« Bonne idée. Les quartiers des docks ont plusieurs thermes pas loin, ça fera l'affaire. »
Oui, ça lui arrivait, parfois, d’avoir de bonnes idées. Aller à Nexus n’en était certainement pas une, vu qu’il s’était retrouvé dans les égouts, à affronter un kraken (un kraken à Nexus, il aura vraiment tout vu !), mais il devait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Dans ce trou à rats puant et sinistre, il avait trouvé une acolyte, une alliée, Vincente Valentyne, une curieuse femme qui avait tenté de le dérober, avant de faire preuve d’honneur en se liant à son service... Un voleur faisant preuve d’honneur, Cahir se croirait presque dans l’un de ces contes romanesques dont les Ashnardiens se gaussaient, ces histoires sur des moins-que-rien honorables et fiers, respectant un code de valeurs, alors que les soldats, l’autorité publique, étaient méprisés, assimilés à des tortionnaires abusant de leurs prérogatives. La moralité douteuse de ce genre d’histoires faisait qu’elles étaient fréquemment censurées, mais Cahir, étant le fils de Mawr, avait souvent du lire des histoires de ce genre. La mécène des artistes était responsable de la censure, mais se refusait à ce que les œuvres censurées soient détruites, estimant que, d’une manière ou d’une autre, elles faisaient partie du patrimoine culturel et historique de l’Empire, dans la mesure où elles évoquaient un message. Un comportement qui lui avait, dans sa jeunesse, valu des procès à plusieurs reprises, ainsi que des menaces, mais qui, selon ses propres aveux, l’avait également amené à croiser son père, Ceallach.
Cahir replongeait dans ses souvenirs d’enfance, avec cette dose d’aigreur et de nostalgie que les souvenirs engendraient. L’histoire de ses parents était cocasse, suffisamment pour faire sourire n’importe qui. Le père de Ceallach avait fait l’objet d’un sonnet le comparant à un buffle avide, et sa mère, Mawr, avait autorisé la publication de ce sonnet. Furieux, Caellach Senior avait assigné en justice, aussi bien l’artiste, un poète, que sa mère. C’est à cette occasion qu’elle avait rencontré son père, qui était alors plus insouciant et plus téméraire que le général rigide et rigoureux qu’il était devenu. Il avait également trouvé que le poète avait eu tort : décrire son père comme un buffle, c’était mépriser les buffles. Mawr avait ri, et, le soir même, ils avaient fait l’amour... À la veille de son procès, et, au terme de cette nuit, un bébé en gestation attendait dans le ventre de Mawr.
« Par contre, s'il-te-plait, faisons vite, enchaîna Vincente, le ramenant à la réalité. Par prudence. On peut facilement se faire cueillir par une patrouille à la sortie.
- Ah... Oui, bien sûr ! »
Qu’est-ce qu’elle avait dit ? Tandis qu’elle s’avançait, Cahir cligna des yeux, retournant en arrière, et se remémora... Prudence... Faire vite... Il hocha la tête. Il avait suivi une formation militaire. Sous la douche, il pouvait être propre en une minute Il suivit donc la jeune femme jusqu’aux thermes les plus proches, s’attirant des regards suspects de la part de gens qui les observaient dédaigneusement. Ils entrèrent, tombant sur une femme à l’accueil, qui fronça les sourcils. En voilà qui avaient bien fait de venir !
« Désirez-vous que nous lavions vos vêtements ?
- Non » répliqua-t-il vivement.
Si on voyait son armure en ébonite... Ce serait comme attirer une meute de loups. La femme hocha la tête, priant pour obtenir sa mutation dans les hauteurs de la ville, là où les gens venaient aux thermes, non pas par nécessité, et pour répandre leurs bactéries, mais simplement pour se prélasser dans l’eau. Force était d’admettre que ce bain public était délabré, misérable. Les vestiaires comprenaient des cabines, sortes de petits placards alignés en rangées, pour ranger les vêtements, mais la plupart des portes étaient fracturés, défoncées. Les murs carrelés étaient brisés, et il y avait volontiers des dessins grotesques sur les murs, à connotation sexuelle, ou des insultes gratuites... Ainsi qu’une forte odeur d’urine qui remontait des canalisations endommagées.
« Jusqu’à Ashnard, on vante l’urbanisation de Nexus, son système d’égouts très sophistiqué qui lui permet de conserver une certaine propreté... Il est navrant de voir que la corruption de quelques fonctionnaires bien placés suffit à détruire une ville aussi riche. »
Ashnard, bien sûr, n’y était pas pour rien, mais même Cahir trouvait cela regrettable. Il n’aimait pas cette ville, mais il la respectait en même temps, pour le prestige qu’elle imposait, pour le symbole. Sa simple résistance aux hordes ashnardiennes suffisait à faire de Nexus une ville glorieuse, une ville qu’il fallait craindre et admirer.
Quoiqu’il en soit, il était évident que Cahir ne comptait pas rester longtemps ici. Il cherchait un placard plus ou moins en bon état, afin d’y entreposer ses affaires, et se dévêtit totalement, comme il était de coutume ici. En théorie, les bains publics n’étaient pas mixtes, mais celui-ci était tellement misérable qu’on avait depuis longtemps oublié cette distinction. Il se déshabilla donc rapidement à côté de Vincente, veillant à ce qu’il n’y ait personne dans le couloir, pour glisser son arme et son armure. Il veillait à ce que Vincente ne s’éloigne pas. Certes, elle avait prêté serment, mais la confiance était une chose fragile. Il ne voulait pas tomber dans un piège, et la voir s’éclipser du bain, pour obtenir son équipement précieux, avec l’aide d’un quelconque complice. Une armure en ébonite pure et une lame en verredragon... Avec ça, elle aurait pu s’acheter tout un harem en or massif.