Il pleut, il pleut, il mouille...

... c'est la fête à la grenouille ♫ ♪ ♫



Loona s'ennuyait, cet après-midi. Assise sur le rebord de la fenêtre, elle regardait sans grande conviction les gens défiler, sortant du boulot pour la grande majorité, tantôt neutre, tantôt maussade, mais rarement souriant. C'était triste de voir à quel point la société n'avait pas de problème à façonner ses moutons, à leur mouler un mode de vie qui les empêchait de vivre pleinement. Un moule dont s'était allégrement défait Loona, lui permettant de mener sa vie comme elle l'entendait. À commencer par le lycée, qu'elle avait arrêté de fréquenter. Elle tourna légèrement la tête, jetant un oeil à l'intérieur de son appartement temporaire. 16h12. La pendule indiquait qu'il lui restait un bon quart d'heure... ce devrait être suffisant pour rejoindre le lycée. Parfait.

Elle sauta d'un bond et se réceptionna sans problème, passant du deuxième étage au jardin, sous le regard médusé des spectateurs. Ce genre d'acrobatie n'était pas à la portée de tout le monde, loin de là, mais Loona avait beaucoup d'expérience dans le domaine. Elle se dirigea d'un pas souple vers sa destination, et s'arrêta devant le grillage de l'école. Fermé. Enfin, pas pour elle... Elle contourna l'enceinte du lycée, décidée à escalader la grille en passant par derrière. Au passage, elle vola deux petites bouteilles d'eau à l'épicier du coin, profitant de son invisibilité pour passer inaperçue durant les quelques secondes qui lui ont suffit à son larcin. Des remords ? Aucun. Et puis, ce n'était que de l'eau, pas de quoi provoquer une faillite non plus.

Elle grimpa ensuite le grillage qui la séparait de la cour du lycée, avec une agilité presque féline, se retrouvant ainsi de l'autre coté. Et personne en vue, sauf peut-être à travers les fenêtres mais cela n'avait pas grande importance. Ce n'était pas les élèves flâneurs qui allaient lui causer des soucis, n'est-ce pas ? Elle s'avança jusqu'au bâtiment principal, et monta quatre à quatre les escaliers qui la menèrent jusqu'au dernier étage. Et maintenant ? Il lui fallait monter sur le toit... Rien de plus simple, pour la jeune vagabonde. Passant par la fenêtre de secours, elle grimpa sans difficulté à la gouttière, escaladant le peu qu'il lui fallait pour atteindre le sommet. A peine eut-elle le temps de s'asseoir sur le rebord du toit, les jambes ballotant dans le vide, juste au dessus de la sortie du bâtiment, que la sonnerie stridente du lycée brisa le silence, annonçant aux élèves (ou du moins à la plupart) qu'ils étaient maintenant libre de rentrer faire leur devoir chez eux.

Et la jeune ESPer était pile à l'heure et aux premières loges pour voir le troupeau d'élève se ruer vers la sortie. Le bouchon de l'une des bouteilles sauta, et Loona se désaltéra un peu avant que le flot d'élève ne s'épaississe. Un sourire mauvais étira ses lèvres. Ça allait être amusant. D'un ample geste de la main, elle versa au loin une bonne quantité d'eau, suffisamment pour arroser les élèves qui se trouvait en dessous. Elle réitéra son geste une seconde fois, et une troisième, épanchant le reste de la bouteille sur les lycéens innocents, qui vociférait des insultes et de vaines menaces à son encontre. Mais ce n'était même pas sûr que Loona les ai entendu, tant elle riait ! On aurait dit des fourmis qui déambulait, perdues et paniquées après que leur fourmilière eut été détruite, c'était hilarant !

Elle aurait droits à des représailles ? Sans doute, mais ce n'était pas ces avortons qui allaient lui faire peur, elle en avait maté de plus coriace quand même. Elle ne s'arrêta d'ailleurs pas là, elle avait encore des munitions en réserve, enfin une dernière, et sans hésiter, elle la jeta au loin. La bouteille voltigea quelques instants et s'écrasa au sol, explosant en de puissantes gerbes d'eaux qui achevèrent de submerger les malheureux élèves. Elle riait encore, en pleurait presque, c'était si amusant de voir leur mines frustrées et leurs réactions outrées !

