Si je la gifle, je la tue.
C'est la seule chose qui résonne après le grand black-out que vient de laisser dans mon esprit sa révélation. Si je laisse ma main partir, je répandrais sa mâchoire sur le mur le plus proche et je ferais possiblement accomplir à sa tête un 180 degrès dans un bruit écoeurant de bois sec et de chairs compressées. Ce qui m'arrache de ces reflexions morbides, c'est un bruit de métal froissé très léger mais qui parvient à se faire entendre dans le silence de plomb qui pèse sur nous deux. Dans ma main, la clé n'est plus qu'un amas de métal sûrement informe et plus vraiment épais, comprimée par une poigne qui pourrait faire s'écrouler les murs de la maison sans que j'ai besoin de forcer. Mon regard n'a pas cillé et est resté planté dans celui d'Hitomi alors que mon visage s'est fermé et que mes dents dégagent assez de pression pour que je puisse bouffer du béton. Mes muscles se sont tendus d'eux même sous mes vêtements et je gage que si elle venait à me toucher en ce moment, elle les comparerait à des câbles sollicités à l'extrême et prêts à rompre. Il faut que je prenne deux secondes.
Sinon je ferais ou dirais des choses que je regretterais pour le reste de ma vie.
- Tu es désolée. D'accord.
Ma voix m'étonne : elle est incroyablement calme, presque douce. Pourtant, si elle était une arme, elle serait un arc plus bandé qu'une queue de routier devant une pucelle isolée. Je marque un silence et la petite voix de ma conscience me murmure que je ne suis pas forcément très propre sur moi et que je suis un bel enfoiré que de l'oublier quand ça m'arrange. Durant le mois, j'ai eu quelques aventures aussi. Mais vous savez ce que c'est, non ? Quand on est aux abois, quand on est touché là où ça fait VRAIMENT mal, on perd le sens des réalités, le sens des responsabilités. Et on oublie d'être tout à fait honnête. Pourtant, j'ai un certain sens de l'équité et de la justice, puisque je passe mon temps à promovoir la gentillesse et toutes ces conneries du côté clair de la Force.
Je vais donc être honnête avec Hitomi. Mais je vais veiller à ce qu'elle le sente passer. Parce que je dois être en mode "putain d'enfoiré". Et puis, on doit tout se dire, non ? Elle ne pourra pas prétendre que je n'ai pas joué mon propre jeu.
Face à elle, je lève lentement deux doigts.
- Deux fois. Puisqu'on doit se balancer nos petits écarts, voilà les miens. J'ai fauté deux fois. Deux putains de fois.
De l'île d'où je viens, quand on se balade sur les bords de mer les jours de mauvais temps, on voit la naissance des rouleaux qui s'écrasent sur la grève. La mer semble refluer, se calmer... Et s'abat finalement dans un vacarme qui ravage tout ce qui a le malheur de se trouver là. C'est un peu ce qu'annonce mon timbre de voix en cet instant. Il est calme, posé, tranquille. Mais la mer en colère ne faisait que refluer pour se gonfler et devenir lame de fond. Ma voix est teintée d'un grondement sourd qui annonce la tempête.
- Je ne sais pas comment tu vas te justifier -car foi de Macross, tu vas le faire- mais voilà ce que moi, j'ai à te dire. Je ne suis effectivement pas plus clean que toi, je n'ai pas le cul plus net que le tien et tu serais en droit de gueuler, de me cracher à la gueule en me disant que je suis le dernier des enfoirés. Seulement, j'avais bu. Les deux fois. On est d'accord : ça n'est pas une excuse et c'est franchement pas glorieux. Maintenant, Hitomi, sans cette putain de boisson que je ne tiens pas, aucune nana n'aurait posé sa main sur moi, fût elle sortie en ligne droite de mes fantasmes. Tu sais pourquoi ? Parce que pour moi, c'est toi qui compte. C'est à toi que je veux faire l'amour, comme c'est toi que je veux baiser. On est des adultes, on saisit pleinement la différence, pas vrai ?
Je n'ai pas fini. Non. Je prends le temps de mettre mes pensées dans le bon ordre pour parler et je ne la lâche pas du regard, je scrute chacune de ses réactions avant d'enchaîner.
