[Merci
Dis-moi, Ashnard, c’est aussi de Fire Emblem, ou j’me fais des idées ?]Séraphina se fendit d’un très large sourire. Lancer une attaque surprise sur le campement de peut-être des dizaines ou des centaines d’hommes dotés de la technologie tekhane ? Ça ressemblait un peu trop à un baroud au goût de la prêtresse défroquée, et elle avait presque envie de ne pas être d’accord. Elle n’avait pas particulièrement envie de devenir célèbre, de laisser son nom dans les anales, à la différence de sa jeune chef. Tout ce qu’elle voulait, c’était être tranquille, mais ça, c’était définitivement impossible. Et pas tout à fait vrai, en fin de compte, elle voulait aussi se rappeler son passé. Briser ce foutu mur blanc dans son esprit.
Mais Jessie Wild était quelqu’un d’exception, avec ce petit quelque chose qui fait que les entreprises les plus folles deviennent soudain réalisables. Se lancer à l’assaut d’un camp probablement fortifié ? A trois contre le reste du monde ? Avec juste assez d’informations pour tomber dans un piège ? Ben ouai, qu’est-ce qu’on attend ?
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Bien dit, Jessie Wild, répondit-elle.
On se lance à leurs trousses et on les encercle, puis on les achève un à un…
Entrer dans la légende… Effectivement, ce serait un beau coup d’éclat, la plus grande aberration stratégique de l’Histoire, on ne pouvait pas rêver de plus bel effet de surprise. Et entrer dans la légende ? Jessie ne l’avait pas dit à voix haute, mais c’était clairement sous-entendu. Entrer dans la légende, quel intérêt ? En revanche, leur apprendre la douleur, à ces bandits ? Ces connards qui entendaient les capturer ? Ou peut-être les tuer ? Séra sentit la colère bouillonner en elle, sensation rare pour une personne calme et posée comme elle, mais ô combien délectable, un doux nectar qui se répandait dans ses veines.
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Je n’ai aucune idée d’où ils se terrent, je ne sais même pas qui ils sont, Jessie. Ils sont juste à ne pas prendre à la légère, mais en même temps, ils meurent comme n’importe qui. Il faudra penser à en laisser un ou deux en vie, qu’ils puissent répandre la nouvelle. C’est comme ça que naissent les légendes et que s’écrivent les contes.
Et si ça ne venait pas à ce savoir, aucune d’entre elles n’avait quoi que ce soit à gagner. Quoi que Séra ne doutait pas que l’Eglise se débrouillerait pour avoir vent de cette aventure, si tant qu’ils n’y étaient pas impliqués. Mais c’était peu probable. Ils avaient bien d’autres sorcières à traquer, et autre chose à faire que de se lancer à la poursuite d’une unique jeune femme, un vagabond avec une rose sur le bras.
Séraphina écouta attentivement tout ce que lui disait sa chef sur son arme. Elle comprenait ce qu’elle voulait dire sur Ashnard pour y avoir vécu elle-même, et n’avoir pas trop apprécié le séjour. Ce n’était pas sa première visite en territoire Ash, et elle avait appris à connaître les us et coutumes locales. Trop de règles, trop de privilégiés et trop d’injustice à son goût. Ce pays était tel qu’elle était certaine d’être mieux n’importe où ailleurs. Mais elle y était quand même revenu, après tout. Elle se demandait presque pourquoi, même si la réponse sautait aux yeux, simplement parce qu’elle allait là où elle avait le moins de chance de se faire trouver. Un peu comme ce qu’était entrain de faire Jessie en ce moment même. Aller aux devants des ennuis, plutôt que de les éviter, ça pouvait être le meilleur moyen de se faire tuer, comme le meilleur moyen de leur faire la peau. Ou de leur arracher les couilles, c’était selon.
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Un marchand qui vendait une arme comme ça à l’étalage ? demanda-t-elle.
J’ai du mal à le croire…Elle se rendit compte de ce que sous-entendaient ses paroles presque en même temps qu’elle les disait, et précisa tout de suite :
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Je dis pas que tu mens, hein, juste que c’est étonnant. Tu devrais peut-être chercher à savoir d’où il vient, un de ces jours, nan ?
