– Tu es sûr que c’est par là que tu as vu une colonne de lumière, tu dis?
– Ah oui, mon roi, dit le Lanquois, levant son doigt vers l’ouest, et vive! Et je ne suis point le seul à le dire.
Le Roi de Meisa, Serenos de son prénom, arrêta son cheval sur le sentier, et leva les yeux vers la forêt. Voilà quelques jours qu’on lui avait rapporter l’étrange rumeur de lumières célestes qui s’étaient élevées une nuit. Et qui dit lumière dans le ciel dans l’heure la plus sombre, disait souvent maléfice, ou quelque magie qui avait le potentiel d’être un maléfice. Les gens se plaisaient souvent à croire que les magiciens n’avaient rien de mieux à faire que de rendre la vie des gens normaux plus misérable, plus difficile, et pour simple raison que, historiquement, les magiciens avaient souvent usé de leurs talents pour simplifier leur propre vie au détriment de celle des autres. Et donc, pour contrer un magicien, ou du moins son influence néfaste, l’ironie voulait qu’un autre pratiquant des arts occultes ne se mêla de ces histoires. Lutter le feu par le feu, comme diraient certains. Et si Serenos aurait fait dépêché quelque érudit du collège ou même de l’académie, avec l’absence de son fils Aldericht, déjà dépêché à l’est pour venir en aide à sa bien-vénérée tante, et Grymauch n’ayant pas le talent pour les affaires magiques, ne restait que Serenos qui puisse s’assurer d’épargner un triste sort à ceux qui avaient pour mission de rapporter leurs découvertes ésotériques.
Avec le Roi se tenait un jeune homme d’environ une vingtaine d’années, tout au plus. Le jouvenceau, bien mal à l’aise sur son canasson, avait le visage rouge qui en faisait presque paraître ses cheveux cuivre comme les pièces bien pâle. Il s’étirait le dos régulièrement, et se tenait souvent sur ses étriers pour ménager son siège qui, avec la chevauchée infernale que le Roi lui avait fait subir, car si les chevaux ne manquaient pas sur la route royale, et que les écuries réservées aux messagers et diplomates du royaume leur avait garanti de fraîches montures, son séant, lui, avait ses limites, des limites que son souverain s’était presque fait un devoir d’ignorer.
Balazan, car tel était son nom, était un
asandr* d’Eist’Shabal, et un étudiant des arts occultes. Sans être lui-même magicien, sa passion pour cet art lui avait attirer l’attention du maître ensorceleur Valaqer Jörsa, et en tant que son élève et assistant, il se voyait occasionnellement confier des tâches que même des apprentis ne se verraient pas accorder. Ce n’était pas pour son talent pour la magie, qu’il ne pouvait avoir car ne possédant pas l’étincelle créatrice requise pour la pratiquer, que Serenos avait accepté qu’il l’accompagne, mais pour sa perspicacité, de laquelle maître Jörsa se portait si volontairement garant. Serenos, pour son savoir toujours grandissant, n’était pas nécessairement doué pour relever les subtilités arcaniques, et donc un assistant, peut-être pas plus futé mais plus attentif, pouvait lui éviter de se retrouver dans une situation fort embarrassante.
Suivant encore la route, Serenos leva un doigt vers le nord-est-est.
- Je sens des traces de magie dans l’air.
– De la magie noire, sire? demanda Balazan sans même daigner de restreindre son enthousiasme à cette idée. Peut-être rencontrerons-nous quelque necromancien qui aura lancé un sombre rituel dans la nuit?
– Non pas, dit le roi en secouant la tête. Ah, ces jeunes, si empressés de se retrouver devant le danger. Non, mon garçon. Je ne crois pas que nous ayons affaire à un occultiste malveillant. Cette magie ne ressemble en rien à ce qui se trouve sur nos terres, je dois donc supposer qu’un étranger court mon domaine. Je ressens le désespoir dans cette magie. En bien ou en mal, je ne saurais dire. Le responsable, cependant, lui, était persuadé de devoir réussir à jeter le sort.
Et là venait la différence entre un magicien et un sorcier du calibre de Sa Royale Majesté; un magicien pouvait étudier un sort, les plus talentueux et les plus adeptes pouvaient même identifier quel genre de sort faisait ouvrage, mais seul un sorcier, si finement calibré, pouvait ressentir jusqu’aux sentiments insufflés dans un sort.
– Et moi qui espérait une aventure épique, vous me découragez, Seigneur, se plaint le pauvre garçon, la mine basse et boudeuse.
–Allons, allons, fit le Roi en lui tapotant l’épaule. Je dis simplement que le responsable n’est
peut-être pas aussi dangereux que vous le désirez. Qui sait ce qui a motivé un désespoir aussi grand chez une personne. Peut-être la menace d’un maître sévère, ou d’un effet indésirable en cas d’échec, voire même une conséquence grave. Peut-être était-ce le sort ultime lancé par quelque héros sans nom dans une tentative de se débarrasser de quelque menace. Non, je n’oserais pas prétendre savoir ce qui nous attends. Pas encore, du moins.
– Ah, seigneur, que j’espéra voir votre talent de mes propres yeux, et peut-être la providence m’offrira encore cette chance!
– Vous êtes bien brave de tenir un tel discours. À croire que vous souhaitez que je fusse en danger.
– Ah mais, protesta l’érudit, ses joues de nouveau rouge comme le soleil couchant, jamais je n’oserais! Jamais, seigneur!
– Je vous taquine, Balazan. Je taquine, tout simplement.
