«Mona, il serait peut-être temps d’envisager d’avoir ton propre assistant. Ou assistante d’ailleurs tu ne crois pas ? Cela allégerais considérablement ton travail...»
«Et le tien ? »
«...et le mien. J’avoue.»
Danny. Le beau Danny. Son grand nez...sa belle bouche, ses grandes mains. J’aimerais tellement qu’il accepte de...mais je l’entends me dire «Ce ne serait pas professionnel...je suis ton agent.» Et c’est vrai. Il a raison. Ce ne serait pas professionnel. Il est mon agent. Merde. J’aurais dû rester la petite écrivaillonne de pacotille qui remplissait des forums et noyait les autres de mes écrits. Je ne gagnais rien, mais au moins je n’avais pas d’obligation de travail et encore moins de me tenir à carreau pour respecter les codes de déontologie professionnel. Nyanyanya.
«Alors ?»
«...Est-ce que j’ai le choix ?»
«Oui. C’est dans ton contrat. Tu as le droit d’accepter ou refuser ce qu’on essaie de te suggérer.»
«Ah oui ! Je vous ai coincé ! En acceptant de signer chez vous qu’à la condition que je reste libre de mes mouvements...»
Cela me fait rire, mais pas Danny, qui savait pertinemment que j’avais joué de mes charmes pour obtenir gain de cause.
«D’ailleurs...il est prêt bientôt mon bureau personnel ?»
«Oui. Encore en travaux, mais ça ne saurait tarder.»
Appuyé contre le chambranle de la porte du bureau que je partage avec un autre écrivain dont le nom m’échappe, il a l’air fatigué. Depuis que mon livre est sorti, sous le pseudonyme de «Charlie», que les ventes sont montées en flèche, Danny n’arrête pas. Répondre à des coups de fil, accepter ou non des interviews tout en cherchant une personne qui pourrait jouer les faux Charlie pour la télévision. Parce qu’il ne faut pas croire. Les gens sont curieux de savoir à quoi ressemble l’écrivain qui dérange. Je ne sais pas si j’ai du talent. Je sais seulement que j’ai des idées. Et elles se vendent mieux que ce que je craignais en débutant et que ce qu’espérait la maison d’édition en me faisant signer un contrat. Sans gêne, je fixe Danny de la tête aux pieds. J’ai la dalle et j’aimerais qu’il se laisse aller. Mais cette foutue règle à la con plane dans les yeux qu’il ose pourtant dans mon décolleté. Je le sens et je fais exprès de me pencher sur mon bureau, afin qu’il n’ait une meilleure vue sur mes orbes charnus.
«En vérité...on a trouvé quelqu’un Mona.»
«Pardon ? Je pensais que tu avais besoin de mon aval pour...»
«Tu es arrogante de penser que tu as le droit de décider de tout ma jolie. J’ai besoin de temps, de vacance et...toi d’un assistant. Tu es la seule dans ces foutus bureaux à ne pas vouloir quelqu’un pour t’aider...répondre a tes courriers...te faire du café ou je ne sais pas.»
«Tu ne veux plus me faire le café ?»
«Mona...je ne suis pas payé pour ça. Bordel.»
Son ton durcit, il a une voix sexy. Mais je sens que c’est du sérieux cette fois. Danny m’apprécie-t-il ? Parfois j’ai l’impression qu’il me déteste et déteste ce que je représente. Une jeune femme qui fait du porno son art littéraire. Je pense qu’il faut que j’arrête de jouer avec ses nerfs, car aussi patient soit-il, il me semble voir que c’est bientôt la fin du gentil Danny si je continue comme ça. Je me redresse donc et soupir, essayant de m’adoucir…
«Pardon. D’accord Danny. Et c’est qui ? L’heureuse élue ?»
«Heureux élu...»
Il s’approche du bureau et presse sur le bouton du téléphone. La voix agréable de la secrétaire s’élève entre nous deux.
«Oui ?»
«Montez le dossier de Darius s’il-vous-plaît Camille.»
«Oui monsieur...»
«Merci.»
Je me demande s’il couche avec elle. Il devrait. Elle est plutôt jolie malgré ses grosses lunettes...mais il paraît que ça excite les hommes...femme à lunettes, femme à...Tais toi Mona. Danny me regarde, puis se détourne pour aller vers la porte qu’il ouvre au moment où au bout du couloir, arrive Camille, un dossier contre sa jolie poitrine. Elle lui tend le dossier, me sourit et s’en va sans un mot, tandis que Danny revient avec le document qu’il laisse tomber sur mon bureau. Je l’ouvre de deux doigts, curieuse de voir à quoi ressemble ce fameux Darius.
