Ithrâwel Était-ce un hasard ? Ou la main invisible du destin ? Alors que Sakura et le Commandeur Oberyn se rendaient tous deux dans un petit village isolé dans les montagnes pour y récolter, pour l’une des potions roses, pour l’autre des livres, afin de justifier un tant soit peu ce village, Mélinda Warren, quant à elle, se trouvait également dans ce village, également afin d’y trouver des potions et des sorts pour parfaire ses aphrodisiaques. Elle aurait tout à fait pu déléguer quelqu’un à cette tâche, mais elle savait que les magiciens de ce petit village étaient généralement pingres, et n’hésitaient pas à gonfler leurs prix. De plus, elle avait besoin de produits très spéciaux, des produits qui nécessitaient son savoir et son expérience, chose dont ses hommes se révélaient parfois incapables de produire. Rien n’aurait donc ainsi pu conduire Mélinda à se rapprocher de Sakura. Ashnardienne, elle connaissait naturellement Sylvandell, mais elle connaissait aussi le royaume par sa profession. Sylvandell était un royaume militaire dont l’esclavage était l’un des piliers de son économie. Partant de là, Mélinda recevait surtout des esclaves sylvandins, afin de les dresser. Contrairement à ce qu’on pouvait penser, l’esclavage avait de nombreux aspects : capture, dressage, revente... Mélinda était disponible à tous les niveaux. Elle savait ainsi aussi que Sakura, la femme de la Princesse, était une ancienne esclave qui avait été réhabilitée par une ordonnance impériale, sur demande du Roi de Sylvandell. Le Conseil Impérial avait accepté cette réhabilitation, et l’Empereur avait signé un papier proclamant Sakura citoyenne impériale, l’empêchant
de facto d’être une esclave. N’importe quel esclavagiste relevant de l’autorité de l’Empire qui s’amuserait ainsi à vouloir la capturer s’exposerait à la justice impériale, et encourait tout simplement la haute trahison.
Ce fut par le biais d’une autre personne que Sakura et Mélinda durent se croiser et partager ensemble un morceau de leur existence. Cette personne était l’une des magiciennes du village, une Drow, Ihtrâwel. Jadis, elle avait été l’une des glorieuses prêtresses de la Déesse Lloth. Au nom de Lloth, Ithrâwel avait organisé de nombreux sacrifices humains dans des temples à sa gloire, et ce dans l’une des provinces impériales. Le gouverneur local avait porté plainte à la Cour Impériale, exigeant que l’armée intervienne pour balayer les Drow, les troupes locales n’arrivant pas à repousser les Drow. Le hasard, encore une fois, avait voulu qu’un Commandeur de Sylvandell soit dans la région. En effet, le gouverneur ne s’était pas contenté que de demander l’aide de l’Empire, mais avait aussi mis des primes sur les têtes des prêtresses et autres dirigeants des Drow locaux.
C’était à cause de ce Commandeur que ce temple avait été détruit. Les troupes impériales peinaient à avancer dans les galeries souterraines menant au temple des Drow, mais ce Commandeur, ce
maudit Commandeur, avait réussi à trouver le temple, et avait ainsi pu guider les Impériaux au temple. Les Drow s’étaient battus avec une hargne qui avait du honorer bien des Dieux, mais les Impériaux étaient plus nombreux. Le Commandeur était devenu leur leader naturel, supplantant leur capitaine presque instinctivement par sa hargne et sa férocité au combat. Il avait combattu et tué plusieurs prêtresses, et Ithrâwel avait réussi de justesse à s’enfuir. Elle avait néanmoins tout perdu. Toute sa gloire, sa fortune, sa puissance, ses reliques, ses propriétés, ses amants... Tout cela avait disparu, et elle avait réussi à se retrouver dans ce village de mages, niché dans les montagnes, nourrissant une rancœur perpétuelle et éternelle envers Sylvandell. Les mages ignoraient son passé, et elle se faisait passer pour une réfugiée drow. Ithrâwel était en effet une puissante magicienne, mais aussi une fabricante talentueuse de potions. Elle avait donc trouvé sans problème sa place au sein de ce village, et devait sans cesse user de ruse et d’hypocrisie pour que les autochtones ne voient pas à quel point elle les méprisait, les détestait, les haïssait. Elle était forcée de faire l’amour avec leurs hommes pour donner l’illusion, et ce contact la dégoûtait, l’horripilait, accroissant sa haine et sa fureur. Si les elfes n’aimaient que fort peu les humains, qu’ils qualifiaient très affectueusement de «
dh’oines », c’était généralement encore plus intense pour les Drow, et Ithrâwel ne faisait pas exception.
