Debout devant son cher tableau, Amy tapait la vitre en verre le protégeant avec son stylo. Elle réfléchissait. C’était ainsi qu’elle réfléchissait toujours. En martelant doucement avec son stylo Staedler fétiche « La naissance ». De Miro, évidemment. On ne faisait pas mieux depuis lui, selon elle. Elle glissa doucement, toujours perchée sur ses talons, dans son habituelle jupe noire impeccable, son chemisier blanc et son long collier de perles noires dont le prix ferait rougir quelqu’un de censé, pour venir rejouer ce manège face à un Malevitch, scrutant les détails du tableau de ses yeux fins et perçants. Et elle grinça violemment des dents.
Elle n'aimait pas être contrariée, non, elle détestait cela. Et elle haïssait aussi quand ses plans ne se déroulaient pas à la perfection.
- Crétin ! hurla t’elle.
Un soupir se fit entendre de son portable, en haut-parleur, posé sur son bureau. Elle s'était retournée, vive, fusillant du regard ce bureau. Son stylo lui avait glissé des mains, et faisait une tache noire sur son tapis abstrait. D’un geste rapide, ses talons claquant sur le sol, elle se rapprocha du bureau, empoignant le portable entre ses doigts parfaitement manucurés, et rapprocha sa bouche le plus possible du portable, répétant l’insulte plus violemment. A l’autre bout du fil, l’homme sursauta.
Elle s’installa sur son bureau, croisant les jambes, ruminant, les sourcils froncés.
- Madame, je vous jure …
- Mademoiselle ! martela t’elle. Oh, et puis, ferme-la ! C’est de ta faute si nous en sommes là !
A l’autre bout du fil, il y eut un nouveau soupir. Elle reposa le téléphone. Voilà qu’un de ses plus précieux collaborateurs, inculpé de vols d’ouvrages rares dans les archives du Vatican, venait de se faire pincer. Et joliment, encore ! Les sources remonteraient jusqu’à elle, elle le sentait. Et si on découvrait que c’était elle qui avait commandité ce vol d’ouvrages rarissimes et précieux, qui avait même tout organisé, pour sa simple collection personnelle, elle était fichue. Elle pesta contre elle-même. Contre lui.
- Tu m’as donné le nom d’un incapable ! répliqua t’elle violemment.
- Tout n’est pas perdu, assura la voix, sourdement.
La jeune femme haussa un sourcil.
- Continue, ordonna t’elle.
- Tout est encore jouable … A niveau des avocats, vous …
- Tu es encore plus con que je le pensais, le coupa t’elle. Si je suis avocate de cet homme, je suis coulée ! Ils me ridiculiserons en public !
- Non, je veux dire … J’ai le nom de l’avocat qu’à demandé le Vatican.
- Ils ont besoin d’un avocat, eux ?
- Ne soyez pas méprisante … Evidemment, pour un procès, oui …
- Ils ne prennent pas d’avocats italiens ?
- Non, ce sont des incapables … Ils ont pris un avocat japonais.
Elle eut un rire moqueur. Situation grotesque ! Elle se croyait dans une pièce de Ionesco, absurde au possible.
- Le procès se déroule au Japon, Mademoiselle, continua la personne au bout du fil. C’est pour cela qu’ils ont demandés les services d’un avocat japonais.
- Pour quelle raison ?
- Je l’ignore … Sûrement de la paperasse.
- Et que proposes-tu ?
L’homme soupira à nouveau, tandis qu’elle fronçait les sourcils.
- Si vous parvenez à avoir cet avocat japonais … Vous pouvez gagner, susurra t’il.
- Qui est-ce ?
- Un excellent avocat.
- Ne sois pas si catégorique ! répliqua t’elle.
Il toussa, se corrigeant. Il connaissait bien le côté caractériel de l'avocate.
- Toujours est-il que le procès se déroule au Japon. Joignez cet avocat, soudoyez-le, que sais-je !
- Idiot ! Si j’avais ce dossier sur mon bureau, je ne l’abandonnerais pas, même pour une poignée monumentale de fric ! Il peut faire grimper sa popularité en flèche !
- J’ai vu vos procès, Miss Beckett. Je vous sais capable de beaucoup de choses … N’oubliez pas que nous sommes tout deux impliqués, et que s’ils découvrent ceci, ils en découvrirons d’autres … Il s’appelle William Dolan.
L’homme raccrocha, tandis que la jeune femme attrapait violemment son portable, le lançant par la fenêtre ouverte. Le bruit de l’appareil rencontrant les pavés la soulagea, et elle attrapa son téléphone de fonction. Elle tapota les touches, distinctement, et entendit la voix de sa nouvelle secrétaire. Elle s’amusait à en changer comme de chemise, vite lassée de l’une comme de l’autre :
- May ? S’il vous plaît, joignez-moi un certain Mr Dolan. Cet après-midi, oui. Et annulez tout mes rendez-vous de cet après-midi, s’il vous plaît. Oui, c’est important.
Elle raccrocha aussi, et passa sa main dans sa nuque. Cette affaire était importante. Elle qui aimait tant jouer avec le feu venait presque de tomber dans la lave … Et cela ne faisait que commencer. D’un geste vif, elle remit en place la mèche qui lui barrait le visage, fixant face à elle la porte close. Elle allait devoir mettre tout son talent de comédienne dans cette histoire. Et ne négliger aucun détail. Il y avait trop à perdre, trop de risques, elle ne pouvait pas se permettre de perdre la partie. Le lot était trop important. C'était elle, son statut, et sa soif de choses anciennes et réputées qui étaient sur le tapis.
Aussitôt, elle passa un autre coup de téléphone, joignant un de ses indicateurs. Autant savoir qui était cet avocat, autant tout savoir de lui. Elle avait envoyé cet indicateur fouiner chez chaque grand avocat du Japon, surveillant ses arrières du mieux qu’elle pouvait. Il ne fallait prendre aucun risque. Et abattre toutes ses cartes. Elle voulait conserver et bouquins précieux, et dignités. « Mon plus gros appât » soupira t’elle. Elle se frotta les mains, anxieuse. Dehors, le ciel se couvrait. Elle s'alluma une cigarette.