Mon job de concierge au lycée m'avait permis de me faire une place dans la société. Ça me permettait d'occuper mes journées et de mater impunément les lycéennes aux tenues assez courtes. Bon, si on omettait certaines personnalités qui s'émancipaient d'elles-mêmes de l'uniforme réglementaire, voir des mini-jupes tout le temps, c'était plus que sympa. En plus, on me payait pour ça. J'avais trouvé l'Enfer sur Terre. Et grâce à une charmante lycéenne, du nom de Neena, en plus. Bref, j'étais heureux.

J'avais eu très peu de soucis, pour l'instant. Quelques jeunes qui fumaient des pétards dans les toilettes, un couple un peu trop exhibitionniste (je m'étais d'ailleurs tapé la demoiselle juste après les avoir séparés) et un pseudo-attentat avec des pétards constituaient la totalité de mes hauts-faits de guerre. Mais visiblement, une nouvelle menace se présentait à l'horizon. Des cris d'indignation et des protestations retentissaient dans la cour de l'école.
Un rapide coup d'œil avait suffi à m'apprendre que quelqu'un s'amusait à leur lancer de l'eau. Presque naturellement, mon regard s'était tourné vers les fenêtres des étages. La plupart étaient fermées et celles qui étaient ouvertes semblaient calmes. Ce ne fut qu'après avoir reçu l'équivalent d'un bol d'eau sur le coin du visage que je compris. Le toit. On pouvait distinguer une silhouette qui se dessinait au sommet de l'édifice. Le visage trempé, la chemise imbibée de flotte, une furieuse envie de massacrer du lycéen au cœur, je rentrai dans le bâtiment et commençai à monter les escaliers quatre à quatre.

Les couloirs étaient déserts, comme si les rats avaient fui le navire avant qu'il ne coule.
Quelqu'un était allé sur le toit ? Eh, on m'avait demandé de verrouiller les accès, depuis une tentative de suicide assez minable - le type en question avait eu la trouille de sauter et s'était pissé dessus. Si quelqu'un avait volé mes clés...
En arrivant devant le seul accès au toit, je constatai avec une certaine pointe d'incompréhension que le cadenas était encore bien présent.

*C'est quoi ce merdier ?* songeai-je en arrachant littéralement le verrou, sans prendre le soin d'utiliser mes clés.

Il y avait bien quelqu'un, sur le toit. Une lycéenne, à la tenue plutôt légère. Minimaliste, en fait. Mais très colorée. Mon regard ne s'attarda cependant pas tellement sur ses vêtements, mais plutôt sur le reste de son corps. Elle riait à gorge déployée. Visiblement, c'était elle la fautive.
Je me raclai la gorge et adoptai un air sévère, avant de lui lancer ma chemise sur le visage.

- Tu comptes me payer le pressing, p'tite rigolote ?

Sous un sublime ciel bleu, une légère brise s'éleva, faisant voleter avec grâce sa chevelure autour d'elle. Loona riait, un rire cristallin, aussi naturel que celui d'un enfant, profitant sans se priver du comique de la situation. Elle riait tant et si bien qu'elle n'entendit pas le verrou de la porte sauter, ni les bruits de pas rageur de l'une de ses victimes. Il faut dire aussi que le spectacle qui se déroulait en contrebas avait capté toute son attention. Les insultes en tout genre n'avait pas cessé de fuser, pas plus que les menaces, qui n'avaient aucune emprise sur elle mais dont elle appréciait leur virulence. Aussi, elle ne se rendit pas compte qu'elle n'était plus toute seule, en haut de ce toit, jusqu'au moment où une ombre venue de nul part vint l'assombrir. Surprise, ses réflexes parlèrent avant elle, et Loona se leva d'un bond, faisant volte-face à cette présence inattendue.

~ Tu comptes me payer le pressing, p'tite rigolote ?

L'inconnu s'était racla la gorge pour se donner une contenance, et affichait un air qui se voulait sévère. Loona attrapa au vol la chemise qu'il avait balancé, sans difficultés, et la jeta au sol sans plus de considération. Sa manière d'essayer de jouer les durs la fit doucement rire. Il n'avait certes pas l'air très commode, encore moins avec son gabarit plutôt massif, mais l'apparence ne définissait pas un individu, et elle ne comptait courber l'échine pour un prétexte aussi... superficielle. *S'il croit m'impressionner, c'est raté.* pensa-t-elle.

~ C'bout d'tissus moisi ?

Avec le plus grand dédain, elle marcha sur la chemise, la piétinant, avant de l'envoyer valser par delà le toit d'un simple mais agile mouvement de jambe. Elle atterrit d'ailleurs en plein dans la poubelle qui se trouvait au sol, au coté des restes de la cantine et des résidus de dissection des cours de biologie. Elle trancha alors, avec toute l'insolence qui la caractérise.

