Les doigts de Raven s'entremêlaient entre eux. Devant elle, un professeur ennuyant déblatérait à propos d'un homme qui s'était cru profond et profondément intéressant en déclarant un jour "L'amour de soi, pris comme principe de toutes nos maximes est la source de tout mal.", dixit Emmanuel Kant. Et bien... Avec tout cela, Raven était tranquille. Elle ne pouvait pas se regarder dans un miroir. Elle ne restait jamais figée devant son reflet dans une vitrine, elle se recoiffait jamais à l'aide d'une petite cuillère au réfectoire... En un mot, son visage et son corps évoquaient trop de mauvais souvenirs pour qu'elle puisse leur apporter la moindre bienveillance ou considération. Elle s'était pourtant faite tatouer et percer. Et alors? Elle les aimait ces babioles, pas de quoi en faire toute une histoire. La sieste a été réincorporée dans les cours d'étude supérieures, sous forme de cours de Philosophie. Matière qui ne peut intéresser que les personnes initées que ça intéresse. Evidemment, Raven n'était pas ceux là. Elle était trop pragmatique pour cela, et n'avait pas la moindre envie de débattre sur des sujets aussi stériles et relatifs que son soi profond, la vérité absolue et tout le tintouin, tout ce qui est pour elle un énorme tas de conneries tout juste bon à faire causer les vieillards séniles et les jeunes qui ne savent plus où se cacher pour fumer autre chose que de la nicotine. Aussi elle ne se donnait aucun mal pour ne serait-ce que faire semblant de suivre un tout petit peu le cours. Elle mit plutôt à profit ce temps perdu pour méditer. Le dos droit sur sa chaise, tranquille, calme et sereine au fond de la classe, elle psalmodiait toujours la même litanie, en chuchotant à peine.
"Azarath Metrion Zinthos..."
Cet enchaînement de trois mots, répétés inlassablement, la calmait, l'apaisait. Ainsi, elle pouvait rester elle-même. Heureusement pour elle, le professeur ne la remarqua pas à cause de l'agitation qui régnait dans la classe. Il était beaucoup plus préoccupé par le fait de maintenir sa classe à peu près correctement plutôt que de s'occuper d'une élève discrète et qui ne perturbait en rien l'ordre qu'il cherchait en vain de rétablir. Au bout de deux heures, la sonnerie retentit et c'est toujours aussi imperturbable que Raven quitta la classe. La journée était terminée, la jeune femme prit donc la direction de chez elle.
Il faisait beau, elle décida donc de rentrer à pieds. Et puis un pas en entraînant un autre, guidé par une pensée qui elle-même en entraînait une autre, Raven se retrouva dans le parc. Elle envisagea alors d'aller profiter de l'air et de la beauté de cet endroit. C'était l'heure de sortie des écoles, aussi le parc était blindé de gamins braillards.
La démone se mit donc en quête d'un endroit tranquille où elle pourrait manger des fruits par terre, allongée dans les sous bois, et lire un livre. Sauf que voilà. Quelque chose de différent l'attirait, un peu comme un pot de miel aurait attiré une abeille. Cette chose, c'était le portail pour Terra. Il laissa Raven perplexe. Elle posa son sac, marcha de long en large devant...
Jusqu'à ce qu'elle finisse par passer au travers. Qui ne tente rien, n'a rien comme on dit...