La porte se referme derrière lui dans un glissement feutré, presque complice, comme si le bois lui-même retenait son souffle. Le loquet claque doucement, ponctuant l’instant d’une certitude silencieuse : dehors, la salle résonne encore des échos de leur danse, du bruissement des robes et des soupirs étouffés, de la musique qui s’étire comme un fil invisible. Dedans, la loge devient un sanctuaire suspendu, un espace où chaque respiration, chaque frôlement d’air, semble amplifier la présence de l’autre. Le parfum des fleurs fraîches disposées dans un coin s’entrelace avec celui plus subtil de sa peau créant une atmosphère à la fois chaude et fragile.
Adossée à la coiffeuse en bois blond, Elianora se libère du manteau qui glisse de ses mains avec un murmure de tissu. Sa posture est délibérément lente, presque cérémonielle. Ses doigts effleurent la surface du meuble, suivent les contours du miroir taché d’argent, puis remontent le long de sa gorge, jusqu’à effleurer la douceur de ses lèvres encore teintées de leur baiser. Chaque geste est mesuré, retenu, comme si elle jouait avec lui tout en protégeant sa propre innocence, cette frontière invisible qui rend sa présence à la fois délicate et troublante. Une chaleur douce monte en elle, et son cœur, sans qu’elle ne le voie, bat dans sa poitrine comme un tambour lointain, discret mais décidé, un rythme qu’elle pourrait presque comparer à une flamme qui crépite derrière la vitre, vive mais contenue.
La jeune femme incline la tête, féline et curieuse, observant le chasseur qui croit déjà tenir sa proie.
— Coincée ? répète-t-elle, voix douce et faussement outrée, les lèvres ourlées d’un sourire léger et malicieux. Vous avez une drôle de façon d’accueillir vos invitées…
Un rire cristallin s’échappe alors qu’il parle de menottes et de tenue de policier, étouffé par la lumière dorée qui enveloppe leurs silhouettes. Ses doigts font tourner les clefs comme de petites pièces de théâtre, son regard brillant d’une malice tranquille, mais sans un mot qui trahisse une provocation plus osée.
— Oh… quel dommage pour les menottes. murmure-t-elle, un éclat joueur dans les yeux. Quant à la tenue de policier… je m’en passerai volontiers. La vôtre me convient parfaitement.
La chanteuse avance, souple et silencieuse, jusqu’au sac posé dans un coin, ses hanches décrivant une ondulation qui reste pure dans sa fluidité. Sa voix se fait plus basse, presque un souffle :
— Si vous devez me raccompagner, je préfère éviter de le faire dans cette tenue… Elle attire un peu trop l’attention.
Puis, légèrement, elle se tourne vers lui, un sourcil levé.
— Tournez-vous, je vous prie… à moins que vous ne souhaitiez vous improviser habilleur ?
L’invitation est légère, presque taquine, mais son regard soutenu, intense, laisse deviner qu’elle maîtrise parfaitement la situation. Lorsqu’il s’exécute, La Voix de Velours ouvre lentement son sac, chaque geste précis et silencieux, et en sort des vêtements roulés avec soin : un pantalon sombre, cuir souple et moulant, et un corsage sans manches en cuir finement travaillé. Chaque pièce épouse les formes de son corps sans jamais les révéler complètement, laissant deviner sans jamais montrer, jouant avec la lumière et l’ombre de la pièce.
D’un geste assuré, elle détache sa robe de scène. Le tissu glisse le long de son corps dans un bruissement soyeux. Pendant un instant, la lumière dorée caresse sa silhouette, révélant la grâce de ses jambes gainées de bas noirs, le porte-jarretelles soutenant la tenue, mais rien n’est exposé : chaque mouvement est retenu, pur, volontairement protégé. Son corps est une danse de contrôle et d’innocence, et pourtant chaque geste, chaque frôlement, envoûte subtilement l’air autour d’eux.
Elianora enfile lentement le pantalon, lissant le cuir contre sa peau avec la précision d’un rituel, puis passe le corsage, serrant les lacets avec un soin silencieux. Entre deux gestes, elle cache habilement plusieurs objets métalliques dans les plis de la robe qu’elle replie ensuite avec soin : kukris, lames de jet et aiguilles, tous secrets, tous prêts, mais jamais exposés.
Lorsqu’elle referme le sac, une odeur à peine perceptible flotte dans l’air, âcre, subtile, un avertissement silencieux à quiconque oserait y poser les doigts sans y être invité. Le parfum des tissus, mêlé à celui de son corps et du cuir, crée une atmosphère à la fois sensuelle et retenue, un mélange de mystère et de contrôle.
Redressant la tête, elle réajuste une mèche rebelle et dit d’une voix calme mais assurée :
— Vous pouvez vous retourner, monsieur le gardien.
Lorsqu’il le fait, une autre Elianora apparaît. La Voix de Velours et la robe scintillante ont disparu. Devant lui se tient une jeune femme au port fier, vêtue pour la route et l’action, mais sans ostentation. La lumière caresse le cuir souple, son maquillage encore intact souligne ses traits, et son sourire taquin revient doucement sur ses lèvres, promettant un jeu d’esprit et de gestes, mais rien de plus intime que ce que sa pureté impose.
— Voilà celle que vous allez raccompagner. murmure-t-elle avec malice. Plus pratique… et peut-être un peu moins fragile qu’elle n’en a l’air.
Elle fait tourner les clefs entre ses doigts, le tintement résonnant dans le silence de la pièce, puis incline légèrement la tête, ajoutant avec un défi implicite :
— Et je vous déconseille vivement de toucher à ce sac. Il a un caractère… mordant.
Son regard s’ancre dans le sien, une étincelle de jeu et de défi dans les yeux. Elle ne lui a rien expliqué, mais il devine assez : juste assez pour éveiller sa curiosité, pour attiser l’envie de découvrir les secrets qu’elle garde précieusement, comme une page entrouverte qu’on brûlerait de tourner, tandis qu’au creux de sa poitrine, son cœur continue de battre comme une flamme derrière une vitre, vive et contenue, pleine de promesses et de retenue.