Quand elle vit ainsi, fouillant les boutiques, l’armure dragonique d’un Commandeur, et la femme de la Princesse de Sylvandell, Ithrâwel connut pour la première fois depuis des semaines, depuis qu’elle avait ensorcelé un bon père de famille du village pour qu’il massacre sa famille, une joie intense. Naturellement, elle connaissait Alice Korvander, qu’elle avait rêvé de tuer un jour. A défaut, tuer sa femme serait un bon avertissement, et une douce et sereine vengeance.
*
Mais, si je la tue, le Commandeur me tuera...*
Ithrâwel ne se faisait pas d’illusions. Elle était forte, mais les Commandeurs étaient d’une autre espèce. Elle s’était renseignée sur eux. Ils étaient tous des guerriers excellents. On ne rentrait pas dans la Commanderie Noire ; c’était la Commanderie Noire qui vous invitait à rentrer en son sein. Ashnardiens, Nexusiens, voire même des Tekhanes, ou de simples nomades, la Commanderie Noire était un ordre chevaleresque très autonome, et relativement indépendant, même s’il se composait essentiellement d’Ashnardiens. Un Commandeur était ainsi naturellement puissant, mais ses capacités étaient renforcées par des potions dragoniques dont le dosage était l’un des secrets les mieux gardés de Sylvandell, par une armure faite à base d’écailles de dragons, et on lui conférait le meilleur armement sylvandin. Or, Ithrâwel ne tenait pas à mourir. Pas avant d’avoir pu tuer les Korvander, et ainsi détruire Sylvandell.
Or, elle nota qu’il existait aussi, dans le village, une esclavagiste ashnardienne, de passage. Sur le coup, Ithrâwel manquait d’informations sur cette vampire, mais elle savait que, généralement, les esclavagistes n’étaient pas des enfants de chœur. Elle se mit donc à concocter un plan, et y passa la journée, en créant une potion spéciale, utilisant pour cela tout son savoir drow et toute sa haine. La potion aurait des effets puissants, même s’il était souvent imprévisible. Ce qui était sûr, c’est que Sakura perdrait la mémoire, avec peut-être des effets magiques secondaires. Lorsque la potion fut prête, le soir s’était abattu sur la ville. Le soleil commençait à se coucher. Dans son élégante robe, la Drow sortit de sa boutique, tenant dans ses mains la potion. Elle y avait rajouté des produits pour qu’elle émette de chaudes et tendres odeurs.
Elle trouva la Korvander près de l’eau, nonchalamment allongée sur le sol, et comprit que les capacités terramorphiques de cette dernière n’étaient pas exagérés. Elle avait pris la forme d’une Taigâ, une autre race que la Drow méprisait. Cette dernière s’avança vers elle. Fort heureusement, le Commandeur s’était éloigné, mais elle était sûre qu’il devait rôder quelque part.
«
N’ayez pas peur, noble dame, lâcha la Drow sur un ton sensuel en s’approchant d’elle,
je viens vous offrir un présent. »
La Drow s’était parfumée pour la rendre plus attirante. Elle s’avança près de Sakura, et lui montra sa potion :
«
Tenez, c’est pour vous. Cette noble potion a été concoctée avec tout mon amour. Je suis une spécialiste de la magie rose, des charmes, de l’envoûtement. Elle vous permettra, entre autres choses, de lutter contre les effets de la fatigue. Elle ne vous coûtera rien. Buvez-en une gorgée, et vous en ressentirez les effets, belle créature. »