- Ferme t...
Je m'arrête là, levant les yeux au ciel mais n'empêchant nullement un grognement rouler dans ma gorge, lorsque je l'entends m'appeler Maman. Va t'faire foutre. J'ai bien compris que c'était mon « gamin » qui te faisait tiquer, mais arrête ou sinon, je t'étripe. Je me garde bien de le lui dire en face. Après tout, je l'ai bien cherché, et l'admettre me fait tout autant chier, mais ça aussi, j'le dirai pas ! Il y a au moins un truc de rassurant, même si je ne peux pas lui faire confiance à cent pour cent, il dit qu'il ne me trahira pas. Chouette, mais je l'aurai à l’œil quand même.
Je ne dis rien d'autre. J'écoute, j'observe et je constate que l'environnement change, et quand ça devient rouge, en général, ça n'annonce rien de bon. Mais c'est lui le spécialiste. Il m'a clairement montré qu'il connaissait l'endroit, que ce soit sa faune que sa flore, notamment ses dangers, alors même si je reste sur mes gardes, je préfère le suivre lui. Il m'a sortie d'un sacré pétrin, juste avant, et puis, je sais qu'il doit trouver la plante pour Hecilia...D'ailleurs, faut pas que je l'oublie, elle. Cette professeur entendra parler de moi à mon retour à Lenwë.
- J'ai bien une liste mais que deux plantes à trouver dans le coin et pour le coup de main...Ça dépend de si tu dois passer par un intermédiaire pour rendre ta plante, ou si tu dois te rendre à l'Académie et remettre la plante en mains propres à Hecilia.
Je ne lui prendrai pas la fleur de Vérité éphémère des mains, mais je pourrais l'accompagner jusqu'à ce qu'il puisse toucher ce que cette mégère lui doit. Et j'pourrais également en parler à Miuggrayd. Pour l'instant, c'est la Centella Brumatica qui m'intéresse, c'est pour ça que je suis là. Je montrerai les dessins de la plante au gamin plus tard, une fois dans un endroit calme pour se poser.
Nous continuons notre marche et rien autour ne donne envie de rester dans le coin. Grognements, sifflements, ciel qui change de couleur...Et cette putain d'humidité ambiante. Ça colle, bordel de merde ! On sent que tout autour de nous veut notre mort, et heureusement que y'a pas des moustiques géants, mais je comprends mieux que cet ordre de chevaliers ait fini par partir. C'est invivable. Autant se tirer une balle ou se pendre, plutôt que d'être obligé de vivre dans cet enfer. On s'arrête un instant et Grayle me prête sa gourde pour que je ne finisse pas toute desséchée. Même si j'ai la mienne encore, je ne vais pas refuser un si bon geste, et puis, comme ça, il m'en restera pas mal s'il me pose une colle. Une, puis deux gorgées, et ça suffit. Je sens même une petite goutte filer sur mon menton, continuer dans mon cou et disparaître vers mon poitrail. Je ne l'enlève pas, c'est juste de l'eau. Ça fait du bien. Je la lui rends en le remerciant d'un hochement de tête. Puis on reprend notre route...
...Jusqu'à un nouvel obstacle. Objectivement, ce n'en est pas vraiment un pour moi mais visiblement pour lui. Grayle s'énerve et, étrangement, ça me fait rire un peu. Je cache le tout dans un petit sourire et observe ce qu'il y a devant nous. Cette roche est étrange et j'ai franchement pas envie de toucher sans savoir ce que c'est. Miuggrayd m'a toujours répétée de ne pas foncer tête baissée, et même si c'est encore souvent ma marque de fabrique, on va éviter pour ce coup-ci. Dans le reflet de la roche, qui ressemblait à un miroir, le ciel prenait une teinte violette. Mon reflet en était déformé, celui de Grayle également, et clairement, ce n'était pas agréable. Un bref instant, pour ne pas dire une micro-seconde, j'ai cru voir le reflet de mon père. Des siècles sont passés et pourtant, ma blessure semble être toujours aussi vive.
Je masque mon amertume avec un sourire en coin, fixant mon compagnon de route.
- T'aider ? J'avoue que la tentation de t'abandonner est grande mais, ne t'en fais pas, j'le ferai pas. J'ai pas envie de perdre du temps à chercher un autre guide dans c'te fange.
Je hausse les épaules, comme si je m'en fichais, mais j'ai juste envie de l'embêter. Une vengeance pour le « maman » de tout à l'heure. Je m'approche du mur lisse, posant la paume dessus. Aussitôt, une sorte de force invisible repousse ma main, une fine onde faisant vibrer l'air. Je grogne.
- C'te merde...On peut même pas poser un pied d'ssus...
Je jette un regard vers Grayle, puis vers le haut du muret, et de nouveau sur lui.
- J'imagine que si j'te balance direct par dessus, tu vas te péter les chevilles à l'arrivée...Alors j'vais devoir y aller mollo...
Je m'accroupis légèrement, prenant bien appui sur mes sabots. Je joins alors mes deux mains, faisant signe au gamin de se servir de moi.
- Allez, pose ton panard ici et grimpe. Jt'aide à monter et moi, j'vais me débrouiller.
J'ai bien compris que si j'dois prendre appui sur le mur et escalader, j'vais juste me faire rejeter par ce fichu mur à la noix, et prendre un chemin pour contourner l'obstacle, ça pourrait nous faire perdre du temps, en plus de nous emmener vers d'autres emmerdes, même si je ne sais pas ce qui nous attend derrière. Grayle pose son pied droit sur mes mains, puis se tient sur mes épaules pour ne pas perdre l'équilibre. À partir de là, je compte.
- Une...Deux...Trois !
D'un coup puissant, je me redresse et je le pousse au plus haut que je peux, afin qu'il atteigne le sommet du mur et puisse y grimper avec aise. Il ne lui fallut pas longtemps pour finalement passer de l'autre côté. Sauf que moi, j'peux pas faire pareil. Bon, aux grands maux les grands remèdes, et comme j'ai pas envie de prendre des plombes pour juste passer par dessus cet obstacle, j'vais utiliser un peu de magie. Doucement, je me concentre et avec le bas du manche de ma hache, je tape le sol, me fabriquant un escalier de glace, sauf que j'ai intérêt à me grouiller. Ça ne tiendra pas longtemps. Remettant ma hache dans le dos, je grimpe les quelques marches que j'ai pu figer, les entendant craquer sous mon poids et la chaleur qui commence déjà à fondre avec la chaleur ambiante. Ni une, ni deux, je pousse sur mes sabots sur la dernière marche et me projette par dessus, finissant par retrouver le sol de l'autre côté. Réception parfaite. Mes entraînements n'ont pas servi à rien...
- Eurk, ça fouette ici...T'as pété ?
Ça sent le cadavre et le sang...Le spectacle derrière le mur n'avait rien à envier à celui-ci : une clairière, si vaste, entourée d'arbres morts et de statues effondrées, s'étend devant nos yeux. Des stèles jonchent le sol en partie retourné, comme si tout était frais. Des racines vivantes les enlacent comme s'il s'agissait d'objets à garder précieusement. Un soupir bruyant s'échappe de mes lèvres. Cela promet pour la suite.