Le sang sur le sable faisait un grand tapis rouge à Dolan qui s’approchait de la victime d’un pas agacé. C’était l’un de ses employés qui gémissait sur le sol, une main ensanglantée plaquée sur le moignon de son oreille. Ce voyage d’affaire c’était bien passé donc c’était presque normal qu’il y ait un problème à cent mètres à peine du portail. William s’apprêta à s’enquérir de la raison de tout ce remue-ménage mais il fut devancé par un homme à la barbe poivre et sel qui semblait beaucoup amusé par la situation.
-Une esclave a attaquée l’un de nos gardes alors qu’il s’était trop approché de la cage, expliqua le second de Dolan qui le suivait une main posée sur le pommeau de son sabre.
Effectivement, des hommes armés de gourdins tentaient de maitriser une jeune terranide chatte qui se débattait comme une possédée. La créature semblait être à peine sortie de l’adolescence et vu la façon dont elle se démenait, elle n’avait pas compris le principe de l’esclavage. Les hommes de Dolan avaient réussi à l’extraire du chariot-cage qui constituait le convoi de Dolan. L’achat des esclaves s’était très bien passé et William avait hâte de retrouver sa jeune épouse qui l’attendait de l’autre côté du portail. Dans un monde qui n’était pas gangréné par la vermine terranide et surtout par cette magie infecte. Autant dire qu’il n’allait pas faire de sentiment et qu’il allait résoudre cet impondérable dans les plus brefs délais.
-C’est Oba, sir Dolan, expliqua le second qui suivait toujours son patron à la trace. Il s’est amusé avec l’esclave mais celle-ci ne devait pas l’entendre de cette oreille.
Le mercenaire gloussa à sa propre blague et donna l’ordre à ses hommes de s’occuper du bonhomme avant qu’il ne se vide de son sang. Dolan restait imperturbable mais gardait toujours cet air agacé, comme s’il accusait le mauvais sort qui lui tombait dessus. Il se désintéressa pourtant très vite de l’homme qui commençait à peine à se faire soigner et reporta son attention sur la terranide, tenue en respect par deux gardes. Elle observait William avec un air de défi et respirait bruyamment, essoufflée par la lutte. Alors que certains auraient vu une jeune fille pleine de fierté, aux cheveux noir ébène et aux yeux enflammés par la colère, William voyait simplement une esclave et donc une certaine valeur marchande. Le sang qui maculait sa bouche lui donnait un air dément mais le maitre ne semblait pas plus impressionné que cela. Le temps s’allongeait alors que le regard vert transperçait la jeune fille qui commençait lentement à se calmer, optant pour une expression froide et haineuse. Puis enfin, le verdict tomba.
-Je ne veux plus de cet homme, Oba, à mon service. Dites-lui, capitaine Aum, que c’était sa dernière mission, déclara-t-il, intraitable. Et exécutez l’esclave. Son dressage est imparfait et je n’ai pas le temps de le compléter.
La terranide chatte écarquilla ses grands yeux en amande devant la sentence cruelle de William et se mit à hurler à la mort, suppliant pour sa vie. Trop tard. L’esclave sanglotante fut rapidement mise à genoux et un soldat lui planta proprement son sabre entre les cervicales. Les cris cessèrent...
Sans un regard pour le corps sans vie qui gisait maintenant sur le sol, William tourna les talons et le convoi se remit en marche. Il se mit alors à sourire… Il pensait à Marine.
