BRAN WARREN
C’était terminé. Son intervention avait été le point final de cette histoire. Il avait sauvé la Celkhane simplement parce qu’il avait besoin d’elle. Bran n’avait pas oublié dans quel état cette peste arrogante l’avait mis à Tekhos Metropolis... Et puis, elle constituait une menace pour sa sœur. C’était son rôle de grand-frère de la tuer, non ? Il ne regardait pas les deux Celkhanes, nullement inquiet. Contrairement à sa sœur, Bran était un vampire guerrier, endurci à résister à la douleur. Sa sœur l’avait torturé pendant des années, et il en portait encore, dans sa tête, les stigmates. Elle s’était vengée de ce qu’il lui avait fait, elle l’avait brisé en mille morceaux. Bran s’était laissé mourir, mais elle l’avait soigné, encore et encore, afin qu’il s’accroche à la vie. Il n’avait jamais su clairement expliquer ce que sa sœur ressentait à son égard : de l’amour, ou de la haine ? Mais ces deux sentiments étaient-ils vraiment si différents ? Elle avait fait de Bran un esclave très particulier, un grand-frère et amant protecteur, qui s’était entraîné à savoir se battre. Ainsi, si la puissance de Mélinda reposait avant tout sur sa verve et sa plastique, celle de Bran, elle, était physique.
En d’autres termes, il n’avait rien à craindre des deux Celkhanes. Non seulement elles étaient affaiblies, mais elles se reposaient trop sur leurs armes à feu. Bran avait semé les Nécromorphes dans le château pour rejoindre le bunker. Il pouvait faire preuve d’une redoutable rapidité, et, si l’une d’elles essayait de l’attaquer, il se déplacerait rapidement pour la prendre à revers, et l’égorger. Sa priorité était de s’assurer de la sécurité de sa sœur, et il observait donc le Monolithe. Les Nécromorphes présents dans la pièce ne bougeaient plus. Ils étaient encore en vie, car ils voyaient leurs poitrines remuer, et sentaient leur sang infect, mais ils n’avaient plus de commandant pour les diriger. Ils n’étaient plus que des loques inertes. Cependant, une rechute était toujours possible. L’Ashnardienne était morte, mais Bran doutait fortement qu’elle ait été seule pour organiser une telle opération.
*
Le Monolithe a l’air verrouillé...*
Il vrombissait silencieusement, ses runes magiques s’illuminant, et, peu à peu, les Nécromorphes commencèrent à se disloquer, à se dissoudre, tombant sur le sol, s’effondrant. Il s’agissait après tout de cadavres réanimés, et, sans l’esprit central, ils mourraient. On aurait presque dit des Formiens.
«
Le Sans-Nom est mort, Celkhanes, annonça-t-il alors.
Ne vous méprenez pas, je ne vous ai épargné que parce que je n’aurais pas réussi à fermer le Monolithe moi-même. »
Il se retourna vers la Celkhane qui était debout, et qui pointait une arme sur lui.
«
Je vais rejoindre ma sœur. Je vous préviens, je ne suis pas aussi gentil qu’elle. »
Bran esquissa alors un sourire, et se mit à courir. Les balles iraient toujours plus vite que lui, mais le temps de réaction de la Celkhane, lui, était moins rapide que le sien. Entre le moment où la Celkhane avait vu Bran courir, celui où elle visait, et celui où elle appuyait sur la gâchette, il s’était écoulé quelques rapides secondes. Quand elle tira, Bran avait déjà bondi dans les airs, tendant son pied en avant, et heurta la gorge de la Celkhane, avec toute sa force, la couchant sur le sol, lui faisant lâcher son arme. Il se retourna vers Suki, qui allait naturellement tenter de prendre son arme, et sa main fut plus rapide, la saisissant à la gorge, la soulevant comme un fétu de paille, serrant un peu, l’étouffant à moitié.
«
Ce combat t’a affaibli, humaine. Je pourrais te briser le cou maintenant... Mais ce n’est pas ce que ma sœur veut. N’essaie pas de me retenir. »
Bran la relâcha alors, et s’en alla, partant rejoindre Mélinda.
MÉLINDA WARREN
La vampire ignorait évidemment tout de ce qui avait eu lieu en contrebas. Elle serrait Liana contre elle, tandis que les esclavagistes étaient en train de négocier leur liberté. La vampire pouvait lire l’amertume dans les yeux des Celkhanes, leur envie de les tuer. Elles réfléchissaient. Elles étaient venues ici pour tous les tuer, et une Celkhane finit par répondre à l’homme qui avait parlé, leur expliquant qu’ils pourraient vivre, mais que tous les esclaves désireux de partir le feraient. À cette idée, Liana se resserra un peu plus entre les bras de Mélinda, tandis que d’autres esclaves s’agitaient, voyant peut-être une occasion de pouvoir bénéficier de cette liberté qu’ils caressaient dans leurs rêves les plus fous.