Quoi qu’il s’agissait plus de sa propre curiosité que de celle de sa chef, qui ne semblait pas plus intriguée que ça par la manière dont un revolver triant des boules de feu, une sacoche créant des balle et un gant les enchantant atterrissaient chez un armurier Ash.
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-Vous pourriez envoyer vos hommes avec les miens, monseigneur, susurra l’esclavagiste. Ils nous seraient utiles. Vous le savez aussi bien que moi…
-Mais je l’ai fait, O’Keefe, dit le paladin Vesimir Viciens. J’ai envoyé deux de mes hommes traquer ces femmes. Cela ne vous suffit-il pas ?
-Ils sont seuls, et n’aident pas mes hommes, et en plus, il vous en reste deux, répondit le marchand d’esclaves. Et vous.
-Bien sûr, bien sûr…Je vais prendre votre opinion en compte. Vous devriez aller vous reposer, monsieur O’Keefe, la nuit va tomber bientôt.
Emilien O’Keefe laissa le paladin là, se rendant dans sa tente, au centre du petit campement. Il fit mander son page et un repas tandis qu’il passait les lourds rabats. Dés qu’il fut seul avec lui-même, son sourire avenant déserta son visage, remplacé par un rictus haineux.
« Putain de paladin de mes deux, ça te fait bander, connard, de te sentir au-dessus des gens ? Force et honneur, hein ? Et ces pauvres barbare ignorants, on les écrase, on les méprise, tout est tellement simple dans ton monde en noir et blanc. »
Il enrageait, mais bien entendu, il ne pouvait rien dire, l’Eglise avait le pouvoir. L’Eglise était toute-puissante.
-Monsieur, je peux entrer ?
-Ouai…
O’Keefe s’exhorta au calme tandis que le jeune page poussait les tentures, portant avec lui un plateau en argent qui supportait du fromage de chèvre, du pain (mais pas frai, il faudrait faire avec), de la viande grillée, une coupelle de noix, une de dates et un pichet de vin rouge. Il fit poser les mets sur une table, s’assit en face dans une chaise en bois inconfortable.
-Petit, tu veux gagner ta liberté ?
Le page ouvrit la bouche, mais ne dit rien, complètement soufflé. S’il avait un jour pensé qu’on lui ferait une offre pareille, après que les créanciers de son père l’aient emporté cinq ans plus tôt ! Il aurait juré que le soleil ne brillerait plus jamais. Mais son coucher, ce soir-là, était soudain plus étincelant, il en sentait la chaleur à travers l’épaisse toile de la tente.
-Réponds-moi quand j’te parle ! cracha l’esclavagiste. Tu veux, oui ou non ?!
-…oui monsieur.
-Bon. Approche-toi.
Le jeune page s’approcha pour écouter ce que son maître avait à lui dire. Pendant ce temps au-dehors, Vesimir entendait un rapport de situation de ses deux hommes envoyés patrouiller. Comme de bien entendu, ils n’avaient rien trouvé sur leurs proies, si sur leurs auxiliaires, d’ailleurs.
-Continuez à ouvrir l’œil. On ne sait jamais ce qu’ils peuvent tenter. C’est compris ? leur dit-il par son comlink.
-A vos ordres.
Viciens marcha à travers le camp, peu rassuré. Il avait un mauvais pressentiment. Comme Jessie qui s’était sentie observée beaucoup plus tôt dans la journée, lui-même, en vieux chien de guerre, sentait venir les emmerdes comme d’autres sentaient venir les orages.
-Paz, Boma, toujours rien ? demanda le paladin.
-Rien chef, répondirent les deux hommes. On continue de patrouiller.
Le paladin ne dit rien de plus. Il demandait un rapport si fréquemment qu’il n’écoutait presque plus les réponses. Il s’assit, dans le jour mourant, face à une table sur tréteaux, et mordit dans un bout de fromage jaune et dur laissé là. Il le mâchouilla sans entrain en passant la journée en revue. D’abord, il trouve quelqu’un capable de l’aider pour capturer sa cible. Puis cette dernière vient obligeamment lui signaler sa présence dans la même ville que lui. Alors, ni une ni deux, il se lance à sa poursuite, et là retournement de situation ! Après les avoir trimballés sur des lieues et des lieues, la sorcière se débrouille pour trouver deux congénères et tuer trois de ses hommes, et cinquante de cet esclavagiste. Puis elles s’envolent. Elles partent d’un côté, brouillent les pistes, et…ensuite ? Partent de l’autre ? Possible, même si les hommes d’O’Keefe avaient ratissé toute la zone, elles pouvaient s’être cachées très facilement. Mais ça déboucherait sur un cache-cache sans fin. D’un côté, il y avait leur point de départ, de l’autre, la passe du diable, et là où ils voulaient faire croire qu’ils étaient allés, d’un troisième, il y avait la majorité des miliciens qui patrouillaient, et enfin, il y avait eux.
