Ursula broyait du noir ces derniers jours. Pas à cause de Marc, non. Ni à cause du violeur et tueur de l'autre fois, qu'elle avait pétrifié avec l'aide d'un démon bien sympathique du nom de Senji. Senji, de qui elle avait gardé un très bon souvenir d'ailleurs. Non, en fait, si elle broyait du noir, c'est parce qu'elle avait essayé une sorte de speed-dating organisé trois jours auparavant. Et l'un des prétendants, qui n'avait pas été effrayé par son amour des serpents (ou qui avait été attiré par sa fortune et le prestige qu'il tirerait à s'afficher avec elle), lui avait donné rendez-vous hier pour boire un verre. Chez elle, bien entendu. Il avait prétexté vouloir connaître ses petits amours reptiliens.
A ce moment, elle flottait sur un petit nuage. Elle avait tout préparé, en parfaite maîtresse de maison. Les petits fours et canapés fait main, la bouteille de vin rouge au centre de la table et deux verre disposés de chaque côté, les lumières tamisées, etc.. Sa tenue aussi elle l'avait soignée, changeant un nombre incalculable de fois craignant de paraître tour à tour trop sexy que c'en était un appel au viol, trop coincée, trop stricte, trop dévergondée, etc.. Finalement, elle avait opté pour une petite robe noire, simple et élégante, avec un collier de perle.
C'est quelques instants après qu'il soit arrivé que ça a commencé à se dégrader. Déjà, il était sans manières aucunes. Laissant son pardessus traîner sur le dossier du canapé alors que le porte-manteau était juste au-dessus, il se goinfrait de petits fours sans élégance, sans tenue. Il avait aussi remit la visite aux reptiles à plus tard. Il buvait grossièrement, sans élégance. Il buvait trop aussi. Trop vite. Sans apprécier la saveur du vin. Non, décidément, Ursula s'était dite qu'elle avait fait une erreur. Aussi, à la fin du repas (où il s'était empiffré comme un porc, en mettant partout, sans même apprécier l'effort fait par son hôtesse), elle proposa de le raccompagner à la porte et même jusqu'à chez lui vu qu'il ne pouvait pas conduire dans cet état. Et c'est là que ça avait dérapé. Trop alcoolisé, il s'était laissé emporté par ses ardeurs, essayant de forcer la légiste à lui accorder des faveurs sexuelle qu'elle n'était pas disposée à lui accorder.
Se débattant, elle n'avait pas sentit que la colère qui enflait en elle libérait l'Autre. Elle s'en était rendue compte trop tard, lorsque la force surnaturelle de la Gorgone réduisait en miette le poignet qu'elle avait enserré. Foudroyant le malotrus de son regard reptilien, elle le pétrifia d'office. Et lorsqu'elle fut redevenue elle-même, la culpabilité l'emporta encore. De nouveau, elle appela son meilleur ami. Travis l'aida, comme toujours. Ils firent disparaître toute trace de la présence du grossier personnage chez elle, et la statue alla s'écraser dans la rivière sous le pont, comme beaucoup d'autres. Comme toujours, Travis avait maquillé l'absence du type officiellement.
Et ce matin, agacé de la voir broyer du noir, agacé de la voir s'auto-flageller pour un type qui méritait cent fois ce traitement, Travis l'avait prise à part.
- Il est temps que tu oublies tes soucis ma chérie.
- Je suis une psychopathe Travis ! Je.. Suis schizophrène en plus...
- Mais non ! Ce qui t'arrive, c'est peut-être étrange, mais je suis sûre qu'il y a une explication logique.
- Et laquelle je te prie ? Je suis folle ! Folle à lier ! Et tordue ! Et-
- Tu sais quoi Ranger ? Tu vas m'accompagner ce soir.
- Et je suis.. Quoi ? Ce soir ? Où ça ?Il ne lui avait rien dit d'autre. Il s'était contenté d'un sourire énigmatique, avant de lui dire qu'il serait chez elle une petite heure avant le début de ce qu'il avait prévu. Et voilà que l'heure fatidique sonnait. Lorsqu'elle lui ouvrit la porte, elle ne reconnu d'abord pas. Il portait une tee-shirt noir, moulant, et un jean noir délavé avec quelques chaînes à la ceinture. Il avait passé un trait de crayon noir sous ses yeux, et ses cheveux était coiffés en brosse, maintenus avec du gel. Et il avait dans les mains un paquet qui ressemblait fort à une robe pour elle.
Sans rien dire, la légiste le laissa entrer. Mais lorsqu'elle découvrit la tenue en question, il fallut bien une demi-heure à Travis pour la convaincre de la porter. Et vingt autres minutes pour la maquiller malgré ses objections. Quant à la coiffure, n'en parlons même pas. Au final, ils partirent de chez Ursula avec plus de vingt-minutes de retard. Le résultat était saisissant.
De face, la légiste n'osait même pas penser à ce qu'on dirait au boulot si on la voyait.
De dos, elle ne s'était pas encore vue. Et heureusement. Son sens moral en aurait été choqué.
Finalement, ils arrivèrent sur le lieu de la petite soirée de Travis. L'ancien port de commerce. Ursula frissonna en songeant au nombre de cadavres retrouvés ici. Mais elle ne dit mot et suivit son ami dans un bâtiment désaffecté d'où provenait de la musique qu'elle n'avait pas l'habitude d'écouter.
- Bon. Je serais dans ce coin là-bas, avec quelques amis. Si tu as besoin de moi... Surtout il faut que tu restes calme. Amuses-toi ! Bois un peu. Ne laisse pas l'Autre gâcher ça.Il avait crié, pour se faire entendre. Et sans qu'Ursula ne puisse protester, il fendait déjà la foule pour aller retrouver ses amis. Elle restait perdue, entourée de gens qui se trémoussaient. Bousculée, elle se perdit dans la foule. Lorsqu'elle ressortit de l'amas de gens, elle avait un verre à la main. Se rappelant du nombre de fois où les victimes qu'elle avait autopsiée avait été victime de la drogue du viol, elle allait reposer le verre. Mais au loin, Travis lui fit signe en levant son verre et elle lui répondit machinalement. Alors elle but une gorgée. Et elle toussa, frappée par la violence de l'alcool. Elle qui préférait le vin, elle était perdue. Malgré tout, elle persista. Une gorgée plus tard, elle reposait finalement le verre. Trop fort. Elle essaya de se mêler aux gens, mais ils l'impressionnaient de par leur tenues aussi délurées que la sienne.
Finalement, elle renonça et passa l'entrée à nouveau, cherchant un peu moins de regards concupiscents et de mains baladeuses. Elle observa les alentours et son regard se posa sur un homme dont la stature éclipsait pas mal d'autre. Un homme qui ne paraissait pas forcément sympathique et ouvert, mais qui ne se mêlait pas aux autres. Elle esquissa un timide sourire, et s'approcha de quelques pas.
- Vous... Vous auriez une cigarette s'il vous plaît ?Oui, c'est mal. Elle n'oublie pas l'état des poumons de nombre de ses clients, mais elle a besoin de déstresser. Et Travis lui assurait que la cigarette le détendait. Alors, comme elle ne voulait pas laisser l'Autre gâcher la fête, elle trouva que c'était une idée comme une autre. Au même titre que ça lui fournissait une excuse pour entamer le dialogue avec un inconnu comme le lui recommandait Travis.