Jouir en Kiriko, encore et encore, avait été, pour Daphnée, un plaisir immense. Elle la libérait donc, car elle savait que Kiriko était une sorcière fidèle, une cultiste obéissante et aimant sa Déesse. Il fallait donc qu’elle soit près d’elle, qu’elle dorme contre elle. Daphnée le comprenait, car elle ressentait la même chose les rares fois où la Déesse Lust honorait ce temple par sa présence. Sans surprise, Sya en avait profité, espérant obtenir une nuit intense avec Kiriko, mais la Celkhane, têtue et fière, avait d’autres impératifs. Elle délaissa donc les deux femmes, retrouvant son chemin le long du temple de Lust, afin de retrouver son amour. Restée seule avec Sya, Daphnée regarda brièvement le miroir, en caressant le reflet. Non… Ce n’était pas encore fini avec Kiriko. Elle comptait bien profiter encore un peu de cette Celkhane, surtout si elle et sa Déesse étaient appelées à séjourner ici durant la durée des Épreuves. Kiriko était forte, et, même si ses adversaires étaient forts, Daphnée était confiante en elle. Il était peut-être bien possible que cette femme finisse par réussir, et par vaincre tous ses adversaires.
*
Oui, c’est une hypothèse qui m’apparaît comme étant de plus en plus sérieuse… Elle a réchappé à Rose Red, après tout.*
Daphnée reporta alors son attention sur Sya, et un sourire vicieux éclaira les lèvres de Daphnée. Sa verge, trempée, était toujours dressée.
«
Ne t’inquiète pas, Sya, je pense que je saurais faire un lot de consolation tout à fait satisfaisant pour la petite pute que tu es… »
La nuit était peut-être finie pour Kiriko… Mais elle ne l’était pas encore pour Daphnée. Loin de là, même.
«
Elle a réussi… Elle a survécu à Rose Red ! -
Nous avons sous-estimé la puissance de cette femme. Une erreur qu’il ne faudra pas renouveler. »
Dans les sinistres catacombes de Wallündrill, sous les profondeurs de la montagne, les deux hommes avançaient. Rien ne semblait pouvoir stopper cette maudite Celkhane, cette arrogante sorcière. Jiphiera avait échoué, et leur nouvel élu venait également de subir la juste rétribution pour son incompétence. Nurgle ne tolérait pas la faiblesse. Il était incompréhensible que la sorcière ait réussi à s’enfuir, qu’elle ait réussi à vaincre le sortilège pesant sur Rose Red. Les choses avaient échappé à leur contrôle. Tzezakyël, leur champion, avait été influencé par l’aura néfaste de Rose Red, et, plutôt que de s’allier avec Ulkair pour vaincre la Sorcière, il avait choisi de se heurter à lui, de remplacer le Gardien de Rose Red, de s’accaparer ce pouvoir.
Nurgle était mécontent. Ses deux champions s’étaient battus entre eux, offrant à la Succube l’opportunité de sauver la Sorcière, et à Sha l’occasion d’intervenir en personne, profitant du tumulte pour affronter Ulkair. Un affrontement colossal. Tzezakyël avait réussi à s’enfuir, mortellement blessé, et l’Ombre avait vaincu Ulkair, puis libéré April. Rose Red avait été détruite, et Nurgle avait fait souffrir ses prêtres. Tzezakyël avait été tué, et son âme était maintenant entre les grasses mains de Nurgle, tandis que les prêtres avaient également souffert. Le fait qu’ils soient encore en vie signifiait toutefois que Nurgle n’en avait pas encore fini avec eux, et qu’il comptait sur eux, malgré leur incompétence chronique, pour accomplir une tâche relativement simple : tuer la Sorcière.
«
Il est impératif que la Sorcière ne gagne pas… Le pouvoir de tous ses croyants pourrait permettre à l’Ombre de retrouver son ancienne puissance, et ses souvenirs ! -
Elle aurait dû mourir ! Quelle Épreuve lui mettre, si elle a survécu à Rose Red ?! Elle a survécu à notre Dieu ! »
Le prêtre se retourna vers son collègue, fronçant les sourcils… Était-ce de l’insubordination envers Nurgle qu’il devinait dans ses propos ? Cependant, il pouvait comprendre ses hésitations… Rose Red était marquée de l’empreinte de leur Maître, de leur Dieu. Or, Hattori en avait réchappé. Sha était soutenue par d’autres divinités, comme Lust, ce qui faisait que l’attaquer serait difficile. Le temple de Lust était bien protégé, mais les prêtres réfléchissaient très sérieusement à la perspective d’une attaque dans le temple.