«Attends...» Danny arrête son mouvement de quitter le bureau et se tourne, la main sur la poignée de la porte. «Il n’y a pas de photo !»
«Pourquoi faire ?»
«Savoir si je suis d’accord...»
«Mais Mona. Je te l’ai dit. On l’a trouvé. On lui a fait passé un premier entretien et on pense qu’il sera parfait.»
«Et moi ?»
«Tu vas devoir faire avec. Tu pourras toujours nous dire s’il te convient après l’avoir rencontré...»
«Quand ?»
«Dans deux heures.»
«Pardon?!»
La porte claque sur Danny, tandis que je reste interdite, mon doigt sur le dossier de Darius. Je suis peut-être aller trop loin en lui faisant du rentre dedans à Danny. Et c’est potentiellement pour ça qu’il délègue de son travail à quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui devra supporter mes humeurs, mes hormones et tout le tintouin. Je décide de tuer le temps en lisant un peu le dossier de mon potentiel futur assistant, mais il n’y a pas grand-chose sur lui, si ce n’est qu’il est plutôt brillant dans ses études, qu’il veut devenir professeur d’université...encore un type propret en costume, chiant comme un comptable, j’en suis certaine. Avec un costume de tweed avec les coudes renforcés par des carrés de cuir.
Je ne termine pas ma lecture et lance le dossier sur le grand bureau, le regardant glisser pour tomber sur le sol dans un bruit de feuilles volantes. Si au moins ils m’avaient laissés choisir ? Mais ils ont sûrement peur que je ne cherche un ou une partenaire sexuel plus qu’une personne qui sache faire son travail correctement. Le pire ? C’est qu’ils ont raison. Je me fais craquer la nuque, observe la vue en tournant dans mon siège lentement. Deux heures. Je vais faire quoi pendant deux heures moi ? Je ne suis pas douée, dans mes phases hypomaniaques, pour tuer le temps. Surtout seule dans ce grand bureau. Je pourrais appeler Camille...je suis certaine qu’avec les bons mots...non. Bien sûr que non. Cette fille pue l’hétérosexualité à plein nez. Je me lève, m’étire, encore courbatue de ma séance de sport de ce matin, tôt. J’aime mieux faire ma muscu le matin, afin d’éviter de me retrouver avec des plans cul potentiels à la salle où je vais.
«Camille ? Pouvez-vous m’apporter un café s’il-vous-plaît ?»
«Oui, bien sûr !»
Et votre petit cul sur un plateau...je me demande comment elle aurait réagit, mais j’ai raccroché avant de sortir la phrase de trop. Je suis peut-être une écrivaine qui a la cote, je suis remplaçable, comme tout artiste dans ce milieu de vautour. En attendant que Camille n’apporte ma boisson, je vais ramasser le dossier, ramasse les feuilles qui ont volées et les rassemble. Mon regard accroche alors des bouts de phrase...attendez. Oh mais c’est intéressant ça ! Des écrits érotiques ? Plus qu’intéressant. Je m’assied sur le fauteuil dos à la porte, prenant la place de la visiteuse, puis commence à lire, sans entendre Camille frapper.
«Mona ? Votre café...»
«Oh...oui bien sûr. Pardon.»
Je ne lève pas mes yeux des documents, tout juste pour regarder la croupe de Camille lorsqu’elle dépose la tasse devant moi. J’ai envie de lui demander si elle a lu les essais de Darius Williams, mais je me mord l’intérieur de la joue. Harcèlement sexuel, il ne manquerait plus que ça dans mon dossier à scandale. Je la remercie de mon plus beau sourire et l’observe du coin de l’oeil tandis qu’elle retourne à son étage, reprenant la lecture tout en sirotant le café, crémeux et sucré, pile comme je l’aime. Est-ce la boisson où les mots que Darius emploient ? En tous les cas, j’ai chaud...mais je me retiens de me masturber, mon collègue pouvant débarquer à tout moment. Et ce dernier à la fâcheuse habitude d’entrer sans frapper, sans faire de bruit même. Une fantôme, pâle comme la mort, petit et bedonnant, chauve comme un œuf. Doué, il paraît, dans ses récits d’aventure, mais je ne lis pas ce genre de trucs. Je lis même rarement des livres en fait. Je ne le dis jamais, car les gens trouveraient à critiquer une écrivaine qui ne prend pas le temps de lire plus que ça. Pas que je n’aime pas, mais en dépression, je n’ai pas la force et en phase haute, je suis occupée ailleurs.
