« J’ignore quel est votre nom, étranger. Toutefois, une chose est sûre : je n’ai jamais sollicité votre aide. »
"-Vous avez entièrement raison."
Voilà qui me rassurait et me confortais dans mes précédentes déclarations, c'était clair comme de l'eau de roche, elle avait besoin de personne, ensuite, il n'y avait aucun signe évident dans le comportement et les regards de la demoiselle qui laissaient supposer que tout ceci était bien différent de son quotidien, même si on ne rencontre pratiquement aucune "saloperie" dans mon genre à tous les coins de rues, faut dire que je suis impressionné par son stoicisme et son self control, comme s'il s'agissait d'une pure... journée bien banale comme une autre.
Soit elle était Professionnelle, et là, je dis chapeau, La très grande classe... J'essayais de pencher plutôt pour cette solution, soit elle était, complétement timbrée...
Quand cette inconnue tourna les talons et me ferma la porte pratiquement au nez, n'ayant apparemment pas envie de poursuivre sur quelque conversation ou terrain que ce soit, je fis de même, y a pas de raisons qui me poussent non plus à aller la retrouver dans sa chambre, et dans mon état "normal", "humain" du moins, sans l'intervention de mon démon ou de ma connasse infernale de bête régalienne, la tigresse juchée sur mes pulsions bestiales, je suis pas un "violeur" non plus, quand je me retournai, je sentit les fioles d'Aconit et de Belladonne tinter dans mes poches, je posai mes doigts dessus, rassuré que je m'en soit rappellé à temps, les vieilles marches de l'auberge grinçèrent sous mes pieds, le type mort en bas avait été "nettoyé" par le personnel de salle, j'esquivais juste la flaque de sang pour pas dégueulasser mes semelles.
La soirée passe, j'effectue ma commande habituelle en allant m'assoir dans un coin très espacé de tous les autres clients parce que j'aime pas qu'on me regarde quand je manges, surtout de la façon dont je préfères manger, avec mes doigts, griffes, tout ça tout ça, en ronronnant de sentir les os se concasser et, être tranché par mes dents comme s'il s'agissait de vulgaire beurre, les clients ont compris dorénavant qu'il fallait plus nous chercher des emmerdes, il suffisait juste de mettre les points sur les i de quelques abrutis pour obtenir ce résultat.
A la fin de la soirée, je ressasse un peu, j'aime bien m'faire du mal tout seul, en sortant la très ancienne montre gousset de Marianne, ma défunte épouse... Enfin, défunte... heh... Assassinée... comme ma fille d'ailleurs, je fais le tour du couvercle avec l'un de mes doigts, à la fin de ce tour la griffe de mon index sort, et une pichenette est donnée sur le bouton-pressoir d'ouverture, le couvercle s'ouvre.
Le couvercle s'ouvres, et une musique en sort, si le cadran de la montre est brisé, sur une époque et une date bien précise ou elle s'est arrêtée, le mécanisme séparé de la boite musicale de cette montre, elle, fonctionne encore, et délivre ses notes d'une tristesse infinie, qui, ont bien malheureusement une très lourde et profonde signification pour le mercenaire.
[musique sortant de la boite :
http://www.youtube.com/watch?v=o_SChDmSedM ]
Le visage de l'ancien soldat se crispe, l'expression dure, assurée, la carapace qu'il s'impose la plupart du temps, se fêle, craquèles, comme une vieille peinture étant en train de subir les affres du temps, les muscles léonides, formant plusieurs rebonds par delà les frontières de ses fines narines jusqu'à l'interstice entre ses sourcils se mettent à tressauter, son visage, se déforme, s'enlaidit probablement de par les traits bien singuliers que la tristesse et la douleur fait parfois prendre, horrible, au visage.
L'un de ses doigts, caresse le fond de ce couvercle, ou il y a encore, peut être un... ou deux... siècles... le visage de Marianne, et Louisa étaient encore gravés dessus, mais la vérité c'est qu'au fil des siècles, à force d'essayer de se rappeller le trait que pouvait avoir leurs visages en s'imaginant les caresser, en frottant leurs effigies dans le fond métallique, il était même arrivé, vous imaginez, à "user" ce même métal, qui, s'estompt, qui s'éffacent, dont les traits sont si indistincts, si flous, que ces visages en sont presque vides, il sait qu'il ne devrait plus les caresser du doigt mais c'est tellement dur, tellement dur de tourner la page là dessus, surtout lorsqu'il est persuadé que leur mort est en grande partie sa faute...
La griffe du pouce égrène le temps et les secondes absents du cadrant, d'un cliquetis régulier comme s'il désirait encore, que ce temps, cette époque revienne, qu'est ce qu'il ne donnerait pas, sans doute, pour pouvoir reculer cette aiguille, de quelques ... secondes... quelques secondes, il n'aurait fallu, que quelques foutues putain de SECONDES !! MERDE !!! Pour les sauver !
Le mercenaire heurte sa propre table d'un coup de tête violent et élancé depuis sa position assise ou il toisait son assiette, la table pourtant en chêne, massive d'une dizaine de centimètres se brise en deux sous l'impact, après quoi son pied vient violemment heurter les fixations de celle ci pourtant solidement boulonnée dans le sol, les têtes de boulons éclatent, arrachent les filets de leurs vis, et la table part s'écraser contre l'une des poutres de l'auberge, bien évidemment, tout le monde s'écarte devant un tel épanchement de colère, l'aubergiste intervient cependant, et à juste raison :
"-Ecoutes moi bien, tu vas aller passer tes nerfs dehors, je met ça sur ta note, mais si tu continues de foutre la trouille à mes clients, je vais être obligé d'appeller la garde, c'est compris ?"
Khaléo halètes de rage mais à bien entendu cette fois, malgré un sang bouillonnant d'une rage, d'une foutue colère immémoriale, son sang nordique, son sang fauve, ce mix... presque... vicié, pollué dans son sang, le rendent dingue, il ne sort comme personne en défonçant la porte avec son épaule, effrayant d'autres clients sur son passage, des badauds, riverains, civils, qui le voient racler ses griffes et les lames d'os de son bras droit, en une multitude d'étincelles contre les briques de la ville...
C'est de cette manière qu'il quitta donc, l'auberge.