Nariko savait très bien ce que Kaï pensait. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il était difficile de lutter contre une superstition vieille de plusieurs siècles. Heavenly Sword était une arme puissante, et toute arme puissante était dangereuse. Heavenly Sword, sur ce point, ne faisait pas exception. La redoutable épée magique avait indéniablement une volonté propre, et était, en ce sens, bien plus qu’un objet métallique froid et inerte. En la caressant du bout des doigts, Nariko le sentait... Elle sentait cette intense énergie... Heavenly Sword avait soif de sang. C’était une épée, et une épée était faite pour arracher la vie. Toute cette légende autour de l’Élu... Nariko avait prouvé au clan que cette légende était une superstition ridicule, que n’importe qui pouvait utiliser Heavenly Sword et la dominer, mais, pour autant, l’épée était difficile à contrôler. C’était le cas avec tous les artefacts magiques anciens et puissants, et Shen, son père, était toujours assez réticent. Mais il ne pouvait pas refuser à Nariko d’utiliser Heavenly Sword, car, non seulement elle avait réussi à repousser le Roi Corbeau avec cette arme, mais les autres clans se fédéreraient encore plus facilement grâce à cette épée.
L’épée... Nariko continuait à la caresser du bout des doigts, absorbée dans ses courbes. Elle était si belle, si envoûtante, si... Si parfaite, dans un sens. Quand Nariko la portait, elle ne se sentait plus uniquement comme une simple guerrière, mais comme une espèce de Déesse guerrière invincible. Elle se sentait capable de tout faire avec elle, et il lui suffisait de fermer les yeux pour se rappeler...
*Ton pouvoir était alors infini. Tu t’en rappelles ? Cette aura blanchâtre qui t’entourait, cette impression de flotter, d’omnipuissance ? Ils étaient des centaines, voire même des milliers, à t’attaquer, à tourner autour de toi... Tu les entendais hurler, tu ressentais leur rage, leur fureur, mais toi... Toi, tu ne ressentais aucun plaisir, aucune colère, rien d’autre qu’une espèce de grande sérénité. Oui... Oui, tu étais en paix avec toi-même, car toi et Heavenly Sword ne faisiez plus qu’un. Tu étais Heavenly Sword ! Elle n’était plus qu’un prolongement de ton corps. Quelle merveilleuse sensation, n’est-ce pas ? Un peu plus près du paradis... Tu as touché les étoiles... Un tel pouvoir n’échoit pas aux mortels.*
Elle sortit de sa transe en rouvrant les yeux, sentant son pouls battre furieusement dans sa poitrine. Oui, elle se souvenait parfaitement... Elle ne s’était jamais sentie aussi... Sereine. C’était curieux, car elle était alors persuadée de mourir, et, effectivement, elle était morte. Mais ça ne l’avait pas empêché de se sentir bien... Elle avait fauché des centaines d’âmes en défiant le Roi Corbeau, et cet état lui manquait parfois... Mais elle ne pourrait plus jamais l’atteindre. Son lien entre Heavenly Sword existait, mais elle devait veiller à ce que l’épée ne la consume pas.
Alors qu’elle était plongée dans ses pensées, elle se raidit soudain en voyant des gouttes de sang jaillir de l’épée. Quelques discrètes gouttes qui se mirent à se déplacer. Il n’y eut aucune voix dans sa tête, mais, à la place, des images... Des images d’un homme en train de courir, d’homme sen train de le poursuivre, d’une ombre qui n’était pas une ombre... Un repas, un plat, une menace... Nariko se redressa subitement, surprenant Kaï.