***
Au loin, ou du moins trop loin pour que le Roi le remarqua, une ombre se fit discrètement violence et suivit un sentier dans les broussailles qui se dirigeait vers le petit village de Portuet, au sud de l’endroit où le Roi de Meisa se dirigeait. Sur des pieds rapides et agiles, elle traversa rapidement les terres et rejoignit un grand champ de blé dans lequel même la vue perçante du Roi ne l’aurait vue, et avec ce même pas pressé, elle le traversa, enjambant la terre retournée par endroit avec le naturel de celui qui a toujours travaillé la terre, bondissant agilement entre les rangs de ces plantes qui, bientôt assez grandes, seront utilisées dans la confection du pain.
Acacia était une jeune fille de vingt ans, et avec ce jeune âge par rapport à la longévité des seigneurs du sud, elle n’était pas encore tout à fait femme. Il lui resta encore quelques années pour atteindre sa pleine croissance, et si elle avait autant d’expérience de vie qu’une femme adulte des femmes des autres nations, elle n’était encore vue que comme une enfant par ses semblables. Ses cheveux, cependant, présentait déjà des mèches noires comme nuit dans sa crinière blanche comme neige, témoins de son âge, et sa peau, dorée comme celle de ses concitoyens, ne laissait aucun doute sur son héritage, et ce malgré les mélanges de société des dernières décades qui avait vu les peuples accueillir nombres de métis. Une robe paysanne était passée négligemment autour de ses hanches, tenue en place par une épingle de fer passée et repassée dans le tissu.
La jeune demoiselle accourut aussi vite qu’elle le put jusqu’à Portuet, sans même prendre le temps de reprendre haleine; comme toutes meisaennes de son âge, son endurance était remarquable, à l’image de ses ancêtres chasseurs qui courraient avec les loups et les panthères à la recherche de leur repas du soir. À son passage, les chiens locaux aboyaient joyeusement pour la saluer, mais aussi pour signaler son retour à ses concitoyens, qui, habitués à ce genre de démonstration, n’y faisait guère attention.
Elle gagna alors la maison de Ronald, pantelante, ses cheveux raides collés à ses tempes et à son corps humides de sueur.
– Ronald! Ronald! S’époumona-t-elle. Ronald! Il y a un seigneur qui va à la forêt! Un grand seigneur, oui! Je crois qu’il vient pour madame, oui!
Un homme s’approcha alors de la maison de Ronald et, sans passer le pas de la porte, s’accouda à celle-ci. Il était grand, bouclé de cheveux noirs et sel, et ne portait qu’une veste sur ses épaules, et un pantalon bouffant souillé de terre. Une lourde moustache affublait son visage âgé de sa septième décennie, bien que ses muscles saillants laissait savoir que ce généreux bonhomme était encore dans la force de l’âge.
– Ah bien, je t’avais bien dit, Ronald. Y’a peut-être bien de la seigneurie dans madame, après tout. Blonde, pâle et avec une robe de soie, moi, je te dis, c’est probablement la maîtresse d’un seigneur, et le voilà qui vient la quérir.
À ses mots, une autre femme se joint au groupe, et frappa solidement l’homme derrière la tête. Elle, comme Acacia, était tout aussi sombre de peau, mais sa tête était ornée d’une longue chevelure aussi noire que nuit, et jouissait des formes avantageuses et des puissants muscles de la femme adulte. De la même taille que sa victime, elle sembla point pouvoir être intimidée par celui-ci, et il ne sembla pas même y avoir la moindre inclinaison.
– Tais-toi, Frahirn. Que sais-tu, toi qui ne voit rien et qui écoute la petite. C’est probablement juste un magicien curieux qui vient jeter un coup d’œil à la forêt. Il partira dès qu’il aura vu qu’il n’y a rien à voir.
– Mais non, mais! S’exclama Acacia. Je l’ai vu, moi ! Il était grand et fier et brillant, et il était long de cheveux! Je l’ai vu, moi !
– Acacia, tu ne sais pas de quoi ressemble les seigneurs, tu te seras trompée, voilà tout, dit la femme en secouant la tête. Un magicien aussi peut avoir le cheveu long, même s’il n’est pas seigneur. N’accable donc pas le pauvre Ronald, et va voir ton père pour le dîner. Ah, tu es toute sale encore! Vilain enfant!
– Mais mère! Oh, maman!
– Il n’y a pas de « oh maman » qui tienne! Au bain, ma fille, et tu récureras ta robe.
Et Acacia s’en fut, non sans taper du pied dans sa frustration, sous le regard maternel, qui ne la quitta point jusqu’à la voir disparaitre derrière une maison. Une fois hors de vue, Abrica contourna la maison de Ronald pour rejoindre la fenêtre qui donnait sur la petite salle où se reposait leur invitée, et elle passa la tête par la fenêtre en s’y accoudant, jetant un regard vers la dénommée Jaina, lui adressant un sourire bienveillant comme pour la rassurer.
– Il n’y a de raison de s’en faire, madame. Si c’est un monsieur mal intentionné qui atteint notre village, ou un brigand, il n’y viendra point seul. Si quelqu’un vint pour vous reprendre, je n’ai nul doute qu’il ne s’aventurerait pas en Meisa à la recherche d’une femme sans avoir au moins une escorte conséquente et la folie de braver le courroux de sa Majesté.
Ces paroles, prononcées avec la plus grande courtoisie, se faisaient respectueuses, car ne sachant rien de la dame, et les Meisaens étant fort prudent en matière de noblesse et de hiérarchie, ne voulait-elle pas risquer d’offenser leur protégée en la privant des égards réservés aux gens de haute naissance. Si Meisa avait fait de grand pas pour s’éloigner de l’inégalité des classes, ne restaient encore que de très anciennes traditions qui restaient encore ancrées dans l’esprit collectif. Une femme si belle et si préservée de la violence et du rude travail ne pouvait être autre qu’une femme de noblesse.