* * *
Un grand couloir faiblement éclairé s’étendait sur une vingtaine de mètre. L’air qu’on y respirait était lourd et humide, donnant l’impression d’être enterré. Le mur en béton rustique était simplement peint en blanc. Le couloir était bien entretenu mais totalement inutile puisqu’il s’agissait d’une banale impasse munie d’une lourde porte en fer. Il était totalement vide mais si on regardait avec plus de minutie et un éclairage puissant, on pouvait voir deux rainures dans le mur. Ces deux rainures parallèles s’étendaient du sol au plafond étaient écartées d’environ un mètre de largeur. N’importe qui aurait dit qu’il s’agissait d’une erreur de maçonnerie ou de banales fissures provoquées par un tremblement de terre. N’importe qui se serait trompé alors, car un pan du mur délimité par les soi-disantes fissures venait de pivoter sur le côté, laissant sortir un homme en blazer encadré par deux ours enveloppés dans des costumes trop petits pour eux. Les trois hommes attendirent sans bouger devant la grosse porte en fer, jusqu’à ce qu’un bruit de ferraille et d’électronique mariées, retentisse. L’un des géants poussa alors la porte qui s’écarta sans un bruit et les trois hommes se retrouvèrent dans un parking souterrain. Les gorilles jetaient des coups d’œil inutiles un peu partout, scrutant les ombres en quêtes de curieux à éradiquer, mais c’était une activité bien superflue puisque personne n’était en vue. Cette partie du parking était soi-disant réservée aux plus influents clients du cabinet Dolan et donc personne n’y mettait les pieds, bien que le nombre de caméra soit deux fois plus important que dans le reste de la structure. En effet, d’ailleurs. Il s’agissait bien du cabinet Dolan et l’homme qui venait de sortir des fondations était bien le directeur qui revenait de son voyage d’affaire à « l’étranger ».
William Dolan secoua ses cheveux pour chasser les derniers grains de sable récalcitrants qui s’y étaient fourrés. Il respira un bon coup l’air terrien et cela lui suffit pour afficher un large sourire. Il avait tellement hâte de retourner chez lui que ses membres étaient imbibés d’adrénaline. Il aurait presque pu y aller en courant mais il ne fallait pas exagérer non plus. William appuya sur le bouton de la clé de sa voiture et un petit coupée cabriolet répondit à l’appel en émettant un léger son fluté et en signalant sa position avec force clignotements orange. En effet, hors de question d’appeler Ideki qui se poserait des questions en le voyant arriver non pas à l’aéroport mais au building.
William enfourcha donc son fidèle destrier et se rendit à son domicile avec une aisance très approximative – il n’avait plus l’habitude de conduire -. Il gara la voiture dans le parking privé de la résidence et sortit avec hâte. Son cœur battait la chamade comme si ça faisait deux jours qu’il avait rencontré Marine et qu’elle n’était toujours pas sienne. Mais cette fois ce n’était plus la peur de la faire fuir qui lui faisait cet effet, mais bien le fait qu’il commençait à ressentir le manque de sa présence. A l’instar du drogué qui sait qu’il va bientôt avoir sa dose, il ouvrit avec hâte et maladresse la porte d’entrée et entendit des pas précipités sur le parquet. Une jeune femme rousse se précipita sur lui et il la réceptionna en l’arrachant au contact du sol. Un tour complet fut nécessaire pour que l’avocat la rende à ses appuis où il lui coula un merveilleux baiser. Ses bras l’enlacèrent avec force. Une étreinte qui lui faisait oublier tous les soucis de son voyage et cette mauvaise humeur qui l’étreignait à chaque fois qu’il devait se séparer de sa femme.
-Tu m’as tellement manqué, glissa-t-il dans son oreille en respirant les effluves enivrantes de son cou.
Au bout d’un moment, il se décida finalement à la lâcher et disposa un baiser gracieux sur sa main. Sans la lui lâcher, il entra dans leur appartement et respira le fumet de victuaille qui embaumait l’air. Il sourit et ramena une nouvelle fois la jeune fille dans ses bras.
-Alors dis-moi qu’as-tu fait pendant que, moi, le fils spirituel du grand Marc Aurèle, étendait le divin empire Dolanien à travers les territoires incultes des indigènes sans pitié? demanda-t-il avec un sourire plein d’humour.
La comparaison avec l’empereur romain lui était venue tout seul. Philosophe et conquérant ! Ça sonne bien, non ? Même si… Marc Aurèle, lui, n’avait pas vraiment eu le choix.