Dehors, la mer se déchaînait, et il n’y avait aucune autre sortie. Il allait falloir que la marée se calme. Rayne pouvait entendre le roulement des vagues se fracassant contre la falaise, percevoir les embruns. Tout ça lui semblait naturel, instinctif, si bien qu’elle ne pensa pas à expliquer à l’archère que, maintenant qu’elle était devenue vampire, ses sens allaient être affinés. Rayne avait tendance à considérer que les vampires se composaient de plusieurs familles, et que les dhampirs étaient l’un d’entre eux, dans la mesure où il remplissait l’obligation fondamentale, caractéristique à tous les vampires : la soif de sang. D’une flamboyante beauté, pâle et irréelle, comme la plus pure des vampires, Lady se jeta sur le poignet, sur l’offrande que lui offrait Rayne, et cette dernière gémit faiblement, sentant une vague torpeur la saisir. Comme si elle était soudain étourdie, elle secoua lentement la tête, sentant son sang filer dans la bouche de l’archère, et tendit une main pour caresser ses cheveux. Tous les sangs n’étaient pas égaux, et celui de Rayne était particulièrement délicieux. Elle était la fille de Kagan, un puissant vampire, et, outre ça, sa stature de guerrière entraînée faisait que son sang était fort, riche. Le boire devait être un vrai régal, et, tandis que Lady buvait, Rayne ne pouvait s’empêcher de se sentir... Perturbée.
Elle n’avait en effet jamais mordu quelqu’un, elle n’avait jamais offert à aucune personne le Don... Car ce pouvoir, indéniablement, était un don. Il permettait de flouer la mort, mais également de disposer de compétences renforcées. Pour Rayne, être un vampire ne signifiait pas nécessairement qu’on était mauvais. Il y avait, certes, un sentiment légitime de supériorité face aux êtres humains normaux, mais un individu disposait toujours de son libre-arbitre, de la capacité de faire ce qu’il voulait de son pouvoir. Rayne l’utilisait pour commettre la mort, de façon cruelle et barbare, mais les gens qu’elle tuait le méritaient tous, et elle n’avait aucun état d’âme à les tuer ainsi. Lady, quant à elle, buvait comme une forcenée, et Rayne pouvait la voir pleurer, alors que le sang filait dans sa gorge.
Généreusement, Rayne la laissa boire plusieurs gorgées, se sentant un peu planer. Ces folles dernières journées lui revenaient en tête... Par quel curieux coup de sort cette femme avait-elle fait pour devenir sa proche ? La vie réservait bien des surprises, et Rayne avait maintenant la charge d’une femme... Une femme belle et forte, à qui elle allait devoir apprendre à contrôler ses instincts, avant que ce ne soit eux qui la contrôlent. Un vampire était un chasseur, un prédateur. On les rapprochait de la chauve-souris, mais Rayne avait plutôt tendance à s’estimer proche de l’araignée : solitaire, mortelle, tapie dans l’ombre... Oui, elle allait devoir la former, ce qui était inédit pour elle, et troublant. Comment faire ? Rayne n’avait jamais eu un père vampire pour la former, et avait du apprendre sur le tas. Si elle n’avait pas croisé la route des agents de la Brimstone, il était probable qu’elle serait devenue comme les autres enfants de Kagan : un monstre, l’un de ceux qu’elle tuait sans aucune hésitation. Et, fondamentalement, elle ne savait pas beaucoup de choses sur cette femme, simplement l’essentiel : c’était une archère, une femme calme, douée, expérimentée, maîtresse d’elle-même, mais elle n’avait encore jamais expérimenté la soif de sang, et ce que cette soif pouvait pousser à faire.
Rayne continuait à la laisser boire, lorsqu’elle estima que Lady avait assez bu.
« Allez, ma petite gourmande, c’est fini... »
Rayne dut autoritairement retirer son poignet, et plaqua Lady sur le sol, se mettant à califourchon sur elle. Elle se pencha alors vers elle, et l’embrassa.
« Tu es comme moi, à présent, Lady... Un grand pouvoir t’habite, et je t’apprendrais à le maîtriser. Je t’apprendrais à t’en servir, je t’apprendrais à mordre sans tuer, je t’apprendrais à ponctionner du sang en infligeant du plaisir... Je t’apprendrais toutes les possibilités qui s’offrent à toi, maintenant. »
Elle reprit son baiser, et glissa un peu, baisant sa nuque.
« Et, pour commencer, je vais te montrer comment les vampires prennent ensemble du plaisir... »
Et elle mordit, puis embrassa, et caressa.
Dehors, le roulement de la mer couvrit leurs longs hurlements.