La soirée se poursuivait dans les mondanités d’usage. Les journalistes étaient rares, et avaient été triés sur le volet. Milton n’avait accepté que les plus grands quotidiens, ceux dont il pouvait se fier. Il serrait la main des journalistes, et Félicia le surprit en train de discuter avec un journaliste du
Washington Post.
«
Et que pensez-vous des récentes déclarations de Bruce Wayne concernant votre entreprise, M. Milton ? »
Norah Milton se fendit d’un léger sourire, et prit rapidement conscience que d’autres invités le regardaient. Aujourd’hui, Bruce Wayne avait fait une déclaration aux journalistes, dans laquelle il avait considéré que la récente hausse de la criminalité à Seikusu, notamment par le biais de puissantes armes, était peut-être liée, selon les conclusions des rapports de police, à la venue dans la ville d’une puissante entreprise... Rien qui n’impliquait Milton Industries, d’autant plus que le milliardaire avait précisé qu’il ne visait personne en particulier, mais suspectait d’éventuelles failles sécurité. Le pavé dans la mare était lancé, et Norah répondit avec un léger sourire amusé :
«
Je pense que M. Wayne devrait savoir où est sa place, et que, jusqu’à preuve du contraire, il n’est nullement inspecteur de police. »
Cette remarque suscita quelques rires polis, et l’homme but dans son verre, avant de reprendre, de manière toujours aussi succincte :
«
Mais sachez que je partage les inquiétudes de M. Wayne sur la sécurité de cette ville. »
Il s’écarta ensuite. «
Savoir où est sa place »... C’était finement dit, mais c’était, encore une fois, une manière de rappeler aux gens leurs origines sociales différents. Bien que Wayne ait perdu ses deux parents, il était né avec une cuiller en argent dans la bouche, et les gens avaient plutôt tendance à retenir cette image du gosse fortuné à qui rien n’avait jamais manqué (sauf l’amour de parents), plutôt que celle d’un orphelin. La jalousie était une chose très forte chez les humains, et Norah Milton le savait. C’était bien pour ça qu’il avait choisi de se réincarner dans une famille pauvre. Ce simple état de fait suffisait amplement à vous discréditer de tous les méfaits. Comme si tous les nantis étaient foncièrement mauvais, et que tous les enfants du peuple n’étaient pas des salauds de riches ne comprenant rien aux inégalités sociales. Oui, les humains étaient amusants... Empreints d’une telle stupidité. Il n’était pas si étonnant que les Anges se soient jadis penchés sur leur extinction complète.
Félicia le regarda s’éloigner, et entendit alors son portable vibrer. Elle se dépêcha de le sortir de son sac à main, et le colla à son oreille. Ce fut le fameux Chevalier Noir :
«
Mademoiselle Hardy ? Alors cette soirée ? Je vous ai fait parvenir un enregistrement audio, vous noterez que moi aussi je me suis bien amusé… »
Norman, à côté d’elle, hocha lentement la tête. Mieux valait se rendre à un endroit sûr. Ils s’isolèrent légèrement, allant dans l’un des patios, Félicia lui répondant rapidement :
«
La soirée est intéressante, pour le moment... Attendez un peu, histoire que j’écoute ce que vous m’avez transmis... »
Le patio était désert. Félicia colla le téléphone portable contre son oreille. La qualité audio avait été améliorée et retouchée pour être plus facilement lisible. Elle ne tarda ainsi pas à entendre un individu parler.