~ Et hop, plus d'chemise ! T'auras plus à pleurnicher pour tes frais d'pressing, t'es content ?

Elle ajouta ensuite, sur un ton tout aussi sec.

~ T'es encore là, toi ? Va jouer les playboys ailleurs.

Et elle se retourna, avant de s'accroupir près du rebord, ne lui accordant plus d'attention. Elle n'était pas totalement inconsciente non plus, et surveillait les gestes de l'homme du coin de l'oeil, on n'était jamais à l'abri du moindre débordement.

Loona aimait se montrer provocante, impertinente, ne serait-ce que pour se délecter des air choqué ou frustré qui en résultaient, de voir ceux qui en était victime perdre patience et fulminer de rage. Jamais rien ni personne n'avait pu lui faire regretter un tel comportement, alors pourquoi devrait-elle faire l'effort de calmer ses envies ? Et puis, elle trouvait ça... très amusant.

Après avoir rattrapé ma chemise, elle la jeta par-dessus le toit, la faisant atterrir dans une poubelle située plus bas.

- Et hop, plus d'chemise ! T'auras plus à pleurnicher pour tes frais d'pressing, t'es content ?


Visage renfrogné, dents serrées et passablement énervé par l'incident, je dus faire un gros effort de self-control pour ne pas envoyer la lycéenne suivre ma chemise. Pas qu'elle me plaisait particulièrement, mais j'étais torse nu, du coup.

- T'es encore là, toi ? Va jouer les playboys ailleurs.

Elle était belle, mais peut-être un peu trop arrogante. Jouer les playboys ? Ps. Comme si j'étais intéressé. Quoique...

Prenant sur moi-même, je décidai de laisser passer. Puis je m'approchai du rebord en fixant les élèves qui continuaient de jeter des regards interrogateurs et furieux dans notre direction. L'un d'entre eux avait ramassé ma chemise et la regardait avec un air intrigué. Il jeta un rapide coup d'œil autour de lui et récupéra le vêtement, qu'il mit en douce dans son sac.

*P'tit con, j'vais t'apprendre à récupérer ma chemise. Enfin, pas tout de suite. D'abord, trouver une punition pour celle-là.*

Puis je me retournai vers la fautive en me redressant.

- J'aime pas vraiment jouer les redresseurs de tort, c'est pas tellement dans ma nature, mais je suppose que j'fais partie des gens qui doivent prendre des décisions quand un élève du lycée fait des conneries. Et balancer des bouteilles depuis le toit, ça fait partie des conneries dangereuses. Sans compter le fait que t'as manqué de respect à un membre du personnel...

Puis je réfléchis.

Peut-être que je pouvais la force à copier des lignes ? Non, c'était trop gamin, et trop facile de contourner la punition.
Lui faire faire des pompes ? On me virerait pour un truc comme ça.
Lui faire nettoyer la cour ? C'était de l'eau, pas besoin de nettoyer.
La faire s'excuser auprès des victimes ? Trop chiant de retrouver tout le monde, pas que ça à faire.
Lui demander de me racheter une chemise ? Pour ça aussi, on me virerait.
Pas la peine de songer aux punitions du genre "claques dans la gueule" ou "taper les doigts avec une règle", c'était la porte assurée.

Dépité, je me tournai vers elle, mon visage exprimant la fatigue de réfléchir, la lassitude de punir et surtout le manque de motivation flagrant.

- T'as pas une idée de punition ?

Loona était prête à faire face à toutes les éventualités. Elle était accroupie, en une position de faiblesse feinte, mais ses réflexes étaient en alertes, et l'ESPer n'hésiterait pas à bondir au moindre geste brusque. Elle attendait juste sa réaction, dont elle se délecterait, dans l'expectative de la tournure que prendrait la suite des évènements... Mais, à sa grande surprise, aucun éclat de voix ne se fit entendre, aucun geste rageur non plus, si ce n'était le visage du jeune homme qui se durcit perceptiblement, renfrognée et irritée, ce qui était compréhensible. Mais il n'y avait là aucun excès, et la jeune ESPer fut assez étonnée de la maitrise de soi dont il faisait preuve. Probablement même un peu épatée. Un peu.

