« Twing twang ! »
A ces deux mots, Nariko esquissa un léger sourire. Le carreau d’arbalète avait atteint son but, et la guerrière à la chevelure de feu hocha lentement la tête. Elle entendit quelque chose bouger dans les branches des arbres au-dessus de sa tête, et ouvrit les yeux, voyant une fine silhouette bondir, toute enjouée, pour aller capturer la proie qu’elle venait de tuer. Kaï s’entraînait au maniement de son arbalète, afin de ne pas perdre la main. Elle avait tué des dizaines et des dizaines de soldats avec, à l’époque où l’Empire d’Ashnard avait tenté de les asservir pour permettre à Bohan de s’emparer de l’Heavenly Sword. Nariko était devenue la porteuse et la gardienne de cette arme suprême, et avait entrepris d’explorer Terra, à la recherche d’alliés, d’indices, et d’informations. Elle et Kaï étaient en train de traverser une grande forêt, et Nariko se reposait sous la souche d’un arbre, fermant les yeux.
Kaï, de son côté, en avait profité pour se mettre sur un arbre, et pour chasser. Elle tenait son arbalète, et avait repéré un lapin. Le carreau de son arbalète avait fait mouche, et elle s’avançait maintenant vers le cadavre du lapin, à une petite dizaine de mètres. La jeune femme ressemblant à une neko était passablement excitée. Être seule avec Nariko, c’était toujours bien, et c’était encore mieux quand elle arrivait à faire mouche et à toucher ses cibles ! Elle se rapprocha du cadavre du lapin, récupéra son carreau... Et sentit alors l’odeur. Ses narines reniflèrent une odeur forte, et elle fit la grimace. Ça sentait pas bon. Kaï hésita à aller voir Nariko, et se sermonna pour cette lâcheté.
*Commence par te renseigner, et tu aviseras ensuite !*
Cette odeur lui rappelait des souvenirs lointains... Une odeur de putréfaction, de carnage, et de mort... Elle la suivit, filant rapidement à travers les arbres, et s’arrêta derrière des buissons en voyant une scène sinistre. Particulièrement sinistre, même. Elle entendait une femme pleurer doucement, tandis que plusieurs cadavres gisaient sur le sol, baignant dans leurs propres sangs. Six hommes, environ, se tenaient debout, avec des armes. Des arcs, des épées, des haches, ou des dagues... Et étaient en train de violer la jeune survivante. Les yeux de Kaï s’écarquillèrent de surprise, de consternation, puis de peur, et de rage. La jeune femme était une blonde qui pleurait, et qui se faisait prendre par le dos. Couchée sur le sol, une solide main plaquait sa tête par terre, tandis que les pillards rigolaient entre eux.
Kaï ne pouvait pas le savoir, mis ces bandits appartenaient à une bande qui sévissait dans cette région. Leur chef était l’ancien seigneur local, qui avait été destitué quand son fort avait été pris par un rival alors qu’il était parti en croisade dans des régions inhospitalières. N’ayant pas particulièrement aimé de se faire voler sa seigneurie, ce dernier avait choisi de fonder dans la forêt un camp de brigands, et s’en servait pour terroriser les villageois, et les forcer à rejoindre son armée, une armée populaire qui renverserait le fort du « despote ». Les soldats étaient indisciplinés, et ces gars-là avaient vu le chariot passer. Il venait de l’un des grands bourgs, et transportait plusieurs nobles, des vassaux du despote. Ils leur avaient tendu une embuscade, les archers abattant depuis les arbres deux des quatre cavaliers les accompagnant. Un autre avait tenté de se défendre, mais les pillards avaient fondu sur lui, et le dernier avait alors, constatant la situation, choisi de rebrousser chemin pour alerter la garde, à quelques lieues d’ici, galopant à toute allure, la peur au ventre.