Leurs pas cadencés résonnaient le long des sinistres et étroits boyaux et corridors faisant office de couloirs. Ils avançaient le long de tranchées bétonnées, êtres nimbés de noir dans une atmosphère sombre et putride. Les cadavres de Wallündrill s’empilaient ici, ainsi que les ruines de l’ancienne cité. L’histoire de cette cité libre et souveraine était riche, et la ville, par sa position de carrefour commercial, avait déjà engrangé bien des épidémies, ou bien des révoltes, des tentatives de putsch menées par des familles contre d’autres familles. Les sous-sols de la ville illustraient cet état de fait. Les cadavres avaient été balancés dans de profonds puits, et avaient rebondi contre les murs pour atterrir dans ces lointaines et poussiéreuses grottes, où peu de gens se rendaient. Là, les monstres se nourrissaient de leurs cadavres : goules, graveirs, noyeurs… Un écosystème pullulait ici, un écosystème fait de souffrance, de misère, et de puanteurs asphyxiantes. À leur approche, les goules fuyaient, les noctules restaient dans l’ombre, et les noyeurs grognaient en partant.
«
Pour l’heure, il nous faut un nouveau Prophète… Et, dans son immense générosité, Nurgle a consenti à nous offrir un nouveau candidat. -
Nurgle en personne ? -
Après l’échec de Jiphiera et de Tzezakyël, Nurgle pense que l’Orbe sera mieux entre les mains d’un champion qu’il a sélectionné lui-même. »
L’autre ne répondit pas, mais le prêtre sentit les doutes peser dans son esprit, ce qui l’énerva. Remettre en doute la justesse de Nurgle était une faute grave, un péché. Dans leurs prières, dans leurs rêves et leurs délires enfiévrés résultant des scarifications et des mutilations qu’ils s’étaient infligés pour pouvoir se racheter auprès de Nurgle, ils avaient entendu la voix courroucée de ce dernier, leur disant où trouver leur nouveau guide. Les deux prêtres allaient donc le voir, afin de lui transmettre l’Orbe.
Ils descendirent d’étroites marches en colimaçon, et commencèrent à voir les cadavres. Le Champion était là depuis plusieurs heures, et s’amusait avec les monstres. Il avait massacré de multiples noyeurs, ainsi que de redoutables goules… Le tout sans aucune arme. Des traces de sang éclaboussaient les murs, le sol, le plafond… Un être puissant, fait de rage,e t, alors qu’ils marchaient, ils purent entendre des bruits, des sons diffus venant de loin. Des chocs sourds.
«
Il est par là… »
Les deux hommes s’avancèrent un peu plus, et entendirent un choc violent. Un homme passa au travers d’un mur, atterrissant dans une salle devant eux. Il était nu, ensanglanté, son corps traversé de son sang et de celui de ses ennemis. Un massif
graveir apparut par le mur défoncé, et son poing fila vers la tête du Champion, qui l’évita en roulant sur le côté. Le graveir, massif, faisant deux mètres de haut, se retourna, et tenta de fracasser le crâne de l’homme. Le Champion, vif comme un serpent, bondit entre ses jambes, puis se releva dans son dos. Il tenait entre ses doigts ensanglantés un silex tranchant, et frappa avec la jambe du graveir, le forçant à plier le genou en hurlant.
Sans attendre plus longtemps, le Champion tenta de contourner son ennemi, mais ce dernier réussit à attraper son cou entre ses deux mains, et le plaqua violemment contre le mur, l’étouffant. Les deux prêtres, prudents, choisirent de ne pas intervenir, afin de voir si cet homme était aussi doué que ce que Nurgle prétendait. Ils le virent se tortiller contre le monstre, et ses deux mains se posèrent sur le visage de la bête… Puis ses pouces s’enfoncèrent dans ses yeux. Le graveir hurla en se reculant, portant sa main à ses yeux. Le Champion tomba sur le sol, n’attendit pas plus longtemps, et bondit en hauteur, puis enfonça son silex dans l’un des yeux du monstre. On put entendre un bruit visqueux d’éclatement quand la pierre polie s’enfonça dans l’orbite du monstre, et ce dernier hurla à la mort, avant de s’enfuir. L’homme aurait pu le poursuivre, mais il tourna sa tête vers les deux prêtres.
«
Champion de Nurgle, entama l’un des prêtres,
je te prie de bien vouloir récupérer cette Orbe… »
Le prêtre sortit de ses longs doigts salis et griffus un orbe noir. Si l’homme était un usurpateur, l’Orbe le détruirait. Après quelques secondes d’observation, l’individu, au visage méconnaissable, maculé par le sang, tendit sa main, et attrapa l’Orbe… Qui se mit alors à luire, des volutes noires se mettant alors à danser autour de l’homme, avant de le frapper de plein fouet.