«
Une... Il y a une cargaison, ce soir... Aaaah... Merde, mon bras... Hum... T’as aucune idée de qui tu affrontes, espèce de sale clo... Haaaa ! Putain, mais tu crois quoi ? Je sais rien, merde ! Juste que... Juste que moi et mes gars, on devait se rendre ce soir au port. Un navire de... De l’autre Occidental qui a débarqué en ville, Milton, je crois qu’y s’appelle... Humm... »
Milton... Sûrement un navire marchand. Mais en pleine nuit ? Ça ressemblait fort à de la contrebande... Si tel était le cas, il devait sûrement y avoir des informations dans l’ordinateur personnel de Norah Milton. Félicia reprit le Chevalier Noir, et répondit :
«
Je vais tâcher de passer à la suite des festivités... »
Félicia parlait sans trop s’impliquer, ignorant si on l’observait. Ce manoir gigantesque était tout à fait le genre d’établissement à avoir des caméras de sécurité et des micros partout. Elle referma son portable, puis regarda Norman.
«
Sois prudente... »
La Chatte Noire posa un doigt sur les lèvres, et lui fit un clin d’œil, puis s’avança hors du patio, et rejoignit le jardin. Depuis cette position, elle entreprit de se changer, délaissant sa robe, et enfila ses gants. Dans sa tenue en cuir, libre, elle se sentait bien mieux, et grimpa le long d’une des façades du manoir. Elle atteignit ainsi rapidement un balcon, et pénétra dans une aile du manoir assez déserte. Ce faisant, la Chatte Noire s’aventura le long d’un couloir, et sortit à nouveau son téléphone portable, lançant une application que Norman avait mis dessus, et qui lui permit d’avoir un plan du manoir. Dans l’une de ses oreilles, une oreillette diffusait la voix de Norman.
«
M. Milton, pardonnez-moi. Norman Jayden... Oui, de ce cabinet-là, tout à fait... Je venais vous voir au sujet de... »
Il se chargerait de le baratiner pendant suffisamment longtemps pour permettre à Félicia d’atteindre son bureau personnel. Elle grimpa un bel escalier, attendit qu’un autre garde du corps passe, et entra dans le bureau personnel de Norah Milton. La porte d’entrée n’était pas fermée à clef, et le bureau était encore plus grand que son ancien studio. Il y avait une cheminée dans un coin, de confortables fauteuils, et un massif bureau en L avec un ordinateur et des bibliothèques remplies de livres et de classeurs. Elle se contenta d’aller vers l’ordinateur, et l’alluma. La machine vrombit silencieusement, et Félicia contempla à nouveau son portable.
L’ordinateur s’alluma alors sur un écran de mot de passe. Prévisible. Mais il en fallait plus pour arrêter le SHIELD. Le téléphone portable de Félicia était spécial. C’était sa carte-puce à l’intérieur, mais l’engin avait été donné par Norman. Il comprenait ainsi un discret port USB, qui lui permit de se relier au PC, et, de là, de lancer un programme pirate permettant de décrypter le mot de passe. L’opération dura plusieurs minutes, et un petit
jingle annonça l’ouverture du PC.
Noah n’avait pas Windows, ce qui rappela à Félicia que ce dernier avait récemment lancé son propre système d’exploitation, arguant qu’il était temps de trouver sur le marché un concurrent sérieux à Windows, dont la situation de quasi-monopole n’avait que trop longtemps duré Le système d’exploitation était un peu particulier. Un fond d’écran apparut devant Félicia, montrant la famille de Norah (il y avait d’ailleurs plusieurs photos encadrées d’elle dans son bureau), puis un menu interactif se forma. Aucun Bureau, ni d’icônes sur le fond d’écran. On se déplaçait à travers des rubriques et des options. Se mordillant lentement les lèvres, elle s’aventura à travers les rubriques, et atteignit les «
dossiers professionnels ». Une liste déroulante se forma alors, mais Félicia déchanta très vite en voyant les noms des dossiers :
DX-521A
DX-521B
DX-521C
DX-521DSoupirant, la jeune femme ne se laissa pas décourager pour autant, et cliqua au hasard sur «
DX-521C ». Ce qui apparut fut encore plus labyrinthique : une succession de différents fichiers graphiques, de tableurs, de schémas techniques, de bons de commandes, de reçus... Soupirant, la Chatte Noire revint en arrière, et regarda brièvement les étagères. Les dossiers étaient énormes, mais elle savait d’avance que fouiller là-dedans serait encore plus compliqué. Le temps lui manquait. Pourquoi donc est-ce que Norah n’avait tout simplement pas une rubrique intitulée «
Plan de domination mondiale » ? Ça aurait été tellement plus simple ! Retournant en arrière, elle se mordilla les lèvres. Repartir bredouille ne l’encourageait pas, et elle savait qu’elle ne pourrait pas passer la nuit dans ce bureau.
