Acte Premier : Quand un salaud et une garce se rencontrent, que se disent-ils ?
Chapitre Sixième : Soulagement.
Il n'y tenait plus. Ce froid commençait véritablement à lui glacer les entrailles. Il joignit les mains pour commencer à les frotter entre elles, espérant chasser un peu de l'engourdissement qui commençait à endolorir ses membres. Il lui fallait toutefois continuer à faire bonne figure devant cette inconnue, même s'il ne rêvait plus que d'une chose en ce moment... L'enfer. Il était censé y faire chaud. Et même s'il devait subir les flammes de la damnation éternelle, chose qui lui arrivera de toutes façons, au moins serait-il au chaud pour l'éternité. A vrai dire, il considérait l'enfer comme un concept très surfait, le vivant déjà en partie sur Terre, ça ne devrait pas beaucoup le changer, surtout dans sa condition de Démon.
En effet, après avoir passé ce pacte avec ce Démon et lui avoir vendu son âme, il lui promit que dans la mort il renaîtrait sous la forme d'un Démon, pour lui permettre de le servir pour l'éternité. Toutefois, il ne pourrait pas renaître s'il venait à se donner volontairement la mort, celle-ci devrait intervenir d'une façon naturelle. La pensée de servir ce démon lui glaça encore davantage le sang alors qu'une bourrasque de vent de manifesta. Reportant son regard sur la mystérieuse femme dont il ignorait encore le nom, elle répondit à la provocation, toujours avec ce ton affreusement condescendant, un pur délice :
« Vous voyez, je suis encore pourvue de ce que l'on appelle communément un cerveau. Me croyez-vous assez stupide pour vous emmener chez moi ? »
C'était encore raté. Il fallait bien s'y attendre. Il avait balancé cette phrase bien plus dans l'espoir d'exaspérer son interlocutrice que dans celui qu'elle le conduise vraiment chez elle. Pourtant, il aurait apprécié trouver un endroit plus chaud. Mais à peine eût-elle terminé de prononcer sa phrase qu'elle s'avança de nouveau vers lui, caressant son torse avec lenteur avant de lui glisser à l'oreille, éveillant de nouveau ses sens et ces pulsions qu'il eût bien du mal à réfréner :
« Qui sait, vous seriez susceptible de me dévoiler ce qui demeure chez vous, bien plus excitant que d'écrire quelques mots à votre sujet... Voyons, ça serait bien trop risqué mon mignon... »
Elle le provoquait clairement. Mais cette ruelle n'était pas le lieu idéal pour lasser libre cours à la violence qui tambourinait à ses tempes. Laissant ses lèvres s'étirer en un sourire carnassier, laissant présager une suite bien plus animée qu'il aurait pu l'imaginer. Alors qu'elle allait s'éloigner de nouveau, espérant reprendre ce petit jeu du chat et de la souris, il vint de nouveau saisir son poignet, la gardant à une faible distance de lui, pour lui glisser en réponse, toujours avec ce même sourire plutôt inquiétant pour le commun des mortels :
« Vous seriez presque crédible en vierge effarouchée... »
Puis, il reprit, à son oreille, d'un ton très largement entendu :
« Presque. »
Alors qu'elle se dégageait de l'étreinte de sa main, elle s'éloigna quelque peu en ne manquant pas de mettre un coup de pied dans les chaussures dont elle venait de lui faire don un peu auparavant. Caractérielle, arrogante, provocante, sensuelle, tout chez cette femme inspirait le désir chez Vael, là où tant d'autres l'auraient trouvée insupportable, lui ne pouvait guère se passer de ce petit jeu auquel elle se livrait en sa compagnie. Et il ne lui semblait pas se tromper lorsqu'il pensait qu'elle y prenait également beaucoup de plaisir.
Elle s'était avancée dans la ruelle, désignant un peu plus loin un grand bâtiment. Il s'agissait d'un grand hôtel, dont l'éclairage illuminait véritablement la rue. Elle semblait vouloir y aller, nous évitant ainsi d'aller chez elle. Elle ne tarda donc pas à lui expliquer son projet :
« Que diriez-vous de continuer cette conversation dans le grand hôtel près de la grand rue ? Le hall est fort spacieux, nous n'aurons aucun mal à nous sentir à l'aise et s'il vous venait l'envie d'y passer la nuit, je suppose que de nombreuses chambres pourraient vous accueillir. »
Il fronça de nouveau les sourcils devant sa dernière remarque. Comment pouvait-elle déduire qu'il n'avait pas de domicile fixe. Non pas qu'il n'en eût pas les moyens d'ailleurs, mais c'était plutôt une mesure de sécurité, ne pas avoir d'attaches était la meilleure façon de rester indétectable. Les attaches ne s'entendaient d'ailleurs pas uniquement au sens matériel du terme d'ailleurs, il s'interdisait bien-sûr d'avoir toute relation amoureuse sérieuse ou encore une quelconque famille. Les moyens de pression sur lui seraient trop nombreux et il n'avait guère envie de s'encombrer l'esprit de telles broutilles, il avait déjà fort à faire.