«
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »
Il se mit à hurler de douleur, mais l’orbe s’enfonçait dans sa paume. Ses veines furent traversées par un liquide noir, visqueux et dangereux, et ses pupilles se mirent alors à luire, se recouvrant pendant quelques secondes d’un noir immaculé… Puis la transformation fut achevée, et celui que les compétiteurs appelaient l’Étranger se reforma sous les yeux ravis des prêtres.
«
Parfait… -
Il est temps pour toi d’accomplir la Volonté de Nurgle, ô Champion… -
Oui… Tu as raison, Prêtre. Nurgle a un message pour vous. »
Mirmirion tendit alors sa main, et le bâton magique, au sommet duquel se trouvait l’orbe de magie noire, s’illumina, puis répandit dans la pièce d’intenses flammes noires aveuglantes. Les prêtres poussèrent des hurlements de douleur en sentant leur chair se ratatiner sur place, leurs yeux fondre dans leurs orbites, leurs vêtements disparaître… Puis il ne resta plus d’eux que des os brisés. Mirmirion les regarda sans rien dire, puis s’avança. La mort aidait à changer de perspective, et la possibilité de se venger de Kiriko, de cette salope de sorcière, était suffisamment tentante pour que Mirmirion voue son âme à Nurgle.
Il tenait enfin sa vengeance, et il comptait bien briser en mille morceaux cette maudite femme qui avait osé le tuer.
« …Quant aux sorcières, toutes les punitions que l’on peut leur infliger en les brûlant à petit feu ne sont pas grand-chose, et moins douloureuses que les tourments que Satan leur a fait endurer sur cette terre, sans même parler de l’agonie éternelle qui les attend en Enfer…
- Brûlez la Catin ! Brûlez les Salopes !
- Sorcières ! Sorcières ! »
Par-delà les clameurs et les vivats de la foule en furie, la voix de l’Inquisiteur résonnait, une voix de stentor, forte et audible, tandis que les flammes du bûcher commençaient à s’animer.
« Cette phrase vient de Jean Bodin lui-même ! Un jurisconsulte, chargé de faire respecter la loi ! Le jugement de Dieu rejoint celui de l’Homme, ainsi que le préconise les Saintes Écritures ! Aucun mot n’est assez fort pour décrire la corruption qui hante les cœurs de ces pécheresses.
- L’Église a les mains propres, ce bûcher est du ressort des autorités séculières » intervint, assis sur sa chaise, le prêtre, gras et ventripotent.
Le comte, qui avait présidé lui-même la séance du jugement, hocha lentement la tête. L’Inquisition avait désigné les coupables, trois femmes qui avaient été accusées de sorcellerie. Le procès avait eu lieu séance tenante, attirant la foule de ce pauvre village marqué par des hivers rugueux et par des attaques de loups. Les témoignages des fermiers sur leurs enfants déchiquetés par les loups venant de la forêt avaient achevé de sceller le procès. Ces trois femmes vivaient comme herboristes dans la forêt, prétendant guérir les gens, tout en appliquant des médecines païennes et proscrites. Elles vendaient leurs corps aux démons, elles commandaient aux loups et aux rats. L’Inquisiteur les avait capturés, et il se chargeait maintenant de l’exécution de la peine. Le comte restait relativement silencieux. Trois femmes pour sauver tout un troupeau, ce n’était pas cher payé… De plus, l’une de ces femmes était l’héritière d’un marchand qui avait été tué par la grippe… Un autre élément à charge dans le dossier. Les médecins faisant office d’expert avaient attesté de la nocivité des potions utilisées par ces femmes. La fille avait empoisonné son père, et elle mourrait sans héritier. Le bébé en gestation dans son ventre n’était pas encore né, et mourrait avec elle. Le comte était donc heureux : faute d’un héritier légal, les biens de la femme deviendraient rex nullius, et entreraient alors dans le patrimoine du seigneur.
« Menteur ! hurla l’une des femmes, en larmes, en s’adressant au prêtre.. Vous aviez promis de m’épargner, de plaider en ma faveur, si je couchais avec vous !
- Grotesque accusation, pécheresse ! Je n’ai examiné ton corps que pour y trouver les traces de l’Infâmie, les traces de la Souillure !