Elle décida alors de se rendre dans la rubrique «
MESSAGERIE », et aperçut une série de courriels. Elle en prit un au hasard, qui émanait d’une femme, et lut le contenu, tout en comprenant rapidement que cela ne l’aiderait pas énormément :
«
J’ignore si je dois t’aimer ou te détester, Nor’. Comme tu es injoignable sur ton portable, je t’envoie ce message. Voyager jusqu’au Japon en jet ne m’enchante pas, surtout que ça risque de jaser auprès des paparazzis. Mais bon, Lisa était folle de joie quand je leur en ai parlé, alors...
Tu sais que t’es complètement immature, comme garçon ? J’ai du mal à croire que ce soit toi que les journalistes décrivent comme un homme consciencieux !
Je t’aime.
Karine »
Karine Milton, la femme de Norah... Rien de bon de ce côté-là. Félicia s’attaqua donc à un autre courriel, et en lit un émanant d’un certain Patrick McCoy. Elle aurait bien apprécié d’avoir une tasse de café à côté, mais c’était pour l’heure un luxe dont elle ne pouvait pas se permettre.
«
M. Milton,
Je vous informe que la cargaison arrivera bel et bien au port de Seikusu ce soir, à 01h35. Vous trouverez ci-joint les autorisations administratives émanant de la capitainerie. Autant vous dire qu’ils n’ont pas spécialement apprécié l’idée de devoir laisser certains portails ouverts la nuit, mais la loi est claire sur ce point.
Conformément à vos instructions, j’ai appelé le responsable du port, qui m’a confirmé que nous pourrions amener nos camions pour récupérer nos stocks dans nos hangars. Le lieutenant-capitaine Dumsfield supervisa l’opération, et, en fonction des accords que vous avez passé avec le camp militaire, récupérera directement, ave ses hommes, nos armes.
A tout hasard, je vous rappelle que cette transaction a déjà été financée. Nous accomplissons donc tout simplement nos obligations contractuelles.
Veuillez agréer, M. Milton, l’expression de mes sentiments distingués.
McCoy »
Sûrement un avocat, ou un gratte-papier quelconque travaillant pour Norah... Voilà au moins qui avait le mérite de recouper les informations du Chevalier Noir. Il ne restait plus qu’à trouver les hangars de Milton Industries. Il était en tout cas curieux que l’armée américaine soit mêlée à cette histoire. Il devait donc s’agir d’une cargaison ultrasecrète, ce qui expliquait pourquoi elle débarquait la nuit. Sûrement des armes. Milton Industries, après tout, avait des contrats avec l’armée.
*
Il va se passer quelque chose à cette cargaison... Mais quoi ?*
Ce fut plus ou moins à ce moment que la Chatte Noire comprit qu’il se passait quelque chose de suspect. Elle le sentit par instinct, mais aussi par le fait qu’elle n’avait plus aucune nouvelle de Norman depuis maintenant plusieurs minutes. Félicia perçut un souffle dans son dos, et comprit qu’il ne s’agissait pas du Chevalier Noir. Elle s’extirpa du fauteuil de manière très acrobatique. Son pied droit alla se poser sur la poignée d’un des tiroirs du bureau, et elle s’en servit pour bondir dans les airs. Sa jambe gauche fila par-dessus sa tête, le fauteuil fila en arrière, et Félicia s’appuya sur les accoudoirs pour bondir par-dessus. Une forme para de justesse son pied gauche, mais se reçut le dossier du fauteuil.