- J'ai eu honte. Pour te dire, il y a même une fois dont je ne me souviens absolument pas. Je l'ai constaté au réveil sans être capable de savoir qui était la fille à poil à côté de moi. Putain, j'ai même pas fais ça pour m'éclater ! C'était une connerie et j'avais tellement honte que j'ai pensé à me passer la queue à l'eau de javel ! Je me doutais que ça coincerais. Parce que je ne suis pas con, Hitomi : sexuellement, on a toujours été séparés par un fossé. Toi et moi, on a pas la même expérience du cul. T'es loin au-dessus et tant mieux pour toi. T'as vécu avant moi, t'as eu raison. Mais est-ce que tu t'es seulement imaginée de comment je pouvais peiner à suivre le rythme ? Comment je me sentais mal à chaque fois qu'on couchait, parce que j'étais persuadé de ne pas tenir la distance ? Je me décarcassais pour te satisfaire, pour que tu te dise que ça te plaisait de te retrouver dans mes draps. Et tu me disais que ça allait, pas vrai ? ALORS POURQUOI T'AS ETE VOIR AILLEURS ? POURQUOI ? POURQUOI TE FOUTRE DE MA GUEULE ?
C'est parti. Je le sais. Je le sens. Je devrais m'arrêter là, sortir de cette baraque à la con et aller détruire quelque chose, n'importe quoi pourvu que ça me passe les nerfs. Mais je continue. Je vide mon sac chargé de frustration et de peines refoulées, ma voix tonnant dans la pièce à vivre. Je vais m'en vouloir une fois calmé mais là, rien ne m'arrêtera en si bon chemin.
- C'EST QUOI, LE PROBLÈME ? SI CA TE CONVENAIT PAS D'AVOIR UN SEUL MEC, DE PAS AVOIR LA PLUS GROSSE QUEUE DU JAPON OU UNE SIMPLE MACHINE A BAISER, POURQUOI NE PAS ME L'AVOIR DIT ? DESOLE, MAIS JE SUIS UN TYPE NORMALEMENT CONSISTUE ! J'AI UN SEXE AVEC DES PROPORTIONS NORMALES, J'AI UNE LIBIDO NORMALE ! C’ÉTAIT TROP DUR DE ME DIRE QUE TU VOULAIS AUTRE CHOSE QU'UN PAUVRE CONNARD POUR TE FAIRE PASSER LE TEMPS ? TU TE DISAIS PEUT-ETRE QUE CE N'ETAIT PAS UN MAL DE TE FAIRE FARCIR PAR CE CONNARD DE FLIC QUAND J'AVAIS LE DOS TOURNE ? MONSIEUR EST UN POETE, EN PLUS ! JE REPRENDS SON TERME, POUR NE RIEN TE CACHER !
Sur mon cou, je sens une veine pulser. J'écume, je rage. J'ai honte, surtout. J'aurais dû tout arrêter lors de ma rencontre avec Gabriel. C'est pas comme si ce fils de pute avait donné le ton, en plus. Une main me passe sur le visage et déforme un instant mes traits jusque là contris par mes sentiments partis faire un plongeon dans le lac le plus proche équipés de bottes en béton. Finalement, je laisse échapper un rire jaune, chargé de toute l'amertume qui alourdit ma langue et ralentit mon coeur.
- Je suis vraiment le roi des cons. J'ai rien vu venir. J'ai pas voulu le voir venir, parce que j'étais amoureux. Et maintenant, je suis un superbe cocu. Tu veux que je te dise ? J'attends le premier de tes prétendants qui s'amuserait à faire une allusion à ce sujet en face de moi. Je lui briserais chaque os du corps. Et j'aurais des regrets ! Parce que ce ne sont finalement pas ces types qui sont les fautifs, mais toi qui ne sait pas te tenir. Merde... merde...
Ayant tourné les talons, je me suis mis à faire le cent pas pour ne pas frapper le premier mur venu. Je suis comme un fauve en cage, je suis à tenter de démêler l'écheveau de toutes les pensées qui me viennent à l'esprit.
- Je suis vraiment trop con.
La dernière, elle s'adresse tant à ses forfaits qu'aux miens. Et maintenant, on va faire quoi ? Je n'en sais rien, mais je me dis que quelque par j'ai besoin d'une issue, j'ai besoin qu'elle m'explique. J'ai besoin de comprendre, même si ça doit me certifier que je suis un mauvais coup en plus d'être un niais nanti d'oeillères opaques comme une nuit sans lune.
Alors j'attends. Je lui tourne le dos, accoudé à une fenêtre à la vitre battue par la pluie qui n'en finit pas de tomber, emportant avec elle dans les sillons qu'elle trace sur le verre les dernières onces de plaisir que j'avais de poser le pied en Irlande. Les dernières traces de la confiance en moi que les bras d'Hitomi avaient, à une époque, sût faire fleurir.