C’était un raisonnement très simpliste, il y avait mille moyens de passer par d’autres chemins que ceux-là, mais en fait, il était sûr que ça se remmenait à ça. Il n’y avait vraisemblablement que deux destinations viables.
-Paz ! appela-t-il dans son comlink.
-On a toujours rien…
-C’est pas pour ça, le coupa-t-il. On a eu des nouvelles des gus en direction de la passe du Diable ?
-Aucune chef, mais ça veut rien dire, le temps de se rendre assez loin pour pouvoir revenir le cœur léger, ils en auront pour un moment.
-Rattrape-les et fais leur boulot.
-Vous aviez pas dit qu’elles n’ont pas pu aller là-bas ?
-Je n’en suis plus aussi sûr, rétorqua le paladin. Boma ? Tu balayes les alentours du camp. Oublie les hommes d’O’Keefe, concentre-toi sur les femmes, maintenant.
-Ok chef, vous pensez quand même pas qu’elles pourraient attaquer ?
-Non, aucune chance…
Il coupa la communication, et passa en revue les défenses du campement. O’Keefe n’y avait laissé que vingt hommes, et ils étaient trois paladins sur place, plus deux dans la nature, dans un proche. Mais intellectuellement, il était convaincu qu’elles n’attaqueraient pas. C’était juste une impression désagréable que ses directives occultaient.
Il y avait une palissade, mais pas de fossé, et des sentinelles, ainsi qu’une porte pratiquée dans l’enceinte. La relève devait être entrain de se faire, la prochaine serait dans trois heures, et ainsi de suite. Mais même si ces hommes étaient de bons combattants – ils l’avaient prouvé – ils n’étaient pas des soldats et c’est ce qui inquiétait le paladin.
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Bien vu Jessie, souffla Séra dans la nuit.
Il n’y avait pas de vent, mais il faisait quand même froid, et elle frissonna, allongée dans l’herbe, sous les arbres, encore assez loin du camp. Mais ils ne pouvaient pas s’approcher. Il avait été dressé dans une clairière et les hommes avaient passé la journée à déboiser un maximum. Il y avait cinq cent mètres de terrain dégagé jusqu’au campement, non loin d’une rivière qui avait dû fournir leur eau aux bandits qui avaient attaqué les trois femmes.
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Une tactique ? demanda celle aux cheveux couleur de neige.
Ou on fonce dans le tas ?Cinq cent mètres, ça faisait beaucoup, même quand on ne combattait que des flèches et des carreaux, or ce n’était pas le cas ici. Il y avait une palissade, mais Jessie pourrait la faire brûler, cependant, ça dévoilerait à coup sûr leur position. En revanche, ça sèmerait la confusion, mais il y avait sans doute des patrouilles hors du camp, ils n’avaient aucune raison de s’attendre à être attaqués. En même temps, ils pouvaient espérer semer la zizanie, prendre la place avant que les renforts n’arrivent, puis la défendre, mais des hommes avec des armes tekhanes avaient sans doute aussi leurs moyens de communications.
Elles pouvaient aussi utiliser la rivière, la nuit était encore jeune, et elles pourraient s’approcher de la palissade bien avant que le soleil ne se lève de nouveau, mais ça avait dû être pensé, et la surveillance à cet endroit était probablement doublée par rapport à celle du reste du camp, de même qu’à la porte. Mais en même temps, ils étaient en effectifs limités, à tous les coups, car la plupart des hommes devaient être à leur recherche. Ce qui impliquait soit une surveillance générale relâchée, soit des tours de garde plus longs, donc plus éprouvants. Savoir quand se faisait la relève pourrait les aider, mais en même temps, plus elles restaient cachées ici, plus elles courraient le risque de se faire repérer par une patrouille.