Si Guillot de Belloy n’était pas formellement associé à l’Ordre Immaculé, son statut particulier lui ouvrait quelques portes. Depuis son adolescence et la révélation de ses pouvoirs de purification, il avait été visité et instruit par nombre de clercs, qu’ils soient issus de l’Ordre ou non d’ailleurs. Il avait reçu l’enseignement nécessaire à tout chevalier sacré, à tout paladin voulant prendre service au nom de la foi et des plus faibles. Et, s’il ne s’était pas mis au service de la foi, sa dignité n’était nullement remise en cause. Tant que sa réputation restait honorable, l’Ordre lui ouvrirait ses portes, profitant d’avoir, au sein de ses temples et couvents, un fier guerrier divin tel que celui-ci, capable d’imposer les mains aux fidèles et de les guérir de n’importe quel mal connu. C’est que, si Guillot ne réclamait pas l’aumône pour ses services, même s’il l’acceptait, ses refuges, eux, n’y manquaient pas, et faisaient toujours en sorte de faire la publicité de sa venue.
C’est donc après son arrivée à Nexus, et après avoir malencontreusement, mais pas malheureusement, réalisé que l’établissement qu’on lui avait vanté pour bien marquer son arrivée n’était pas un hôtel pour nobles gens, mais un bordel pour grosses bourses, qu’il avait trouvé son chemin jusqu’à un grand couvent de l’immense cité, trouvant chez les sœurs internées ici une oreille très réceptive. Elles devaient, disaient-elles, en référer à leur Mère Supérieure, et il les salua avant de se résoudre à attendre. Il n’eut pas à attendre comme un triste sire sur le pavé, ceci dit, une sœur sortant pour l’accompagner jusqu’à une porte annexe, dans un petit jardin ombragé ouvert à tous, où il put prendre place sur un banc, près d’une fontaine, au milieu de l’herbe et des arbres fruitiers, et où elle lui apporta ensuite un plateau de thé épicé et de biscuits venus de bien loin. Elle s’était montré extrêmement chaleureuse et, peut-être, très tactile, mais les Cocagnards étaient du genre chaleureux et tactiles, prompts à se laisser aller aux amours de passage, aussi n’en fut-il pas choqué.
Il était resté là un moment, profitant des présents et du cadre jusqu’à ce que la sœur, finalement, revienne à lui. Le soleil avait bien pivoté et déclinait dans le ciel, et le temps commençait justement à se faire long. C’est donc joyeusement qu’il s’était relevé et avait rassemblé ses affaires pour attendre devant la grille, voyant bientôt arriver une vieille nonne et une jeune Terranide en habits de moniale à son côté. Son regard passa de l’une à l’autre tandis que le petit discours d’accueil était prononcé et qu’il entrait, respectueux et intimidé et, lorsque la Supérieure eut fini sa tirade, il garda le silence en faisant encore danser son regard entre elles, interloqué. Il avait l’habitude, ailleurs, que les établissements soient spécialisés. On pouvait généralement soit manger, soit boire, soit dormir, soit baiser, mais pas tout à la fois ou en même temps. Et voilà qu’ici, on lui facturait le gîte et la baise à deux endroits différents, et aux deux seuls endroits visités jusque là. Il fallait noter qu’il avait failli aller se rincer le gosier dans un bouge, et que, là aussi, on lui avait laissé entendre qu’une formule spéciale accompagnait la pinte d’une pipe. Mélanger sexe et affaires semblait normal à Nexus. S’était-il trompé en songeant que la Clairière des Muses était un bordel, et pas une auberge ? Qu’à cela ne tienne, il observerait les coutumes locales et il salua dignement la Mère.
« Mère, merci de me recevoir en votre domaine et de m’offrir gîte et couvert. Et je vous remercie de l’attention portée à mes besoins et au service proposé par votre novice. Je… euh… »
« Le montant de votre supplément pourra être discuté à votre départ, » le coupa la Mère, comme si elle ne faisait pas face à ses interrogations pour la première fois.
« Ah ? Super, alors, » s’enjailla-t-il avec une honnête joie ! « Je peux y réfléchir, comme ça. Et… euh… Vous parlez de… »
Encore une fois, la nonne hocha la tête sans attendre la fin de sa question. Guillot lui adressa un hochement de tête intimidé, mais compréhensif, et la vieille fila en les laissant seuls. Le chevalier, dans son armure simple, mais d’excellente facture, et chargé de ses armes et effets personnels, se tourna donc vers la jeune Lupine au doux pelage blanc. Il resta là un instant, silencieux, la dévisageant en remarquant bien l’expression manifestement contrariée, voire dégoûtée, sur son visage, et il s’interrogea sérieusement sur sa bonne lecture de la situation. Finalement, n’y tenant plus et toussotant, il hasarda :
« Euh… Alors… Bonsoir, je suis Guillot de Belloy. Je viens de Cocagne et je… Quel est votre nom, ma sœur ? »