A sa surprise, alors qu’il s’attendait à ce que Dylan manifestât à tout moins un mouvement d’hésitation ou d’incertitude, elle ne fit absolument pas de manières et ce fut sans ambages que sa main se glissa dans celle de Saïl. Celui-ci en manqua de sursauter sur le coup, sentant comme une légère exaltation, une pointe d’euphorie le pénétrer alors que tout le long de sa paume, il pouvait ressentir la texture lisse, plaisante et franche de la peau de la jeune femme, rendue certes légèrement moite en raison de la chaleur mais pour autant des plus agréable au toucher. Les frontières de ce à quoi il se serait attendu ne cessaient d’être repoussées, mais étrangement, pour le moment tout du moins, cela ne le faisait pas s’alarmer, se sentant au contraire rassuré, en confiance avec elle à ses côtés.
Et quand bien même il aurait eu quelque raison que ce fût de laisser la panique l’envahir, le sourire toujours aussi simple, aimable et doux de la demoiselle, de même que son regard cordial derrière ses imposantes lunettes, paraissaient l’envelopper d’une aura de tranquille certitude. Ah, voir d’aussi près ces lèvres si engageantes, si élégamment étirées, si sensuellement fines, cela fit naître en lui l’envie de les embrasser… mais baste ! Qu’il se contînt, cette fois, ou malgré l’indulgence de sa partenaire de balade, il finirait réellement par passer pour un rustre !
Et ce fut ainsi que sur les paroles de la belle, sous son égide, ils sortirent de la terrasse surpeuplée, le scientifique ressentant un galvanisant regain de hardiesse lorsque les doigts de sa compagne se resserrèrent contre les siens, possible invitation implicite qu’il suivit en rendant lui aussi son étreinte manuelle plus prononcée. Il était étonnant, pour ne pas dire déstabilisant, que leurs comportements réciproques s’avérassent aussi fusionnels, mais il n’était pas d’humeur à s’en soucier, pas plus que ne semblait l’être Dylan dont l’air enthousiaste indiquait qu’elle appréciait manifestement le moment tout autant que lui.
Ce fut donc gaillardement qu’il se mit en marche, ne pouvant résister à l’envie d’enserrer délicatement sa main de manière à se rapprocher encore un peu plus d’elle, évitant ainsi fort heureusement de leur donner l’allure de deux écoliers de primaire. Cela voulait-il dire qu’ils avaient celle d’un couple d’amoureux ? Saïl aurait été bien embarrassé de donner son opinion sur le sujet, mais il devait bien se l’avouer, ce qui l’effrayait presque était qu’envisager l’idée ne lui paraissait sincèrement pas si incongru que cela.
Mais alors qu’ils avançaient depuis bientôt une minute, les pas du jeune homme suivant automatiquement la direction de leur destination, son invitée le sortir de sa rêverie, condamnant sans pour autant se plaindre la chaleur. Il était vrai que l’astre doré ne ménageait définitivement pas ses efforts, et si les rues n’étaient par bonheur pas bondées, la raison s’en discernait aisément tant les effets des rayons calorifiques se voyaient redoublés en se réverbérant sur le bitume.
« Ne t’en fais pas, c’est pas très loin. » La rassura-t-il avec une tendresse dans la voix qui lui vint si instinctivement qu’il en demeura quasiment interdit après coup.
Effectivement, le parc pouvait être gagné depuis le lieu où ils se trouvaient en quelques minutes à peine, la preuve en étant que depuis une des fenêtres de l’appartement du savant, il pouvait même s’en discerner une portion. Du bar, il était logique qu’on ne pût le distinguer, car nombreux étaient les constructions de haute stature dans une ville japonaise comme Seikusu, mais il suffisait de dépasser quelques bâtiments, tourner au coin d’un autre, et déjà l’on avait en vue les premières parcelles herbeuses de ce bel endroit de verdure, le bois que Saïl avait proposé plus tôt de gagner s’apercevant au loin en une grosse tâche sombre couleur émeraude.
« Voilà. » Annonça-t-il en pointant du doigt la forêt dans laquelle ils pourraient pénétrer après un moment de marche. « Qu’est-ce que tu en penses ? »
C’est que ce cadre naturel pouvait à bon droit impressionner, voire émerveiller : la ville dans laquelle ils se trouvaient était peut-être résolument urbaine, mais pour autant, il avait été fait un travail réellement admirable en ce qui concernait ce lieu public qu’ils allaient traverser. Avec ses pelouses soigneusement entretenues, ses arbres bénéficiant des attentions de jardiniers zélés, ses aménagements confortables mais suffisamment discrets pour ne pas jurer avec le reste du paysage et ses fleurs sélectionnées avec discernement afin d’enjoliver le tout, il pouvait vraiment laisser penser que l’on venait de pénétrer dans un autre univers, n’eussent été les infrastructures toujours présentes alentours.
Le doux médecin, qui n’était jamais du genre à cracher sur les charmes floraux, appréciait en tout cas de son côté pleinement ce contact fait d’odeurs et de visions si roboratives, celui-ci lui étant d’autant plus agréable que celui de Dylan venait s’y ajouter. Il lui vint d’ailleurs à l’esprit qu’au fur et à mesure que les minutes s’écouleraient, il faudrait probablement que la situation évolue, mais comment ? Pour l’instant, il n’aurait su donner de réponse à cette question pourtant fort importante, et cette préoccupation ne manquait pas de le tarauder, n’obscurcissant pas son bonheur, certes, mais ajoutant un parfum pimenté à leur promenade qui remettait la confiance de Saïl à l’épreuve, celui-ci évoluant en terrain fort peu connu.