Sentinel Prime s’était donc bien inspiré d’un autre Sentinel. Héros devenu l’ombre de lui-même après bien des bêtises de sa part. Mais Sentinel Prime n’était pas ce « salaud » à qui il rendait hommage. Lui-même le disait, il ne voulait pas finir comme lui. Un sourire naquit sur les lèvres charnues de Donna quand le jeune homme aborda la question de la double-identité.
- Tu sais pertinemment que si tu dévoiles ta véritable identité, cela te causera plus de problèmes au quotidien, aussi bien en Kyle qu’en Sentinel. Et cela pourrait avoir des répercutions sur ceux qui te connaissent également en tant que Kyle Macross. Enfin, tu connais ce refrain bien mieux que moi, je pense.
Wonder Girl. Une identité qu’elle devra adopter comme seconde nature, comme seconde peau. Mmh, plutôt comme carapace. Épaisse, blindée, pour pouvoir protéger les seules personnes qui lui restent : ses parents. Eux qui avaient passé toutes ces années à son chevet d’hôpital dans l’espoir de la voir s’éveiller à nouveau, leur vœu avait été exaucé grâce à ce fameux bromure d’éthidium. Mais quel calvaire ils ont du vivre durant tout ce temps. Alors Donna s’était promis de toujours être là pour eux, comme eux l’avaient fait depuis toujours. En devenant Wonder Girl, un autre entité, elle les protégeait. Ou du moins, elle l’espérait très fortement.
La nuit tombait de plus en plus, et alors que Sentinel expliquait clairement qu’avoir des pouvoirs était bien une excuse pour porter tout le poids d’un monde en danger sur ses épaules, le corps de la jeune femme se crispa légèrement, parcouru d’un long frisson. Frisson du au froid. Donna ne ralentissait pas sa course, restant à une distance convenable, car elle voyait bien que certaines paroles touchaient et gênaient le jeune homme.
- Mais j’ai déjà tout choisi. Je protégerai ceux qui en ont besoin, comme tu dis, ceux qui n’ont pas de pouvoirs comme nous. Je comprends tout à fait pourquoi tu souhaites « travailler » seul. Mais dis-toi qu’à un moment ou à un autre, tu m’auras dans les pattes. Même si on sera chacun de notre côté, tu ne seras plus vraiment…Tout seul.
Décider de bosser seul pour éviter le plus de dégâts possibles. Bien sûr, Donna y avait songé aussi, et comptait bien protéger les autres de la même manière que Sentinel. Moins tu impliques de personnes avec toi, moins il y aura de répercussions négatives…Mais Seikusu, le Japon même, parait si petit et si grand à la fois. Il se pourrait bien que plusieurs fois, les deux héros se rencontrent sur une même affaire. Avoir un coéquipier, c’est signer son arrêt de mort. C’est donner un putain d’avantage à ses ennemis. C’est envoyer quelqu’un à la morgue. Mais avoir un coéquipier, c’est savoir qu’on a quelqu’un sur qui comptait, dans toutes les circonstances. C’est quelqu’un qui vous tendra toujours une main lorsque vous n’arriverez plus à vous relever seul. Est-ce que Donna voyait Kyle ainsi ? Elle ne le savait pas vraiment. Et l’inverse ? Mh, non. Sentinel Prime a toujours fait seul…À moins que… ?
Frisqué. Vraiment, la course aérienne n’était guère très rapide, mais la nuit bien plongée dans l’obscurité, le vent se faisait glacial. Et bien que la jeune femme avait l’habitude des hivers rudes, elle n’était pas vraiment en tenue pour rester longtemps en l’air. Le visage de Donna s’était fait plus rouge au niveau des joues, et aussi son nez. On aurait presque dit qu’elle avait picolé. Ou bien, un petit clown. Oh, y’avait de quoi rire, peut-être. Et sûrement que Kyle l’avait remarqué, qu’elle commençait à geler sur place. La pauvre fille. D’un geste de tête, Sentinel indiqua le toit d’une vieille bâtisse, une église abandonnée. Oui, il avait bien vu que la demoiselle mourrait de froid, et que s’ils continuaient ainsi, elle attraperait la mort. Lors de la descente vers le sinistre endroit, le jeune homme s’ouvrit davantage, avouant qu’il souhaitait être aimé, tout autant en étant Kyle que Sentinel…
- Et tu trouveras. Tu trouveras cette personne qui t’acceptera tel que tu es. Nul besoin de la chercher, elle viendra à toi, simplement, et peut-être même, sans t’en rendre compte. On trouve toujours chaussure à son pied.
Et pour Donna ? Elle avait beau dire certaines choses vraies, elle ne les pensait pas forcément quand il s’agissait de sa propre personne. Qui voudrait d’une fille comme elle ? Était-elle toujours la même qu’avant le drame ? Elle ne savait pas vraiment. Il y avait bien évidemment sa phobie qui n’allait pas vraiment l’aider à trouver quelqu’un. À vrai dire, pour elle-même, elle n’en avait plus l’espoir. Sa phobie et ses nouveaux pouvoirs n’allaient vraiment pas aider la chose. Et puis, Donna n’y connaissait rien à l’Amour. Elle n’avait jamais aimé dans sa vie. Si, mais seulement d’amitié. Et comment reconnaître que l’on aime vraiment, alors ? Donna secoua légèrement sa tête, histoire de faire taire toutes ces pensées.