Le temps passe plus vite lorsqu’on lit. Je m’en rends compte lorsque je termine les essais de Darius, ce type a louper sa vocation. Bien sûr, tout ça demanderait une relecture, quelques ajouts et retraits de détails qui ne font qu’alourdir le texte, mais la base est là. Et bonne. C’est si difficile de trouver des histoires excitantes. Souvent les personnages sont creux, sans envergures. Les femmes sont toujours d’affreuses nunuches ou des vierges effarouchées et les mecs...enfin…
Mon café a refroidi, mais je continue de le siroter en lisant la fin du récit, me sentant humide, ce qui n’est pas une bonne idée vu que j’ai un rendez-vous et que…
«Mona ? ah. Je ne savais pas que tu serais là aujourd’hui...»
«Oh...heu...» Comment c’est son nom déjà ? «Oui. Disons que j’ai rendez-vous avec mon futur potentiel assistant» Je rosit. L’écrivain est là, à me regarder. Il a le front luisant, probablement a-t-il prit l’escalier, comme il le fait souvent, contrairement à Camille. Mais je la comprends. Cinq étage pour du café, aller et cinq retour, cinq à nouveau pour un dossier...on me tanne pour que je prenne un assistant, alors qu’on ne propose pas d’engager une secrétaire pour cet étage. Celui où mon bureau est en construction, au dernier étage du building, possède sa propre secrétaire, une assistante de secrétaire et tout le confort qu’ici, il n’y a pas. Le bureau est aussi impersonnel que la salle d’attente. D’ailleurs, pourquoi est-ce que ce type me fixe ? J’ai fait une tâche sur
ma robe ?
«Un...assistant ?»
«Eh bien oui, comme toi j’imagine ?»
«Je n’ai pas d’assistant...»
«...»
Oups. Oups pardon. C’est vrai que tous les écrivains qui travaillent avec la maison d’édition n’a pas d’assistante. Je pense qu’il faut rapporter une certaine somme par vente pour avoir ce droit.
«Ah...haha. Oui, mais tu sais...he...ce n’est pas vraiment un choix de ma part hein. On me l’impose parce que...» J’ai beaucoup de demande et...je...ouhla. J’ai l’impression que quoi que je dise, je vais m’enfoncer et donner envie à mon collègue de m’enfoncer le coupe papier dans la gorge. «Enfin. Cela ne te dérange pas de nous laisser le bureau ? Mon rendez-vous ne va pas tarder et...»
«Mona ?»
«Oh...» Je me rue sur le téléphone et appuie sur le bouton qui clignote. «Oui Camille ?» Merci si tu savais ma belle comme tu me sauves les miches. «Il y a un Darius William pour Charlie.» Je la remercie et raccroche, vais m’asseoir dans le siège derrière le bureau, prête à accueillir Darius. Mais mon collègue ne semble pas bouger d’un poil. Je me racle la gorge, il me fixe et fini par s’éloigner, ses affaires sous le bras.
«Monsieur Williams ? On vous pouvez y aller.»
C’est tout ce que le petit bedonnant dont le nom m’échappe sort à Darius en passant. Je l’entends et me lève tiens prête, un calepin devant moi. Je n’aime pas prendre de note sur un ordinateur lorsque je discute avec les gens. Je trouve que cela donne l’impression que nous ne sommes pas intéressés. Je remet de l’ordre dans mes vêtements, fait mine d’être occupée à lire le dossier de Darius Williams en attendant que ce dernier ne vienne. Mais l’angoisse de cette rencontre (J’ai toujours eu en horreur de faire des choses auxquels je ne suis pas préparée plusieurs jours à l’avance…) me donne envie de faire pipi. Je me lève et au moment où il passe la porte, je referme celle du petit toilette à droite de la pièce.
«Pardonnez-moi, monsieur Williams, j’arrive tout de suite. Installez-vous seulement.»
J’espère qu’il m’a entendue et me dépêche de faire ce que j’ai à faire, les besoins de la nature étant les plus importants, avant de me laver les mains et ressortir pour me diriger vers mon futur assistant. Je suis plutôt agréablement surprise de ne pas me retrouver face à un futur prof en pantalon de velours côtelé et veste de tweed...je lui tend une main parfaitement manucurée.
«Bonjour, bienvenue ! Je suis Mona Duval...enfin. Charlie !» Je pense qu’il est au courant. Non ? Il semble surpris de me voir...