Erwan n'aimait pas ce genre de situations. Vous savez, ces enterrements fâcheux, qui ne tombent jamais au bon moment ... Les bras croisés, il attendait, sur son bureau, une cigarette coincée entre les dents, que minuit sonne, qu'il résonne. Qu'il fasse tout trembler, qu'il prenne une valeur symbolique aux yeux du jeune homme.
Il revenait d'un enterrement. Ou plutôt, de deux ... Deux sœurs jumelles qu'il avait, pour son plus grand bonheur, un jour prises à Pigalle. Talentueuses, sans tabous, et délicieux au moment de danser et d'en mettre plein les yeux. Il les considérait comme deux petites sœurs, avec leurs yeux pétillants, plein de malices, et leurs voix fondantes comme du miel. Il se souvenait qu'elles sentaient toujours l'eucalyptus, une huile de massage qu'elles utilisaient toujours à la fin de leurs spectacles. Enterrées dans la même tombe, désormais, un eucalyptus trônait au centre de leur nouvelle demeure. Il tapa du poing sur la table. Les objets tremblèrent, tout comme l'atmosphére, qu'il sentait pesante et froide. Une heure qu'il restait immobile, enchainant les cigarettes, guettant l'heure d'un regard tranchant, imaginant milles et unes malédictions, vengeances, et autres joyeusetés.
Tout lui revenait en mémoire.
Celui qu'il avait engagé, et qui avait en un éclair retrouvé qui leur avait fait cela. Celle qui l'avait guidée jusqu'aux pas de cette charmante tueuse aux yeux de folles. Et la dernière, qui lui avait offert sa bénédiction.
Une bonne sœur, trop naïve, lors de l'enterrement. Il se souvenait de ses paroles : " La vengeance n'est qu'inutilité. " Il lui avait décoché un regard si froid qu'elle avait dû se mordre la langue de parler ainsi.
On n'assassine pas les danseuses d'Erwan Mc Laan. Ainsi était les règles du jeu ; froides et dures, mais simples à suivre. Et une d'elle n'avait pas suivie ces règles.
L'horloge sonna, brusquement, un tendre minuit, qui résonna dans le salon vide. Il se leva, d'une traite, éteignit sa cigarette pour s'en rallumer une nouvelle, et attrapa son manteau. Il devait sortir, la trouver. Il savait où elle rôdait. Cela tombait bien, ce soir, c'était sa destination. D'un pas vif, il parcourut les rues de Seikusu, connaissant sa destination, et chacun de ses mots, de ses gestes. Il revoyait, sans cesse, le regard des deux sœurs. Il entendait leur voix. Sa seule certitude, était que tant qu'il n'aurait pas croisée cette tarée, il ne vivrait pas en paix.
Il ne savait pas ce qu'il voulait lui faire ; peut-être juste la voir, l'avoir, la faire plier, l'exécuter ... Il avait appris suffisamment de choses. Il était capable du pire. Mais toujours était-il qu'il ne savait pas ce qu'il ferait, face à elle, sinon une improvisation totale, vive. Il ne se sentait pas l'âme d'un tueur, plutôt celle d'un tortionnaire ... Mais encore fallait-il pouvoir faire plier une jeune ravagée qui prônait le meurtre. Il ne s'en savait même pas capable ... Il voulait juste la rencontrer.
Atypique. Certes, certes, incongru et insolite, même. Rencontrer celle qui venait d'abattre froidement deux vies. La connaître, la comprendre. Il était anxieux, curieux et haineux, en cet instant. Il se sentait légèrement instable. Et la nicotine qui attisait son esprit ne valait guère mieux ...
La vengeance était, sans doute, la pire chose à laquelle il pouvait donner vie. La haine qui le ravageait, surtout, enflammait ses veines. Habité par une obscure sensation d'incompréhension et de reproches, il ne pouvait que la trouver ... Chaque chose le guiderait sur les pas de cette tueuse. Devant laquelle il ne détournerait pas le regard.