Paniquée et effrayée, Rayne se mit à courir rapidement. Elle sortit de l’auberge par une porte, et courut dans la nuit, voulant éviter tout le monde. Elle croisa plusieurs badauds qui la regardèrent de manière étonnés, mais, fort heureusement, aucun garde ne s’élança à sa poursuite. Rayne avait une migraine atroce, quelque chose de terrible. Comme si un marteau-piqueur jouait au saxophone dans sa tête. C’était si agréable qu’elle n’arrivait même pas à voir correctement où elle allait, et titubait. Elle manqua renverser quelqu’un, et heurta un mur dans une ruelle, ce qui l’envoya s’écraser sur une flaque d’eau sur le sol. Sonnée, Rayne resta là, et, en se relevant, ou, plutôt, en s’appuyant sur ses avant-bras, elle sentit son ventre la lâcher et vomit quelque chose. Quoi, elle n’aurait su le dire avec précision, mais elle évita au moins, dans un sursaut, de plonger sa tête dans son vomi.
Lentement, la Dhampir entreprit de se relever, s’agrippant à une brique qui sortait d’un mur. On la regardait avec soupçon, mais les badauds ne vinrent pas. Qui serait venu voir une femme ressemblant à une toxico’, et qui avait tout l’air d’avoir goûté à l’une des mixtures « spéciales » de l’Auberge du Coucher de Lune ? On lui jetait quelques regards intrigants, mais rien de plus. Rayne s’avança un peu, s’enfonçant dans la ruelle, se tenant le ventre. Elle vomit une nouvelle fois, son corps se mettant à trembler, sans qu’elle n’en sache vraiment l’origine. Dans sa tête, elle entendait les hurlements, les supplications, la souffrance de ces pauvres gens qu’elle avait massacré.
*
Il faut... Que je m’en aille d’ici... Ma tête... Cette souffrance... C’est abominable !*
Elle passa sa main sur son front, et secoua sa tête, continuant à marcher. La ruelle était silencieuse, à part quelques clochards qui dormaient à moitié, ou d’autres drogués qui étaient en train de voir des éléphants roses se battre avec des rhinocéros à plumes. Maintenant qu’elle y pensait, la municipalité de Nexus luttait contre la hausse du trafic de stupéfiants... Ce qui lui faisait
vraiment une belle jambe ! Sa vision était floue, et Rayne continua à marcher, butant parfois contre des jambes, jusqu’à entendre des armures qui cliquetaient.
Se retournant, elle vit les gardes qui la poursuivaient. Rayne fut bien tentée à nouveau de fuir, mais constata rapidement que quelque chose n’allait pas avec eux. Ils la rejoignirent sans peine, mais personne n’envisagea de l’arrêter. Au lieu de ça, ils l’appelèrent «
Maîtresse », et elle comprit instantanément qu’ils avaient été possédés par le même démon qui l’avait amené.
«
Vint’deux entendit-elle à proximité,
la Milice ! »
Plusieurs badauds entreprirent de s’en aller, mais plusieurs restèrent là, tout simplement trop hagards pour penser au monde extérieur. Tremblant, Rayne comprit que ces derniers lui offraient son sang, et elle commença par reculer, ne se sentant vraiment pas bien. L’un d’eux se rapprocha d’elle, la prenant par les mains, dévoilant l’accès à son cou.
«
N-Non... » murmurait-elle faiblement.
De la sueur coulait de son front, et Rayne secoua lentement la tête, mais ses canines étaient sorties. Son corps souffrait. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. C’était en réalité son esprit qui souffrait, et cette souffrance se répercutait sur son corps. Sur ses muscles et sur ses membres.
*
Une goutte, rien qu’une goutte...*
Les canines de Rayne s’enfoncèrent dans la peau du malheureux, mais Rayne n’était pas en état de sucer quelqu’un. Ses dents s’enfoncèrent dans sa peau, et sectionnèrent la veine, au lieu de simplement l’effleurer pour permettre de boire le sang. Avec la veine coupée, le sang se mit à gicler rapidement, aspergeant les dents et les lèvres de Rayne. Réflexe vampirique oblige, elle se mit à le boire, faisant pointer ses griffes, et boire ce sang lui permit, au moins temporairement de recouvrir sa lucidité. Elle balança d’un geste de recul le corps vers le sol, et, depuis la blessure, le sang se mit à gicler, provoquant la mort du malheureux.
