules, graveirs... Il n’y avait rien de tout ça. Le donjon était un véritable tombeau, que les animaux évitaient craintivement. La seule explication possible était que cet endroit était damné, maudit, et que les animaux l’évitaient, de peur de réveiller le monstre sommeillant à l’intérieur.
Un monstre que Shaina et les Skavens avaient visiblement réveillé. Ils étaient tous piégés dans ce fort, entre, d’un côté, un fantôme infernal, et, de l’autre, des manticores. Ils auraient pu s’entraider, suivre ce vieil adage, selon lequel l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Mais c’était impossible. Shaina n’avait qu’une envie : tous les tuer. Elle ne reculerait devant rien pour accomplir cet objectif, et, pour l’heure, elle avançait. La blessure de la Skaven n’était pas très profonde, et sa nanocombinaison cicatrisait déjà la plaie. C’était vraiment une technologie de pointe. Père était cruel et impitoyable, mais, au moins, il les équipait bien. À sa manière, il prenait soin d’elles, et veillait à ce qu’elles aient toutes les chances de réussir leurs missions. Si elle échouait, ce serait entièrement de sa faute, tout simplement. Elle n’aurait aucune excuse, et c’était mieux ainsi.
*Seuls les lâches s’abritent derrière des faux-semblants...*
Avançant dans un couloir, Shaina cherchait un autre endroit magique, et finit par s’arrêter dans une salle silencieuse. Elle s’assit en tailleur, se concentra, et appela sa magie. La Beauty sentit une résonance magique, et entreprit d’y aller, marchant rapidement, le long d’une longue galerie étroite et sinueuse. Sa blessure se cicatrisait, et elle marchait sans aucune difficulté. La Beauty descendit un escalier en colimaçon, et débarqua dans un couloir sombre, avec des voûtes en pierre. Il y avait, devant elle, une double porte en bois ouverte, donnant sur une ancienne bibliothèque.
Elle était plutôt grande, avec une forte odeur de moisi. Des livres étaient empilés le long des étagères, et, en les inspectant, elle constata qu’ils n’avaient aucun titre. Probablement des manuels de recherche. Elle essaya d’en attraper un, mais les pages s’effritèrent sous ses doigts, se transformant en poussières. Elle réalisa alors que, au-delà de l’odeur de moisissure des livres, elle sentait une autre chose, légèrement plus sinistre. Des râles. Shaina sentit son cœur s’emballer, et s’avança le long des étagères. La bibliothèque était grande, et, pour économiser la magie de son cristal, elle éclairait faiblement, formant un faible halo blanc autour d’elle. Dans ce genre de situations, il valait mieux ne pas être trop nerveuse. Elle avait l’impression d’entendre des bruits de pas, de voir, derrière chaque étagère, des ombres furtives s’avancer. Chaque courant glacial était comme une caresse spectrale, comme si des fantômes se tenaient derrière elle.
Shaina s’avançait le long de la galerie principale. La bibliothèque comprenait des estrades en hauteur, mais elle n’osait pas gravir les marches, qui étaient extrêmement usagées. Elle atteignit le mur au fond de la bibliothèque, et tourna la tête vers la droite, en entendant clairement un grognement. Les râles se poursuivaient sur sa droite, et elle s’avança. Encore une fois, elle se retourna brusquement, ayant la sensation qu’il y avait quelqu’un dans son dos. Mais elle ne voyait rien.
*Où sont passées les araignées ? Les insectes ? Même dans un tombeau, il y a de la vie...*
C’était comme si toute forme de vie avait quitté cet endroit. Et elle entendait toujours ces râles. En longeant la bibliothèque, Shaina vit alors une lueur au loin, comme si une vieille chandelle était en train de lutter contre l’épuisement, et comprit qu’elle entendait des râles de douleur. Elle sentit, bien malgré elle, une peur irrationnelle grossir dans son esprit, formant comme un nœud dans sa gorge. Père ne serait pas content... Elle rejoignit une petite pièce, ressemblant à une salle d’écriture, et vit un singulier spectacle.
Un homme était en train d’écrire avec un stylo-plume brisé depuis longtemps. L’appellation d’« homme » n’était toutefois peut-être pas très appropriée. Il ressemblait à un ancêtre, ayant des siècles d’existence. Une longue barbe grisâtre et poisseuse tombait au milieu de son ventre, et il portait un froc dépoussiéré, rapiécé, et troué.
« Qui êtes-vous ? demanda Shaina.
- Finir... Écrire, finir la tâche, demander... De l’aide... » marmonnait le vieil homme.
Il écrivait à même la table, dessinant des traits. Shaina fronça les sourcils, et contourna la table. Il y avait quelque chose dans le regard de l’homme qui l’étonnait. Elle se pencha lentement, pour mieux observer son visage, et constata... Qu’il n’avait pas de yeux. Sa peau était en train de s’effriter, tombant, se décollant, révélant des os blanchâtres.
*C’est un mort-vivant !* se dit-elle.
Elle réalisa immédiatement que cette appellation était fausse. Non, ce n’était pas un mort-vivant, car il n’en avait pas les caractéristiques. C’était plutôt... Plutôt un non-vivant.
« Ils disaient que rien n’était pire que la mort, qu’il fallait préserver toute la vie... Mais il y a pire que la mort, il y a pire que la souffrance, il y a cette non-vie. Est-ce le Purgatoire ? Est-ce là l’Enfer ? »
Ses propos étaient incohérents, et Shaina entendit la porte par laquelle elle était venue se mettre à grincer, commençant à se refermer. Elle tourna fugacement la tête, et le moine maudit frappa alors avec ses deux poings sur la table.
« Vous avez troublé son sommeil, vous l’avez réveillé ! Vous nous avez réveillé ! Pourquoi ? Pourquoi avez-vous fait ça ?! Ne croyez-vous pas que nous n’avons pas assez souffert ? »
Elle ne savait quoi répondre. Elle ne comprenait pas grand-chose. Le moine s’agitait, et Shaina allait lui répondre, quand la porte se referma en claquant. S’écartant prudemment du fantôme, si tant est qu’elle puisse appeler ainsi cette apparition, elle se dirigea vers la porte, et allait l’ouvrir... Quand le non-mort se redressa, et l’attrapa par les épaules, la plaquant contre le mur, lui hurlant à la figure, de ses yeux morts et éteints.
« Vous ne sortirez pas d’ici ! Cet endroit ne figure pas sur aucune carte sans raison ! Pourquoi êtes-vous venus si en retard, il est trop tard pour nous ! »
Shaina réagit instinctivement. Elle releva sa jambe, et la détendit, poussant le non-mort. Il tomba sur le sol, et disparut, ne laissant plus qu’un froc rapiécé sur le sol. Shaina secoua la tête, tandis que la chandelle qui éclairait la pièce se volatilisa également, s’éteignant. Elle se dirigea vers la porte, l’ouvrit... Et constata qu’elle ne donnait pas sur la bibliothèque, mais sur un couloir en L, avec un tapis rouge. Elle s’y avança, et sentit la porte se refermer... Shaina se retourna subitement, mais la porte avait disparu, remplacée par un mur.
*Okay... Là, ça devient flippant...*
Elle entendit alors un rire léger, un petit rire de fillette, qui semblait venir des profondeurs du couloir.