Atterrissant sur le sol, la Chatte Noire tenta de frapper avec son autre pied l’agresseur qui avait tombé par terre, mais ce dernier esquiva en roulant sur le sol, avant de se relever, et de tenter de frapper Félicia avec un coup de pied renversé. La Chatte Noire para de la même manière, et bondit en arrière, atterrissant sur le bureau, avant de sauter également encore en arrière, atterrissant au milieu de la pièce. Elle remarqua alors que l’agresseur était une femme, dans une tenue en cuir moulante, qui la rejoignit rapidement. Elle avait une superbe poitrine, des cheveux blancs, et la peau noire, avec un curieux tatouage en forme d’éclair sur la joue :
Félicia ne put s’empêcher de la siffler, et décida de la jouer à la manière de Spider-Man :
«
Hey ! Tu serais presque aussi sexy que moi, toi ! »
La femme se contenta de montrer les dents. Elle courut vers Félicia, et bondit dans les airs, décrivit un salto, se reçut sur le sol, et bondit à nouveau, fonçant sur la gauche pour déborder la Chatte Noire... Quand les lampes s’allumèrent. Immédiatement, la femme noire s’arrêta, tandis que, dans le dos de Félicia, des hommes s’approchaient. Se retournant, elle vit deux agents de sécurité, massifs, pointer leurs armes sur elle, avec, au centre, Norah Milton et Norman Jayden.
«
Allons, allons, Messieurs, Mesdames, et si nous nous calmions un peu, hein ? lança Norah avec un léger sourire.
Baissez ces armes, je vous prie. »
Les deux gardes du corps obtempérèrent silencieusement, tandis que Norah se mit à dévisager Félicia, la toisant ensuite.
«
Vous feriez fureur dans les soirées de certains de mes amis, vous... -
Merci du compliment... »
Un léger silence s’instaura, avant que Norah ne se mette à marcher. Il ouvrit un placard dans un coin, un minibar réfrigéré, et contempla quelques bouteilles, tandis que Félicia se mit à parler :
«
La grognasse en cuir, c’est votre maîtresse ? -
Va chier, salope, répliqua l’intéressée.
-
Ah, quoi de plus divertissant que l’amour entre deux femmes fortes ? plaisanta Norman en sortant une bouteille, et en allant la poser vers une table basse.
Ne croyez pas les ragots de The Sun, Mademoiselle... -
Harmon... -
Hum... Mademoiselle Harmon... Je ne dirais pas que je n’ai pas connu d’autres femmes avant d’avoir rencontré Karine, ou après, mais j’ai perdu ma virginité avec elle... Et, jusqu’à preuve du contraire, mon sperme n’a pas été retrouvé sur la robe d’une de mes stagiaires... Cette charmante femme est officiellement mon assistante personnelle, et accessoirement une garde du corps très efficace. Elle s’appelle Noël. »
Félicia regarda Noël, qui répondit rapidement, anticipant ce que la Chatte allait dire :
«
Je suis née un 24 Décembre, au soir. »
Félicia hocha la tête, tandis que Milton avait sorti trois verres, et les posait sur la table basse. Il fit signe à Norman et à Félicia de venir, remplissant leurs verres. Norah but en premier, comme pour les convaincre qu’il n’y avait aucune drogue dans le verre.
«
Alors, dites-moi, dites-moi... Qui vous a engagés ? Lockheed ? Raytheon ? EADS ? Non ? Allons, vous n’allez tout de même pas me dire que c’est Wayne Enterprises qui vous a envoyé faire de l’espionnage industriel chez moi ! »
Félicia n’avait réussi qu’à faire une seule chose : permettre au Chevalier Noir d’entendre ce qui se passait, en l’appelant. Norman secoua la tête. Visiblement, Norah pensait qu’ils avaient été embauchés par des concurrents, probablement pour récupérer des secrets chez lui. C’était sans doute l’hypothèse la plus logique.
