«Vous devriez penser à votre santé...le sport...»
«Pardon ?»
«Je disais que vous devriez...»
«Non la suite.»
«Le sport ?»
«...»
Le silence que laissa Edwina Papadakis voulait tout dire. Bien plus que si elle avait mis des mots. Installées de toute sa longueur dans une méridienne aux pieds dorés, elle regarda son vis-à-vis de la tête aux pieds, lentement, remonta ses yeux de ses pieds à sa tête, deux fois, puis soupira, avant de se redresser sur son séant.
«Vous êtes sérieux là ?»
«He bien...c’est à dire que...»
L’employé de maison n’était pas à l’aise, d’autant que sa collègue n’arrêtait pas de le regarder avec insistance depuis son poste, juste derrière leur patronne. Elle secoua la tête plusieurs fois, comme pour lui dire de ne pas continuer sur cette voie-là.
«C’est à dire que...je me suis dit que...enfin vous savez...»
«Je ne sais pas. Dites-le moi ? Je vous écoute...je suis...toute ouïe !»
Et pour appuyer ses dires, Edwina s’était penchée en avant, les coudes sur ses genoux, sans quitter des yeux l’odieux qui osait lui dire que faire de sa santé, de sa vie, de son corps...tout ce qu’elle détestait. Plus il s’enfonçait dans des recherches explicatives, plus la femme semblait prendre plaisir à le laisser se noyer dans des justifications.
« Votre médecin à dit hier, que vous deviez faire un peu d’exercice pour...»
« Non mais allez-y, sincèrement. Je ne vais pas vous manger, c’est promis. Dites moi, allez...»
Son ton, faussement maternant, était amusé, presque sadique. La jeune femme derrière sa maîtresse, continuait de secouer la tête, lui faisant des petits signes pour qu’il arrête le massacre. Car il ne ferait qu’offrir une opportunité de scandale à miss Papadakis, qui adorait ça, au fond.
«Dites le.»
« Vous devriez faire plus attention à votre poids.»
Nouveau silence, qui fut brisé par le petit bruit d’une claque sur un front. C’était la jeune domestique, derrière, qui venait plaquer sa paume contre son visage, se mordant l’intérieur de la joue pour ne pas rire. Car au fond, elle savait que l’employé avait raison.
«Charles...mon petit Charles...»
«C’est Tom madame.»
«Soit. Tommy chéri. Est-ce que je vous paie à faire la balance ? Dans tous les sens du terme ?»
«Non madame me paie pour entretenir la maison et m’assurer que les placards soient toujours garni et...»
«Donc, votre avis sur la question importe peu n’est-ce pas ?»
Le ton doucereux qu’adopta Edwina n’augurait rien de bon. Parfois, lorsque la grecque était trop calme dans ses propos, c’était uniquement comme dans l’expression «le calme avant la tempête.» De plus, il était très malvenu dans cette maison, de parler de sport, car la maîtresse des lieux avait horreur de tout ce qui lui demandait des efforts, sauf si c’était dans l’optique de trouver du plaisir. En somme, le seul sport qu’elle acceptait était le sport en chambre. D’autant que certes, elle ne faisait pas beaucoup d’exercice, oui, elle aimait manger et sa gourmandise n’était plus à refaire, mais elle n’était pas grosse. Elle avait simplement la coquetterie d’aimer laisser des rondeurs sur son corps, là où elle savait que les amants aiment à y mettre les mains. Et qu’un employé, même pas payer à son bien être physique, nouveau de surcroît, se permette de lui faire la moral, était quelque chose qui avait tendance à la mettre en colère. L’irrité. Il risquait sa place en osant des mots pareil, surtout à l’heure de la sieste digestive, un peu avant son repas de midi.
«Oui, madame. Mais. Je ne voulais pas vous...enfin je ne faisais que...»
«TAISEZ-VOUS !»
Edwina se leva, souplement, remettant de l’ordre dans son peignoir, replaçant ses orbes charnus qui menaçaient à tout moment de s’échapper du tissu finement brodé de la robe de chambre qu’elle ne quittait jamais avant sa sieste du matin. Théâtrale dans la gestuelle, elle s’approcha de Tom et pointa un doigt manucuré et empli de bagues dorées, sur son costume parfaitement repassé, sans un pli, au niveau de son petit ventre rond.