Le cœur battant follement la chamade, Rayne sentit sa migraine s’atténuer un peu, le sang atteignant son cerveau pour l’irriguer. Elle sentit alors son cerveau exploser à nouveau, et poussa un cri en tombant à genoux. Une nouvelle intrusion.
Puissante... Agressé, le cerveau de Rayne alla se réfugier dans des flashs et des souvenirs lointains.
*
* *
« Tu dois lutter...
- Je ne peux pas ! C’est... C’est trop dur !
- Ce n’est qu’une question de volonté. »
L’homme avait une voix douce. Il était calme et apaisant, tout le contraire de Rayne. Alors adolescente, elle contemplait le corps blessé devant elle. C’était un homme. Un malotru. Un malotru qui saignait. Un type qui avait essayé d’attaquer le monastère. Le prêtre lui parlait, l’encourageant à ne pas céder à l’appel. Mais ce sang... Ce sang qui coulait de toutes ses plaies, elle rêvait de le lécher.
« Ce que la Foi nous apprend, c’est que la volonté est au-dessus de tout, et qu’elle t’est propre. Elle n’appartient pas à une divinité, ni même aux démons, mais à toi-même. C’est toi qui doit trouver la force de te contrôler. Personne d’autre ne le peut. »*
* *
*
J’aimerais bien vous y voir, Monseigneur... Il me torture, c’est terrible !*
Rayne se recroquevilla, sentant des pensées contradictoires s’emparer d’elle. Une peur panique, une peur qui faisait d’elle une soumise, ainsi qu’un nouvel élan de désir envers l’homme qui l’avait manipulé. L’homme... Non, le
démon. Un démon qui cherchait à faire d’elle sa pute, comme Kagan...
«
AAAAAAAAAAAAAAAH ! VA TE FAIRE FOUTRE, CONNARD !! » hurla alors Rayne.
Dans un sursaut, elle se redressa, et attrapa l’une de ses lames. Sans réfléchir plus longtemps, suivant son instinct, elle la leva. Il y avait trop de pensées dans sa tête, trop d’ordres contradictoires. Elle décida de faire confiance à son instinct, et enfonça sa lame dans son propre ventre. Un tel coup aurait tué n’importe quel humain, mais elle était une Dhampir. La douleur explosa furieusement en elle, comme une vague rouge qui se mit à balayer les ordres et les pensées impies.
*
La volonté, plus forte que tout...*
Sa lame ne l’avait pas traversé de part en part, et elle avait une main posée sur sa plaie. Le sang s’en échappait, et elle avança en titubant vers le démon, se mettant à cracher un caillot de sang, avant de le regarder avec un sourire écarlate.
«
Je... Ne... Suis pas... Une... Vampire ! »
Elle utilisa sa main valide pour souffler le démon d’une taloche, mais sa vision se brouilla.
«
Personne ne fera de moi sa pute, martela Rayne.
Tu crois que j’ai envie de baiser un sale démon ? Mais tu seras baisé ce soir, rassure-toi. Je vais t’arracher l’un de tes putains de bras, et je te l’enfoncerai dans le cul si fort qu’il ressortira par ta langue de serpent, sale enfoiré de suceur de merde. »
L’orgueil avait été un mauvais choix. Même si elle se revendiquait plus humaine que vampire, Rayne avait en elle la fierté des vampires, l’orgueil de son père, Kagan, le plus puissant vampire qu’elle ait jamais croisé. Et cette fierté était doublée par sa satisfaction personnelle d’avoir réussi à détruire l’influence de Kagan, à le forcer à fuir. La luxure était, de même, une mauvaise piste. Le sexe intéressait certes Rayne, mais sans être ce qui, fondamentalement, la motivait. Sa rage, sa haine, et sa fureur. Des choses que les prêtres et Brimstone n’avaient jamais réussi à enlever. Ils avaient réussi à contrôler la Bête, à calmer les instincts vampiriques de Rayne, mais pas à stopper sa rage et sa haine. Chaque nuit, elle revoyait son village prendre feu, sa mère se faire torturer, violer, et tuer sous ses yeux.
C’était cette haine envers tout le monde et envers elle qui l’avait amené à choisir une solution radicale pour lutter contre l’influence du démon. Cette solution avait été de répondre à la douleur mentale par la douleur physique. Faites-en l’expérience ; quand on souffre, physiquement parlant, on ne peut plus penser. Et, dans sa tête, elle se jurait bien d’en faire de même avec ce télépathe, de le décapiter, et de le faire bouffer par des cochons. Seule sa rage transpirait, furieuse et véhémente.