«
Nous prenons très au sérieux la récente hausse des agissements criminels dans la ville, M. Milton, commença Norman, qui évitait scrupuleusement de dire qu’il travaillait pour le SHIELD.
Sans rentrer dans des détails, je travaille pour le compte d’un client qui pense que Milton Industries est lié à des activités terroristes. »
Au moins, le vin était bon. Félicia était nerveuse. Ce manoir était une véritable forteresse. Il était probable qu’elle avait été repérée dès qu’elle avait allumé l’ordinateur de Norah, ou dès qu’elle était rentrée dans cette pièce... Voire même avant. Les dispositifs de sécurité de cet endroit devaient être hautement élaborés.
«
Je vois..., fit Norah, en souriant lentement.
Vous n’avez pas perdu vos vieilles habitudes, M. Jayden, n’est-ce pas ? Mais un avocat devrait savoir qu’il n’a pas les mêmes libertés qu’un agent du FBI. Eu égard à votre réputation, et parce que vous avez jadis coffré un tueur d’enfants, et parce que je suis moi-même adulte, je veux bien ne pas appeler la police, et ainsi sauver votre carrière... -
Mais ? » anticipa Félicia.
Norah but dans son verre, le finit, et se releva.
«
Vous avez raison, dans un sens... Milton Industries est bel et bien lié à des groupes terroristes et des seigneurs du crime... »
Félicia fronça les sourcils. Était-ce le moment où Norah allait les tuer ? Il était accessoirement étonnant qu’il connaisse le passé de Jayden. Oh, ce passé n’était pas secret. Norman avait, après tout, permis l’élimination du tueur aux origamis, un
serial killer qui avait sévi il y a quelques années aux États-Unis, et qui pratiquait un jeu diabolique en kidnappant des enfants, et en forçant leurs pères à accomplir une série d’épreuves macabres pour réussir à les sauver. Cetet arrestation avait fait de lui une véritable star. On avait vu Norman sur des
talk-show politiques, à des interviews, mais la gloire, comme toute autre chose du rêve américain, était éphémère. Que Norah s’en souvienne était indéniablement le signe qu’il était très intelligent. Ce dernier précisa rapidement.
«
Mais, de grâce, n’allez pas croire que nous donnons des armes à des groupes terroristes, à des cartels, ou aux islamistes, c’est... C’est à la fois insultant pour moi et pour vous. Laissez ces accusations stupides et stériles à des activités comme Greenpeace, ou je ne sais quels autres illuminés fanatiques démocrates cryptocommunistes. »
Norah, mains dans les poches, s’approcha de l’une des grandes fenêtres, faisant la moue, évaluant probablement jusqu’où il pouvait parler à ces individus, se confier à eux. Félicia se demandait de plus en plus si Norah était réellement le mauvais bougre dans cette histoire. Si c’était le cas, le moins qu’on puisse dire est qu’il était très convaincant.
«
N’importe quel ado vous dira en consultant Internet que nous livrons avant tout nos armes à des pays qui en ont besoin... L’Inde, principalement. Mais peu importe, il vous suffit de consulter les rapports du Congressional Research Service pour vous en convaincre. Nous n’avons aucun intérêt à armer des cinglés et des fanatiques... -
Alors, en quoi votre entreprise est-elle liée à... ? -
Est-ce que le nom de Deacon vous dit quelque chose ? »
Norman fit la moue, et ce fut lui qui répondit :
«
Un terroriste tristement célèbre... »
Norah hocha la tête :
«
Deacon a des hommes au sein de mon entreprise. Je le soupçonne fortement de détourner mes armes pour équiper des rebelles, des terroristes, des bandes criminelles... L’inefficacité des forces spéciales à appréhender Deacon m’a forcé à mener de mon côté ma propre enquête. Les forces de police sont corrompues par les gangs que Deacon côtoie, et mes hommes étant des agents privés, je suis moi-même énormément restreint dans mes investigations... »
Il se retourna, revenant vers ses deux « invités ».