Enfin, ils passèrent par le trou dans la toiture pour se mettre à l’abri du vent, Sentinel laissant d’abord le passage à la demoiselle. Quel galant. Atterrissant gracieusement sur l’une des poutres du grenier, elle s’amusait à faire quelques sauts de biche, lui rappelant l’époque des épreuves de sport au lycée, jouant l’équilibriste. At…ATCHOUM ! Un petit sursaut dans cet éternuement, rien de glamour. On entendait encore l’écho dans le reste de la bâtisse sinistre. Sentinel, lui, s’installa sur la dite poutre, invitant Wonder Girl à faire de même. Un petit sourire niais se dessinait sur le visage de la jeune femme. Ses mirettes azur posées sur le super-héros, elle posa ses fesses au bord de la poutre, proche de Kyle. Elle se mit doucement à faire balancer ses jambes, dans un léger tempo, parfois irrégulier. À la question de Kyle, Donna le regarda doucement, toujours ce petit sourire étirant ses lèvres pulpeuses.
- J’ai cette personne juste à côté de moi…Mais oui, je suis exactement comme toi. J’avais des amis autrefois, mais avec mon coma, ils sont tous partis. Les rares exceptions, je les ai fuis…Qui pourrait comprendre ce qu’il m’est arrivé, et m’arrive encore aujourd’hui ? Personne n’est au courant pour les pouvoirs. Personne à part toi, bien sûr…
Elle soupira, profondément. Aujourd’hui, il ne lui restait que ses parents. Oh, quelques « amis » d’enfance aussi, mais voilà bien longtemps qu’elle ne les avait pas vu. Elle devrait retourner un jour dans l’Iowa, ça lui ferait du bien. Mais qui, qui à part Sentinel, pouvait comprendre cette solitude dans laquelle les plonger les pouvoirs qu’ils avaient eu ? Personne. Enfin, personne à sa connaissance.
Soudainement, sans qu’elle ne comprit pourquoi au départ, Sentinel se posta dans son dos, se collant légèrement à elle, posant ses mains sur les épaules fraîches de la belle. Ah ? Il avait de la peine pour ce qu’il était arrivé à la demoiselle quand elle était sur Tokyo ? Oh…
- Tu n’as pas à être désolé. Tu n’y es pour rien. C’est passé maintenant…
Mais c’est encore douloureux. C’est encore trop frais et, sa phobie et sa paranoïa le lui montraient quotidiennement. Comment oublier ? Jamais malheureusement. Cela s’atténuera avec le temps, mais cela n’effacera rien. Jamais. Jamais…Pour rassurer le jeune homme, elle plia doucement l’un de ses bras, pour pouvoir y déposer sa main gauche sur l’une de Sentinel qui tenait son épaule. Elle la caressa d’une infime douceur, sans arrière pensée, la tête légèrement ailleurs, dans ses souvenirs.
Et puis, et puis…Les yeux de Donna s’écarquillèrent de surprise à ce que disait Kyle. Attends ! Quoi quoi quoi ? La bouche légèrement ouverte, aucun mot ne voulut sortir d’entre ses lèvres. Il était en train de dire qu’il avait sauvé Donna. Mais était-ce vraiment elle, ou non ? Presque tout coïncidait…Brusquement, la brune voulut se retourner vers Sentinel, mais trop proche du bord de la poutre, chuta, passant à travers le plancher miteux du grenier de l’église, se retrouvant à l’étage en-dessous, dans l’église quoi. Quelques lamelles de parquet vinrent accompagner la chute et recouvrir Donna. Énervée par la maladresse dont elle faisait preuve, elle se releva brusquement, couverte de poussière par-ci par-là, envoyant valser les morceaux de bois qui la recouvraient à l’autre bout de l’église vide. Son regard s’était reporté sur Sentinel, encore choquée. Tellement choquée, qu’elle se mit à tomber sur ses genoux, balbutiant quelques mots…
- Bleu…
Relevant son visage vers le super-héros, elle s’égosilla fortement.
- Il était bleu, n’est-ce pas ? Le drap…était bleu…
Le fameux drap qui avait servi à recouvrir la jeune femme, lors de son rapatriement à l’hôpital, était resté dans sa chambre durant toute la durée de son coma, aux vœux de ses parents. Un souvenir de ce quelqu’un qui l’avait repêché. Alors, c’était vraiment Kyle ? Elle rêvait de pouvoir retrouver la personne qui l’avait secourue, et s’était répétée maintes fois la scène de quand elle pourrait enfin le remercier. Et là enfin, qu’elle l’avait sous les yeux, Donna devint poisson. Muette comme une carpe. Aucun son, aucun mot ne trahissait le silence du lieu. Donna, tu n’es qu’une gourde…