~ J'aime pas vraiment jouer les redresseurs de tort, c'est pas tellement dans ma nature, mais je suppose que j'fais partie des gens qui doivent prendre des décisions quand un élève du lycée fait des conneries. Et balancer des bouteilles depuis le toit, ça fait partie des conneries dangereuses. Sans compter le fait que t'as manqué de respect à un membre du personnel...

Loona se retourna, toisant son interlocuteur en souriant légèrement. *Ça me fait une belle jambe* songea-t-elle. Le fait qu'il soit un membre du personnel... elle s'en fichait royalement, au fond. Quant à ses bêtises, elle n'avait blessé personne, pas de quoi en faire un drame. Elle détestait les moralisateurs qui pensaient savoir tout mieux que tout le monde, et se permettaient de donner des leçons. Mais cette homme ne semblait pas être de ce genre là. En réalité, il avait même plutôt la carrure du loubard de service. Il était torse nu, et Loona pouvait constater avec une certaine satisfaction que sa musculature était harmonieusement développée, si bien que cela ne pouvait être le simple fruit d'une utilisation intensive de la salle de musculation, sans compter le pansement qui se trouvait sur son torse, sans doute suite à une blessure. Cela lui donnait un coté... viril, pas déplaisant du tout.

~ T'as pas une idée de punition ? - lacha-t-il, visiblement un peu abattue.

Loona pouffa de rire, brièvement, avant de rétorquer, le regard malicieux.

~ Une punition ? Tu peux tout de suite oublier, mon mignon. Sauf si ça t'plairait de voir ton autorité bafouée, mais ça j'en doute, mmh ?

Elle s'assit sur le sol, les genoux replié vers elle, qu'elle serrais dans ses bras. Quittant des yeux le jeune homme, son regard se perdit au loin, par delà les ternes bâtiments qui monopolisaient la vue, par delà l'horizon qu'ils cachaient. Une nouvelle brise s'éleva, faisant flotter la chevelure de l'adolescente. Elle ajouta.

~ T'es pas vraiment le genre de mec qui aime faire respecter la loi, j'me trompe ? Qu'est ce que tu fais là ? Ça a pas l'air d'être un job pour toi...

- Une punition ? Tu peux tout de suite oublier, mon mignon. Sauf si ça t'plairait de voir autorité bafouée, mais ça j'en doute, mmh ?
me lança la jeune femme.

Je haussai simplement les épaules. Conventionnellement, mon rôle était de faire respecter cette autorité, justement. Mais en tant que vigile en boîte de nuit, si on vous demande de taper un enfant un peu trop insistant, vous aurez pas forcément envie de le faire. Sa blague, certes dangereuse, aurait pu s'avérer pire. Lancer des bouteilles de verre, par exemple. Ou d'autres trucs plus conséquents : caillasses, livres et plein d'autres choses encore. Elle reprit la parole.

- T'es pas vraiment le genre de mec qui aime faire respecter la loi, j'me trompe ? Qu'est ce que tu fais là ? Ça a pas l'air d'être un job pour toi...
- C'est si flagrant que ça ? grommelai-je en jetant un regard interrogateur à la lycéenne. Non, effectivement, c'est pas un job pour moi mais faut bien vivre, hein...

Probablement pas vivre dans le même sens qu'elle pensait, en fait. Les humains avaient besoin de jobs, parfois ingrats, pour survivre en achetant des vêtements, à manger, de l'électricité... Enfin bref, la vie humaine, quoi. Moi, c'était pas pour gagner de l'argent qui me pliais aux règles de l'établissement scolaire. Non, c'était plutôt pour me fondre dans la masse, détailler et comprendre les mœurs des humains. Ma mission de retrouver et tuer les anges serait encore plus facile, comme ça.
Décidé à ne cependant rien dire à une inconnu, je finis par prétexter :

- J'aime bien mater les lycéennes.

Maladroit, sans doute pervers, mais c'était la première raison potable qui m'était passée par la tête. Logique, puisque c'était un puissant facteur motivant à mes yeux. Presque autant que l'insertion dans le monde humain. Soupirant, je commençai à faire demi-tour.

- Les salles de sport ont besoin d'être rangées. Ce soir, 18h pétante. Si tu veux bien pas, c'est pas grave, je dirai que tu m'auras pas écouté. J'ai pas tellement envie de te courir après pour une broutille comme ça.

Toujours en m'éloignant, j'ajoutai rapidement :

- La prochaine fois, essaie les ballons remplis d'encre, c'est moins douloureux quand les élèves s'en prennent un sur la tête. Et c'est plus marrant.[/red]