Cela faisait maintenant quelques jours qu'une Clochette déboussolée avait été projetée dans ce monde sans rien d'autre que les vêtements -faits de feuilles tissées entre elles- qu'elle portait sur le dos et sa débrouillardise. La fée blonde avait voleté dans les rues polluées, toussant à en cracher ses poumons, avant de trouver refuge dans un parc. Attirée par la verdure, elle avait vite déchanté en constatant la superficialité des lieux.
Les arbres étaient enclavés dans des parterres, taillés régulièrement dès qu’ils dépassaient les limites imposées, maltraités par la pollution d'un air qu'ils peinaient à rendre respirable. Les fleurs étaient sans originalités, nettement plantées et implacablement prisonnières d'un terreau appauvri, quand elles n'étaient pas arrachées par les doigts gourds d'enfants insouciants ou d'amoureux transis. La pelouse était soigneusement tondue, sans égards pour son besoin de grandir. Les mauvaises herbes étaient déracinées sans pitié, inondées de produits chimiques néfastes pour les sols.
Partout où Clochette se posait, elle ne voyait que misère et désolation. Neverland lui manquait plus que jamais.
Malgré tout, la présence de cette créature pleine de magie, et intrinsèquement liée aux éléments naturels, faisait déjà des miracles. Les jardiniers de la commune se plaignaient que les mauvaises herbes repoussaient plus vite que jamais, que les fleurs semblaient décidées à changer l'ordre méticuleux dans lequel elles étaient plantées, que les racines des arbres remontaient et détruisaient le goudron sous lequel elles étaient enterrées. Et la petite fée, pas plus grande qu'une main humaine moyenne, prenait un malin plaisir à encourager cette rébellion.
Bientôt, se promit-elle,
la nature aura repris ses droits sur ce petit bout de verdure.
Quand elle n’était pas occupée à fomenter le soulèvement des plantes dans ce petit parc planté au milieu de la ville, l’exilée de Neverland tentait de se familiariser avec l’air pollué des rues sous sa forme humaine, avec le dialecte de ces gens si
normaux et fades. Peut-être était-ce parce qu’elle était un être fondamentalement magique, mais l’apprentissage de la langue ne fut pas si ardu que cela. Non, ce qui était le plus laborieux, c’était de se fondre dans la masse. Ses deux paires d’ailes ne lui facilitaient pas le travail, bien sûr, mais la réaction la plus récurrente était de la féliciter sur son
cosplay, quoique ça veuille dire. Bien entendu, c’était ensuite suivi de questions sur son bien-être, les gens cherchant à comprendre pourquoi elle n’avait pas froid avec ce temps glacé qui s’était abattu sur la ville juste à temps pour les fêtes de fin d’année. Ses pieds nus soulevaient beaucoup de questions aussi. Mais, en définitive, personne ne s’en souciait
assez pour y faire quelque chose et la fée était libre de repartir dès que la conversation l’ennuyait.
Il n’y avait pas que des prétendus bons samaritains, cela dit, et la blonde dû plusieurs fois courir puis reprendre sa taille de fée alors que des pervers en tout genre essayaient de l’attraper. Elle était la source de ces rumeurs selon lesquelles il y avait un esprit qui hantait la ville, qui aguichait d’honnêtes gens pour ensuite les laisser en plan.
Mais Clochette n’écoutait pas les rumeurs, facilement distraite par tout ce qu’elle voyait, qu’elle découvrait. Elle ignorait les gens qui s’étaient emmitouflés dans de grosses doudounes pour subir le froid, réchauffée qu’elle était par la magie de son être et son lien avec la nature.
Ce jour-là, la blondinette avait tenté de braver le centre commercial. Son regard d’émeraude s’émerveillait sur toutes ces lumières festives, ces monticules de sucreries, ces paquets brillants tout enrubannés. Elle flânait, le regard distrait, quand une femme l’aborda soudain.
«
Oh, ma chérie, j’adore ton costume ! Est-ce que tu aimes te déguiser ? Parce que je peux te proposer un petit boulot sympa, si tu veux ! La fille qui devait m’aider n’est jamais venue. Elle serait malade, apparemment… Tss, on ne trouve plus personne de fiable pour ces petits boulots… »
Pleine d’entrain, la brunette qui venait de lui parler aidait à monter un stand où, une pancarte le promettait, le Père Noël viendrait plus tard pour prendre des photos avec ceux qui le voulaient, pour une somme tout à fait modeste.
«
Oh, et ces ailes font plus vraies que nature ! Tu pourrais même les garder, pour aller avec le costume… T’es partante, ma belle ? »
Sans vraiment comprendre comment, voilà que Clochette se retrouvait embringuée dans l’installation des décorations de Noël du magasin, habillée d’une tenue d’elfette qui lui allait
délicieusement bien, selon
Mariko, la brunette qui s’était auto-proclamée sa meilleure amie du jour. Elle passa un moment à débattre de si elle devait reprendre sa taille de fée pour fuir, ou bien endurer le spectacle encore un peu. Ce qui la décida, finalement, ce fut l’apparition du
Père Noël. L’homme, immense et large d’épaule, attisa sa curiosité immédiatement. Il se dégageait de lui une étrange aura. Il avait un je-ne-sais-quoi qui attirait son attention.
Mariko, à ses côtés, se pâmait déjà devant le colosse vêtu de rouge et de blanc. Elle alla se présenter, toute pimpante, en traînant une Clochette médusée derrière elle.
«
Aaah, enfin, la star de ce stand ! Enchantée de vous rencontrer, Papa Noël, minauda-t-elle.
Je suis Mariko, je serais l’une des elfes qui vous aidera aujourd’hui. Et voici… »
La brunette tourna la tête vers la blonde, ses grands yeux en amande brillant de curiosité et d’un peu de culpabilité.
«
Oooh, je suis désolée ma belle, je ne t’ai même pas demandé ton nom !-
Clochette, répondit simplement la fée en adressant un sourire à Mariko, le ton de sa voix portant un léger carillon dans l’air.
-
Oh, j’adore ! Ça te va tellement bien ! S’extasia la japonaise en sautillant presque sur place, avant de se tourner de nouveau vers le
Père Noël.
Voici donc Clochette, la deuxième elfe à votre service pour aujourd’hui. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas ! Nous sommes là pour ça. Une petite soif ? Nous arrivons avec une boisson de votre choix. Un petit creux ? Vous aurez l’embarras du choix ! »
La fée osa un petit sourire vers l’homme costumé, inclinant la tête dans une parodie de servilité. Elle ne cessa pas de l’étudier pour autant, son regard caressant presque le corps musclé du colosse barbu. Pour une raison mystérieuse, la libido de la fée -dont elle avait été rendue consciente par Crochet- se réveillait en la présence de ce géant à la carrure impressionnante.
L’après-midi s’annonce particulièrement intéressant, songea-t-elle en lissant la jupe de son costume tandis que ses doigts de pieds se recroquevillaient puis se détendaient dans ces chaussures imposées par le costume.