- Vous avez été reconnue coupable par la Très Sainte Église, par le Comte d’Ambroisie, du péché de fornication, du péché d’empoisonnement, du péché de malice, d’association avec le Malin ! Votre attitude est une offense aux enseignements du Christ, une atteinte à son Sacrifice ! La colère de Dieu s’est abattue sur cette communauté faite de bons croyants ! Vous recevrez votre juste châtiment ! Le feu purifiera vos âmes éternelles de la putréfaction et de la moisissure de vos corps ! Car mes enfants, je vous le dis : l’âme éternelle, fournie par Notre Seigneur, éternellement blanche, sera ! Mais le corps… Le corps vieillit, le corps se fane ! Voyez ces femmes ! Voyez leur Haine ! »
L’Inquisiteur brandissait sa croix de marbre et de dorures dorées vers elles. L’une des trois sorcières, la plus véhémente, cracha dessus. Une pomme pourrie s’abattit sur le visage de l’une des trois femmes.
« Tu parles avec la langue fourchue du Serpent, Démon ! Ton œuvre infâme ne sert que tes propres intérêts ! Et vous, pauvres crédules, vous vous damnez en suivant les ordres de ce dément qui vous ment !
- Pute !
- À mort la Traînée ! À mort les Salopes et les Sodomites !
- Le royaume de France n’est pas le royaume de Gomorrhe !
- Brûlez les catins ! offrez-leur la Rédemption ! »
Les flammes se mirent à danser, et les femmes commencèrent à hurler. Le comte restait silencieux, le prêtre souriait, et le bourreau restait placide derrière son masque noir. Le feu ratatinait le corps, les léchait, les faisait souffrir comme jamais elle n’avait souffert. Dans la nuit noire, dans les flammes grimaçantes dissimulant des sourires hideux, le peuple hurlait, balançant ses fruits pourris. Au milieu de cela, une femme encapuchonnée retenait à grand-peine ses larmes, sa rage annihilée derrière sa souffrance et son impuissance.
« Sha ! hurlèrent-elles alors. Sha ! Sha ! Sha ! À jamais nous te resterons fidèles !
- Même dans la Mort, elles continuent à vénérer les Idoles ! éructait l’Inquisiteur.
- La Mort ?! rugit l’une des femmes. Démon ! Haaaa !! Elle n’a pas le pouvoir de détruire l’âme immortelle, créature aux dents pointues ! Sha ! Pardonne-nous pour notre faiblesse !
- Silence, Catin ! Silence, Salope ! Souffre pour tes péchés ! »
Les flammes dansaient sur son corps, mais la sorcière se contenta de secouer la tête. Son corps était en train de se calciner, tandis que les hurlements de souffrance de ses deux sœurs se transformaient en borborygmes.
« La Mort n’a pas le pouvoir de détruire l’âme immortelle, qui, lorsque son corps du moment retourne à la terre, cherche un nouveau domicile… Et, avec une force inchangée, offre à une autre enveloppe vie et lumière. »
Le comte reconnut les vers d’Ovide, et l’Inquisiteur continuait à hurler, comme un fanatique possédé, ses yeux illuminés de folie. Et Sha, elle, se recula prudemment, le cœur percé de mille flèches, impuissante face à ce spectacle horrible, et convaincue que les hurlements de douleur de ses sorcières la traqueraient à jamais. *
* *
Les yeux de Sha s’ouvrirent brusquement, et elle se redressa de même, repoussant sans le vouloir Kiriko. Sha cligna des yeux à plusieurs reprises. Le souffle des flammes, la braise sur ses cheveux… Tout avait semblé si réel, si perceptible, si… Si
vrai. Elle tremblait, et vit que sa main s’agitait dans tous les sens. Elle secoua la tête, et passa sa main sur son front, laissant à son esprit le temps de se reconstituer, de revenir à lui. Elle n’était pas dans le royaume de France, elle n’était pas à l’aube du 17
ème siècle, mais sur Terra, à Wallündrill…
*
Ce souvenir… Je ne l’avais jamais vu auparavant. Est-ce que ma mémoire serait en train de revenir ?*
Sha avait été bannie à cette époque… Mais elle avait oublié les raisons précises de son bannissement. Pourquoi ce souvenir ? Pourquoi maintenant ? Elle se retourna lentement, et vit le corps de Kiriko, niché à côté du sien, et celui de Luxuria, qui dormait dans un coin du vaste lit.
«
Kiriko… » soupira faiblement Sha.
Elle sentait le bonheur irradier à travers tout le corps de la Celkhane, ainsi qu’une virulente magie… Celle de Lust. Sha se pencha vers elle, et l’embrassa sur les lèvres.
«
Je crois… Je crois que, grâce à toi, ma mémoire est en train de revenir. »