Seule, la famille de nobles n’avait pas fait long feu. Le cocher avait été rapidement tué, égorgé comme un chien, et on avait fait sortir les nobles. Un père âgé, une mère âgée, une fille (la blonde qui se faisait violer), et un jeune enfant. Le père leur avait donné tout son or, et s’était fait frapper un peu trop violemment. Sa femme, terrifiée par un tel spectacle, avait hurlé alors qu’on ruait son mari de coups de poings et de pieds, et, pour la faire taire, l’un des tueurs l’avait décapité. Il l’avait pour cela étalé sur le sol, avant de lever sa hache, son pied bloquant la tête de la femme, et avait frappé à plusieurs reprises, répandant du sang un peu partout. La fille avait ensuite tenté, probablement en ayant lu un conte pour enfants, de s’emparer une dague pour se défendre. La gifle monumentale qu’elle s’était reçue l’avait étalé sur le sol. Le jeune fils du noble s’était ensuite reçu un puissant coup de pied dans l’estomac, et un coup sonore sur la joue. On avait alors relevé la père, tandis que deux cavaliers avaient emmené son fils, et on le forçait à regarder le spectacle de sa fille se faisant violer. Les bandits ne comptaient pas le tuer, mais rançonnaient la vie de son unique fils.
Deux des bandits étaient déjà passées sur sa fille quand Kaï arriva. Un troisième était en train de la chevaucher, et cette dernière, écœurée, avait vomi.
*Retourne prévenir Nariko ! Tu ne peux rien faire contre eux !*
Une voix jaillit dans la tête de Kaï pour l’inciter à rebrousser chemin, mais sa colère était trop grande. Elle tenait à la main sa dague en tremblant, quand le troisième homme se vida dans la fille. Celui qui était leur chef siffla alors.
« Okay, les gars ! La garde ne devrait plus tarder à débarquer, maintenant ! On lève le camp !
- Euh... On peut la prendre, chef ? Son cul est divin ! » demanda l’un des hommes.
A cette idée, le père de la fille tenta de se révolter, mais se reçut une gifle sévère. Après quelques réflexions, le bandit leur accorda ça, et on souleva la fille, pour l’accrocher à un cheval, et partir. Kaï les voyait filer, et n’arrivait pas à se décider. Elle était comme paralysée par cette cruauté, et les cavaliers se mirent en marche, avant de refouler l’envie de pleurer... Alors que les cavaliers s’enfuyaient, Kaï bondit soudain sur la route, et pointa son arbalète.
« TWING TWANG ! » hurla-t-elle.
Le carreau fila en sifflant, et se planta dans le dos du dernier bandit, qui poussa un hurlement de surprise et de douleur, avant de glisser du cheval, et de s’écraser sur le sol. Le père était à terre, inanimé, inconscient, et le cri de Kaï avait été suffisamment fort pour que Nariko l’entende. En voyant leur camarade tomber, plusieurs des bandits s’arrêtèrent, et se retournèrent, tandis que celui emmenant le fille s’éloignait au loin.
« K’sé k’cet’euh sauvageon’là ? demanda l’un des hommes, s’exprimant très mal.
- L’a zigouilleuh Mikhail ! »
Les cavaliers fondirent alors sur elle, brandissant leurs épées et leurs haches. Kaï rechargea son arbalète, et décocha un autre carreau, qui se planta sur la tête d’un autre bandit, traversant son casque usé. Il décolla de son cheval, mais fut retenu par les selles du destrier. Son corps sans vie frotta sur le sol, tandis que l’autre s’approchait, brandissant haut et fort sa lame. Le soleil miroita sur la surface argentée de la lame. Par réflexe, Kaï bondit sur la gauche, évitant la lame qui mordit le vide, lui arrachant un ou deux cheveux, mais un second cavalier se dressa face à elle, relevant son cheval. Les pattes avant s’élevèrent en l’air, de la poussière giclant sur le visage de la femme. Le cheval allait l’écraser avec ses puissantes pattes !