«
Une trêve ? s’exclama un collègue de Mélinda.
Vous vous croyez en guerre ? Nous ne sommes que des marchands ! Si vous voulez vous battre, attaquez les Ashnardiens, vous vous en prenez à des civils ! Vous n’êtes pas des soldats, ni même des résistants, vous n’êtes que de la sale vermine terroriste ! »
Cet homme ne mâchait pas ses mots, mais il renforçait la solidarité de groupe. C’était un spectacle curieux. En temps normal, les esclavagistes se tiraient continuellement dans les pattes. L’esclavage était un secteur très concurrentiel, où les plus gros écrasaient les plus faibles, et où il était très difficile de prospérer. Acheter des esclaves était très onéreux, et les banques étaient de plus en plus réticentes à accorder des prêts professionnels, compte tenu de la saturation du marché. L’offre était supérieure à la demande, entraînant dès lors une concurrence sauvage. Mélinda entreprit de se relever, tandis que des esclavagistes maintenaient des esclaves qui, visiblement, avaient trop peur de s’avancer, regardant leurs pieds.
«
Vous êtes des meurtrières ! -
Tuez-nous, et l’armée vous torturera ! Vous deviendrez des esclaves ! -
Ah oui ? »
La douce voix de Mélinda résonna, prenant par surprise ses concurrents, qui la regardèrent. Elle souriait légèrement, tandis que les esclavagistes la regardaient.
«
Toi, Jinx, si tu venais à mourir, ça ne me dérangerait pas, je reprendrais ton affaire. -
Quoi ?! s’exclama le dénommé Jinx.
Infâme salope, je n’élève pas des putes, moi ! »
Mélinda lui fit un sourire carnassier.
«
Et alors ? »
Jinx serra le poing, tandis que l’esclave qu’il avait amené, une jeune fille, le regardait en rougissant, avant de regarder Mélinda, s’emballant. Un sourire amusé éclaira ses lèvres.
«
Voilà un cas intéressant pour vous, chères Celkhanes, claironna-t-elle.
Cette esclave ne veut pas de son propriétaire actuel, mais elle ne veut pas non plus être avec vous. Je crois que m’avoir comme maîtresse la tente bien plus. »
Jinx s’empourpra, et tira sur la laisse, étouffant à moitié la jeune fille, qui se prosterna à ses pieds.
«
Misérable, c’est moi qui t’ait nourri et logé ! Cette salope de Warren... »
Jinx s’énervait très facilement, et son esclave rougissait.
«
Tu mériterais une correction ! -
Si c’est toi qui la lui inflige, elle pleurera. Si c’est moi, elle jouira... Mon pauvre, tu ne sais vraiment pas t’y prendre... »
Bras croisés, Mélinda s’amusait. Jinx perdait son contrôle, et pointa son doigt vers les Celkhanes.
«
C’est toi qui as envoyé ces pétasses ici, hein ? Je suis au courant des rumeurs ! Tu en as baisé deux à Tekhos, tes gardes l’ont raconté dans mes auberges ! Ils racontaient très bien la manière dont la grosse te suppliait, et dont l’autre, cette blondasse, se faisait prendre comme une chienne. Tu les as épargnés ! Tu as trahi Ashnard ! Tu... »
Jinx ne put achever. Dans son dos, une silhouette venait de surgir, et lui brisa la nuque. Deux mains expertes jaillirent, fermes et implacables, et tordirent son cou. On entendit un sinistre craquement, et Jinx fut littéralement stoppé dans son élan. L’esclave poussa un petit cri paniqué, et le solide esclavagiste s’écroula aux pieds de Bran.
«
Personne ne manque de respect à ma Maîtresse sans en payer les conséquences. »
La petite esclave était nerveuse, paniquée, fermant les yeux, recroquevillée. C’était encore une enfant, une jeune pousse qui hésitait. Aller vers les Celkhanes, ou vers Mélinda ? Mélinda se contenta de faire pointer ses griffes, et elle rejoignit rapidement la vampire, qui lui caressa les cheveux. Mélinda regarda alors les Celkhanes avec un sourire sardonique :
«
Mais où est donc passée cette chère Suki ? J’ai cru comprendre que je lui avais fait forte impression... »