Je lève les yeux vers elle, encore ébranlé par ses mots. Elle n’est pas Rå… et pourtant quelque chose en moi vacille, fragile, prêt à se briser. Je cherche mes mots, mais mes lèvres tremblent, mes excuses s’emmêlent.
"Peut-être… peut-être êtes-vous son écho…"
Ma voix me semble étrangère, un souffle perdu dans l’air humide de la forêt. Mes mains s’agitent, mes doigts se crispent. Je me sens vulnérable, exposé, mais je ne peux détacher mes yeux d’elle. Dans ma langue natale, rauque et hésitante :
"Eg er Damian Urteist."
Puis, reprenant la langue commune, je souffle presque en balbutiant :
"Je… je ne voulais pas vous effrayer… Pardonnez-moi."
Du coin de l’œil, je remarque un éclat de blanc veiné de violet coincé dans les ronces : une fleur fragile qui semble me tendre la main, écho silencieux de sa présence. Je m’approche, sentant chaque racine sous mes pieds, et murmure aux épines de s’écarter. La fleur se détache et je tends la main vers elle, doigts encore tremblants :
"Pour vous… elle survit là où personne ne l’attend."
Le souffle du moment se rompt brutalement. Derrière elle, le bruissement des feuilles. Des silhouettes surgissent, quatre esclavagistes, le métal de leurs armes brillant dans la pénombre. Mon sang se fige, mes sens s’éveillent à l’urgence et au danger.
Ma retenue éclate comme du verre brisé. Un grondement sourd monte de ma gorge, primitif et animal. Mon corps bondit avant même que je ne réfléchisse. L’air se coupe, le parfum de la terre humide et du bois m’enveloppe. Je sens le métal contre ma peau, la peur et la surprise dans leurs yeux, la tension électrique de l’instant.
D'une main je frappe et je projette, j'esquive, et de l'autre main, avec ma rapière je pare, je taille, encore et encore. Mes crocs sont découverts, mes muscles tendus comme des arcs prêts à rompre. Chaque geste est précis, instinctif, mais animé par ma rage protectrice. Je ne pense plus à moi, seulement à elle, à son souffle, à son aura qui a réveillé quelque chose de trop longtemps endormi.
Quand le dernier tombe, inerte, mes genoux fléchissent, mes bras tremblent. L’adrénaline pulse dans mes veines comme un feu liquide. Le vent léger traverse les feuilles, les odeurs de mousse et de sang me parviennent, et mon cœur bat encore trop fort. Lentement, je retrouve son regard. Elle est indemne. Mon souffle revient, saccadé, mais plus calme.
"Je… je ne pouvais pas vous laisser…" murmuré, plus à moi-même qu’à elle.
Mes doigts se resserrent un instant, comme pour retenir ce frisson persistant, ce mélange d’inquiétude et de soulagement.
Mes yeux cherchent les siens, et je les trouve, grands ouverts, emplis d’inquiétude ou de curiosité, je ne saurai dire. Chaque respiration qu’elle prend résonne dans ma poitrine, chaque frémissement de ses épaules me traverse comme une onde fragile.
Je tends la main vers la sienne, l’effleurant à peine, pour m’assurer qu’elle est vraiment là. Mon pouls s’apaise peu à peu, mais mon cœur reste en désordre, vibrant d’un mélange de peur, de soulagement et de quelque chose de plus doux.
"Je… je n’aurais jamais dû…"
Ma voix se brise, rauque, marquée par l’intensité du moment.
"Je… je ne voulais pas vous effrayer."
Elle sourit, fragile et lumineuse, et mon souffle se suspend. Tout en elle me semble à la fois distant et terriblement proche. Sa présence est une caresse sur mes sens, et je me surprends à vouloir rester ainsi, suspendu à son regard, à son parfum, à la chaleur subtile qu’elle dégage.
Je me penche légèrement, presque instinctivement, mon souffle effleurant son visage.
"Diamant…" Je répète son nom, comme pour m’assurer qu’il est réel. Mes doigts effleurent les siens, plus assurés cette fois, mais toujours délicats.
Mes yeux croisent les siens, et un frisson parcourt ma nuque, mes épaules, mes bras. Mon corps écoute chacun de ses mouvements. Je réalise que je n’ai pas seulement protégé son corps, mais quelque chose de plus fragile encore : son essence, son être.
Pour la première fois depuis longtemps, je me permets de sourire. Pas le sourire d’un prédateur, mais celui d’un homme vivant, éveillé, touché par quelqu’un qu’il n’osait plus imaginer.
Je me recule légèrement pour lui laisser de l’espace, mais reste proche, vigilant, tel un gardien silencieux. Mon souffle s’apaise, la tension se dissipe, remplacée par une chaleur douce, diffuse, irradiant de mon cœur jusque dans mes doigts.
"Merci…" dis-je enfin, plus pour moi que pour elle.
"Merci d’être… là."
Je reste immobile, prêt à répondre à chacun de ses gestes, mais aussi à me laisser guider, à me laisser toucher par cette lumière fragile et mystérieuse qu’elle dégage.