« Que... Qu’est-ce qu’il y a, Nariko ? »
La guerrière ne répondit pas sur le coup, et se mordilla les lèvres. Un danger rôdait dans la ville, une menace imperceptible, sourde, qui résonnait dans sa tête... Nariko l’avait toujours pressenti, au fond d’elle-même. Le Roi Corbeau n’était pas mort, mais ce n’était pas lui qui était dehors... Mais quelque chose d’approchant, quelque chose de dangereux... Elle ferma les yeux, les visions revenant dans sa tête. Elle vit des ruelles sombres, des hommes qui couraient rapidement, des badauds qui, prudemment, s’écartaient, préférant les laisser passer plutôt que de se mêler à des histoires qui, dans le fond, ne les regardaient pas. Elle vit d’autres images se former, et vit une grande place, une immense place circulaire entourée de maisons, avec des torches dans les coins. Elle sentit l’ombre heureuse, se rapprocher de sa proie...
Le Fantôme était appâté. Utiliser de la magie sous son nez... Il traquait l’homme, traquait sa proie, utilisant sa magie pour remonter jusqu’à lui. La proie était fatiguée, épuisée, et le Fantôme aimait bien la traque. Il allait se régaler, car la proie fatiguait, et ne pourrait plus fuir éternellement...
« Nariko ! »
La voix autoritaire de Kaï ramena Nariko dans la réalité, et elle la regarda. Le regard de l’adolescente était dur et déterminé, comme si elle avait compris que quelque chose de grave était en train de se passer. Presque instinctivement, Nariko avait attrapé Heavenly Sword, et la glissa dans son dos.
« On sort, Kaï… Je sens une menace… »
Kaï ne dit rien, mais alla chercher son arbalète, sa dague, et suivit Nariko. Sortant par la terrasse, elle atterrit sur un toit, et se mit à courir rapidement, suivant les conseils silencieux, mais non moins réels, d’Heavenly Sword. L’épée conduisit ainsi la jeune guerrière jusqu’à la place du marché, qui comprenait de nombreux gardes, et des badauds. Même en cette heure avancée, il y avait des étals, des vendeurs, des charlatans, des apothicaires. Sur le toit, Nariko fronça les sourcils. Il était proche, elle pouvait le sentir...
« Qui est-ce qu’on cherche ?
- Un démon... Affûte tes sens, Kaï, et utilise ton flair et tes oreilles... Tu es plus douée que moi à ce jeu. Il se terre dans ces ruelles, et je crois qu’il n’est pas seul... »
Kaï obtempéra. Nariko n’avait jamais connu ses vrais parents, mais elle était convaincue qu’il y avait eu des Terranides dans sa famille, car, bien qu’elle soit humaine, elle ressemblait plus à une espèce de sauvage neko qu’autre chose. Elle écouta silencieusement, courbée, et entendit des bruits de pas, des rires, et des cris de plaisir.
« Par là ! »
Elle sauta sur un autre toit, et Nariko la suivit. Les deux femmes arrivèrent ainsi près d’une ruelle où un homme était encerclé par des truands. Nariko fronça les sourcils, surprise de voir que l’homme au centre du groupe était l’homme en robe qui l’avait aidé tantôt contre les gardes corrompus. L’homme s’était assoupi, mais Marko, guidé par le Fantôme, l’avait retrouvé, et il s’était reçu un coup de pied en pleine figure, avant qu’une dague ne se glisse sous sa gorge, l’empêchant ainsi de faire le moindre mouvement suspect. Ils avaient été très rapides.
« Tu pensais nous échapper, hein, sale cave ? »
Les bandits ricanaient, et Nariko se laissa tomber dans une ruelle adjacente, tandis que Kaï, depuis sa position, armait son arbalète. La victime était maintenue par les bras, tenu par un solide gaillard se trouvant dans son dos. Sûrement un docker. Nariko, quant à elle, longeait le mur.
« Je vais te bouffer, salopard ! »
Celui qui parlait... Celui qui parlait était mystérieux... Nariko le sentait. Une âme noire, maléfique, insondable. Elle arriva à l’entrée de l’impasse, et Kaï lâcha son carreau.
« Twing twang », sussurra-t-elle.
Le carreau se planta dans le crâne du docker maintenant l’homme, et, au, même moment, Nariko dégaina Heavenly Sword, et faucha deux des membres du gang.
« Tuez-les ! » hurla Marko.