Fidèle à son image de personne douce et généreuse, Rubis ne le coupa pas une seule fois pendant ses explications. Et si Jack resta à l’affût d’un signe de doute dans son regard, elle sembla accepter son histoire de bon cœur, et elle lui témoigna même un soutien mesuré d’une main sur son épaule. Il se sentait certes coupable de mentir, mais rassuré de pouvoir conserver sa couverture et bénéficier d’un abri pour la nuit. Certainement, demain, il pourrait partir.
Et puis, elle mit fin à l’essentiel de son tracas en lui précisant qu’elle était simplement plus à l’aise dans cette tenue et qu’elle travaillait souvent la nuit. Il pencha la tête sur le côté, surpris et curieux.
« Ah ? »Il s’apprêtait à lui en demander plus lorsqu’elle le coupa d’un entrain soudain. Elle semblait vouloir absolument faire taire toutes ses inquiétudes en le sommant ainsi de les mettre de côté et de ne pas se sentir de trop. Sans doute sa nature si douce lui empêchait-elle d’en faire davantage et de lui dire de but en blanc de se taire et d’apprécier le moment ?
Quoi qu’il en soit, elle prenait son confort très à cœur, au point qu’elle s’engagea d’un seul coup et sans hésiter sur le chemin qu’il n’avait voulu emprunter en lui proposant de prendre une douche ici, et même de manger un peu. L’extraterrestre voulut d’abord protester et dire qu’il n’en valait pas tant, mais il se rappela son assurance et se tut. Et puis, il avait vraiment faim et bien envie de se laver.
En tout cas, si son histoire sur la raison de la présence de vêtements d’hommes chez elle ressemblait à sa propre tentative de dissimuler une vérité impossible à dire, il ne le lui fit pas remarquer et fit ainsi qu’elle l’avait fait, acceptant le récit de la commande mal remplie en hochant la tête avec un sourire.
« Au final, c’est bien pratique ! »En plus, il aurait des habits de rechange, de quoi passer plus inaperçu à la mode locale. Les autorités devaient rechercher un alien bizarre, gris ou vert avec une grosse tête et de gros yeux noirs, à en juger par ce qu’ils affichaient de leurs rencontres passées avec les extraterrestres. C’était bizarre, d’ailleurs, le planétarium n’en avait pas parlé. Ça avait l’air d’être un sujet assez important pour être adressé. C’était peut-être trop récent, et ils allaient peut-être moins vite que les gens de l’annuaire ?
« Et bien… J’accepte ta charmante proposition, Rubis. Merci. Vraiment. »Finissant son verre d’eau, il se laissa guider par la maîtresse des lieux en s’efforçant autant que possible de ne pas bloquer sur le joli bord de lingerie qu’il aperçut lorsqu’elle se leva et lui tourna le dos. Il garda le regard sur l’arrière de son crâne en dépit de la tentation de savourer le mouvement de son corps en sablier afin qu’elle le guide jusqu’à la salle de bains, une installation sommaire mais visiblement efficace. Ou bien ils étaient en avance, ou bien eux avaient fait peu de progrès en la matière depuis qu’ils avaient commencé à rejoindre les étoiles. Elle lui montra en tout cas la baignoire avec son climatiseur et sa douchette, et son système de réglage de température, et tout un tas de gadgets qui étaient, semble-t-il, courants ici, dans ce pays, le
Japon, alors que c’était quasiment inconnu ailleurs. Vraiment ?!
Il l’écouta lui annoncer le fonctionnement de chaque chose comme un cadet à une formation décisive, en silence, mains dans le dos et en hochant la tête presque constamment, et elle le laissa bientôt tranquille en lui annonçant qu’elle allait préparer à manger.
Jack se rappellerait-il de toutes ces options ? S’il pouvait naviguer l’espace, il le pouvait sans doute. Ah ! Zoe aurait pu l’aider. Elle en avait plus que lui dans la caboche, c’était certain ! Mais il pouvait le faire. Ceci dit, il était si concentré sur cette tâche qu’il n’avait pas réalisé que la distraite Rubis avait oublié un petit détail en sortant : les vêtements de rechange. Et, s’il voulait sortir pour manger, il allait en avoir besoin.
Quoi qu’il en soit, ignorant ce soucis et ses répercussions, Jack se déshabilla prestement afin d’affronter, enfin, l’intimidante douche japonaise. Il mit ses affaires sales en ordre, pliées rapidement sur le côté pour ne pas faire fouillis, et se risqua à mettre un pied dans la baignoire ; puis l’autre. Il tint bientôt au milieu de la cuve carrée, légèrement baissé, géant dans une maison trop petite pour lui, et il se pencha encore sur le fameux panneau électronique.
C’est à ce moment que quelques tapes pressées résonnèrent sur la porte, et le vétéran, toujours inconscient de la situation, pensait que Rubis venait lui demander si tout allait bien à travers. Aussi répondit-il :
« Oui ? »Il se figea en entendant la porte s’ouvrir et de petits pas se précipiter avant de stopper net. Il marqua une brève pause avant de tourner son visage légèrement rouge d’embarras et son regard rond vers celle qui s’était transformée en un épouvantail de tomates portant un tas de linge plié bien trop grand pour elle. Il évalua sa position et, heureusement, il se présentait de profil et sa cuisse légèrement avancée dissimulait sans doute à la vue de la jeune femme le corps viril de son invité ; quoique, selon l’angle, compte tenu du gabarit proportionnel à sa stature générale, la perspective d’une œillade impromptue ne pouvait être exclue.
Il éructa légèrement pour décoincer sa gorge et parvint finalement à articuler, en bougeant pour cacher son sexe entre ses grosses paluches.
« Tu… Hm ! Tu peux les poser où tu veux. Fais… Fais comme chez toi, je… Désolé. »Il la laissa faire, tête basse, en-dessous de tout ; mais pas à cause de ce qu’il avait fait, plutôt à cause de ce qu’il pensait à faire. Car, comme elle s’apprêtait à quitter la pièce en catastrophe, l’arrêter le démangeait. Et il ne put s’empêcher de jouer mentalement à pile-ou-face
* : il cédait à pile, il la laissait filer à face. Et, alors qu’elle prenait la porte, son esprit fit
pile.
« Rubis ? »Il la sentit s’arrêter et, osant remonter son regard jusqu’au sien, il formula presque malgré lui :
« Viendras-tu m’aider avec mon dos ? »Il se trouvait vraiment excessif, mais il se trouvait dans une situation vraiment inédite et son réflexe en tant qu’homme d’action face à des conditions si critiques avait toujours été de profiter pleinement de la compagnie qu’il avait. Après tout, si la belle albinos répondait « oui », il n’aurait rien à se reprocher ; sans doute.
* Je l’ai vraiment joué à pile-ou-face, c’est vraiment trop tendu.