Il acquiesça devant la proposition de la jeune femme, ce n'était vraiment pas le moment de faire le fier, il allait véritablement bientôt s'écrouler d'hypothermie si cela continuait ainsi. Comme pour l'encourager la pluie commença à tomber, achevant de le convaincre de suivre la mystérieuse femme vers cet hôtel, elle l'incita finalement à la suivre :
« Pas que je n'aime pas me sentir mouillée, mais je serais d'avis que vous acceptiez ma proposition sur le champ ! Voulez-vous que nous y allions sur mon balai ? »
Il n'eût pas la temps de répondre qu'elle était déjà partie vers l'hôtel, pressant le pas. Il siffla dans sa barbe quelques mots en se dirigeant vers les chaussures :
« Elle est incroyable. »
Il enfila les chaussures, il ne pourrait de toute façon pas rentrer dans cet hôtel pieds-nus, il serait inévitablement refusé. Il accéléra alors, bientôt trempé par la pluie qui tombait en trombes depuis seulement quelques instants. Il courut alors vers l'immense bâtiment dont l'architecture moderne contrastait fortement avec le quartier plus traditionnel dans lequel ils se trouvaient. C'était bien là tout le charme du Japon, ce mélange de modernité et de traditionnel, c'était véritablement une chose à laquelle était sensible. Il n'eût toutefois pas le temps de s'attarder pour contempler l'édifice, tant la pluie tombait drue. Il rentra donc précipitamment dans le grand hall de l'hôtel.
Il prit cette fois un instant pour contempler l'intérieur du bâtiment dans lequel il n'était jamais rentré. Le sol était en marbre ainsi que les colonnes décoratives qui donnaient immédiatement un certain cachet à l'établissement. Le long tapis rouge, qui menait vers la réceptionniste, contrastait fortement avec le froid du marbre. Mais plus encore que le décor, ce fût le chaleur qui marqua le plus Vael. Enfin, il se sentait revivre. Il secoua rapidement la tête pour retirer le maximum d'eau qui se trouvait dans ses cheveux avant de réajuster la veste de son costume et de marcher vers le bar où devait sans doute l'attendre la jeune femme.
Avant de se diriger vers celui-ci, il se décida à faire un détour vers la réception. S'adossant au comptoir, il demande à la réceptionniste, d'un ton impérieux :
« Une chambre. »
Celle-ci ne se laissa pas démonter, sans doute habituée aux snobs et autres insupportables personnalités de la haute société, elle demanda donc, d'un ton égal :
« Monsieur en prendra une pour combien de personnes ? »
Il patienta un instant avant de donner sa réponse, hésitant un moment avant de lui délivrer un large sourire, qu'elle ne comprit pas, puis enfin il répondit :
« Pour deux personnes. »
Elle lui tendit les clés, qu'il enfourna dans sa poche. Il se mit donc en marche en direction du bar. Il marchait de son pas tranquille, ne se pressant pas malgré l'excitation de la retrouver après une pourtant bien courte absence. Il se tenait prêt à essuyer une remarque, à laquelle il faudrait qu'il réponde mais elle était ainsi, et lui aussi, ces joutes verbales étaient le témoignage d'un intérêt réciproque. Elle était bien au bar, assise, les jambes croisées sur son tabouret. Son regard remonta lentement le long de celles-ci, à mesure qu'il s'avançait vers elle. Il vint alors prendre place à ses côtés, faisant signe au barman de venir prendre sa commande et celle de sa compagne.
Il commanda pour sa part un martini blanc. La pièce était véritablement chaleureuse, la lumière tamisée, les couleurs dominantes rouge et pourpre, donnait envie de rester ici. Ce qu'il était bien décidé à faire. Il devrait toutefois prendre garde à ne pas parler trop fort ici, des oreilles indiscrètes pourraient bien les entendre, ce qui serait fâcheux. Alors qu'on leur servait les verres, il se pencha quelque peu pour mettre quelques petites choses au point :
« Pour commencer, je n'habite nulle part, parce que je ne suis personne. Je ne tiens en aucun cas à être retrouvé, ce que vous pouvez aisément comprendre, j'en suis certain. Par ailleurs, j'ai uniquement mis les chaussures pour pouvoir pénétrer ici, ça ne signifie pas que je crois à votre histoire rocambolesque. Pour terminer, vous avez des jambes délicieuses. »
Il se remit d'aplomb, prenant son verre pour en boire un gorgée avant de reporter son attention sur la mystérieuse inconnue. Il commençait à se sentir las de ce petit jeu et voulait désormais en savoir davantage sur elle, et surtout d'où lui venaient ces pouvoirs, qu'il n'arrivait décidément pas à concevoir. Il attendit donc patiemment, comme il le fit toute la soirée, qu'elle aborde de nouveau ce sujet épineux. Ce besoin de tout comprendre et de tout contrôler était véritablement quelque chose de maladif chez lui et un trait de sa personnalité qu'il lui était impossible de contrôler.