«
Je sais que Deacon a rencontré des familles de Yakuzas à Seikusu, et qu’il est sur un gros coup dans la ville. Et vous m’avez l’air d’être une femme talentueuse... -
Je me suis fait repérer, pourtant... -
Mais pas avant d’avoir réussi à fouiner dans mon ordinateur, ce qui, en soi, représente un exploit. Je pourrais vous dénoncer à la police, bien sûr, mais ce serait plus une perte de temps et de moyens qu’autre chose. Et la réputation de M. Jayden suffit à me convaincre que vous ne cherchez pas à me duper. -
Charmant... -
Je suis plus ou moins convaincu que Deacon va attaquer ce soir l’un de mes chargements... Une cargaison très précieuse, mais vous comprendrez que je ne peux pas vous en dire plus, que ce soit sur sa localisation, ou sur son contenu. »
Félicia soupira, comprenant ce que l’homme leur demandait. Venir assister ses forces de sécurité. Deacon... De lui, elle ne savait que ce que les journalistes avaient dit, ce qui, dans le fond, était bien mince. L’histoire de Norah paraissait crédible, mais ce n’était pas pour autant que la Chatte Noire comptait lui faire confiance. Les concernant, il avait toutes les cartes en main. Il avait sûrement des enregistrements où on voyait Félicia s’infiltrer dans son manoir, et d’autres permettant d’incriminer Norman. Il ne prenait donc pas trop de risques en les relâchant.
«
Messieurs, veuillez raccompagner nos invités dehors. Vous comprendrez tout à fait que je ne peux décemment plus vous laisser chez moi. Mademoiselle Korion, je vous serais gré de les accompagner. »
Noël Korion acquiesça, et, quelques instants plus tard, Félicia et Norman se retrouvèrent dans la voiture de Norman. L’agent du SHIELD était toujours aussi impassible, mais Félicia, elle, bouillonnait.
«
Tu crois qu’il nous a menti ? -
Ils mentent toujours, répondit tout simplement Norman.
-
J’hésite à t’inclure dans ce groupe... -
Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Félicia se tut, essayant de rétablir le cours de ses pensées.
«
J’ai toujours trouvé louche que le SHIELD s’intéresse de si près à un simple homme d’affaires... -
Deacon est un adversaire dont tu n’imagines pas la dangerosité, Félicia, répliqua simplement Norman.
On ne parle pas d’un criminel classique, ou même de ces super-vilains bariolés qui font généralement plus de peur que de mal, et dont les motivations, à quelques exceptions, se résument, soit à inventer un plan farfelu et grotesque pour tuer le plus de gens possibles, soit à se venger de leurs antagonistes. Deacon est un criminel international, un ancien agent des forces spéciales, qui connaît nos méthodes, et qui est dénué de la moindre moralité. Ce n’est pas un jihadiste, encore moins une crapule ordinaire... Et il n’a rien à voir non plus avec un simple psychopathe. Nous n’arrivons pas à cerner son profil... Et je sais que tu vas vouloir le coincer, alors c’est pour ça que je cherche à t’aider, mais je te recommande fortement d’y aller avec quelqu’un... -
C’est bien pour ça que je fais équipe avec un justicier masqué... Un spécialiste. »
Norman ne lui disait pas tout, Félicia le sentait. Sans doute ne voulait-il pas l’effrayer, mais il était nerveux, roulant vers le port.
«
Arrête-toi au parking à l’entrée du port... -
Pourquoi ça ? -
Parce que je ne vais pas rentrer toute seule dans le port, si Deacon s’y trouve. Autant y aller avec quelqu’un pour m’accompagner... -
Hum, je vois... Un spécialiste ? -
Tout juste. »