«Vous me parlez de sport, alors que vous avez la bedaine d’un homme aimant un peu trop la bière. Je me trompe ? Vous me faites la moral sur ma santé, alors que pas plus tard qu’hier au soir, je vous ai aperçu dans la rue, en état d’ébriété au bras d’une demoiselle qui l’était tout autant. VOUS OSEZ me prodiguer des conseil sans importance, juste parce que vous avez assisté à mon entrevue avec cet affreux petit personnage qui ose se dire «docteur» ?? JE VOUS EN PRIE !»
«Madame...vous ne devriez pas vous énerver, c’est l’heure de votre sieste et...vous n’allez pas trouver le sommeil.»
C’était les premiers mots depuis le début de cette conversation, qui sortirent des lèvres légèrement maquillée de Rosie, la demoiselle de compagnie d’Edwina. Une jolie brune aux boucles qu’elle laissait retombées sur ses épaules, selon les désir de sa maîtresse. La jeune femme quitta son poste derrière la méridienne et se plaça derrière Edwina qui la dépassait d’une tête, posant ses mains délicates et manucurées sur ses épaules, les lui massant délicatement.
«Madame...s’il-vous plaît.»
«BIEN...Pardon. Vous avez raison, Josie.»
«Rosie madame...»
Le timbre onctueux, la voix cristalline de Rosie avait le don de calmer le volcan avant qu’il n’entre en éruption. Et Rosie était la seule capable de cette prouesse. D’autant que Tom avait choisi le pire moment et le pire sujet à aborder devant Edwina. Ses rondeurs dérangeaient le corps médical, dans un monde où la plupart des femmes désiraient une taille fine, un ventre plat, des jambes de nymphes. Tout ce qu’Edwina ne possédait pas, elle qui avait une croupe large, un petit ventre arrondi, une poitrine lourde.
«Barrez-vous. Maintenant.»
Sa voix était froide et sans appel, contraste parfait avec le ton empli de langueur qu’elle employa la seconde d’après, tout en se laissant tomber sur sa méridienne, paupière à demi baissée sur le bleu de ses yeux.
«Josie...avez-vous des nouvelles de ce...délicieux coach sportif ?»
Peut-être avait-elle eu un ton un peu...dégoûté sur le dernier mot, mais le reste, elle l’avait dit avec un délice à peine dissimulé. Rosie soupira, s’apprêtant à corriger une nouvelle fois sa patronne sur l’emploi erroné de son prénom, mais se ravisa et alla prendre une enveloppe sur le guéridon du petit salon. Bien que «petit», il ne l’était pas.
«Oui. Il y a un courrier qui est parvenu ce matin. J’allais le parcourir lorsque Charles...je veux dire Tom, est entré madame.»
«Bien. Lisez-le moi s’il-vous-plaît. Si c’est un refus...»
Elle ne termina pas. Edwina ne supportait pas les refus et espérait que ce ne serait pas le cas, tout comme Rosie, qui savait qu’autrement, miss Papadakis allait être d’une humeur de chien pour le reste de la journée. Et elle savait se montrer infernale, tout autant que théâtrale dans sa manière offusquée et capricieuse d’être intolérante aux refus, quel qu’il soit.
«Madame...»
Mais après que la jeune femme soit arrivée à la partie «J’accepte votre demande», Edwina s’endormit, le sourire aux lèvres.
C’était il y a quelques semaines, que miss Papadakis s’était mise activement à la recherche de quelqu’un qui serait capable de l’entraîner. Évidemment, elle ne faisait pas cela pour elle, mais pour qu’on la laisse tranquille avec son poids, ses rondeurs et ses habitudes oisives. Plus désireuse de faire taire son médecin, que de réellement faire l’effort de suer un peu plus afin d’obtenir quelque chose qu’elle ne désirait même pas. Il allait de soi que son entourage n’était pas au courant que même si elle avait un léger embonpoint, cela n’allait en rien mettre en danger sa santé, étant donné sa nature divine, mais elle ne pouvait pas avancer ces arguments, au risque de se retrouver en psychiatrie ou enfermé quelque part par des scientifiques un peu timbré. Drôle d’époque…
Elle avait parcouru bon nombre de site, bataillant avec la technologie qu’elle n’était toujours pas parvenue à maîtriser, avait demandé de l’aide à Rosie, s’était tournée vers différents conseiller avant de très rapidement abandonné. C’était tout par hasard, lors d’une soirée de solitude où elle s’était tournée vers Onan, qu’elle avait vu celui qu’elle désirait à ses côtés. Jin Tanaka. Il portait un autre nom, pour le film qui lui avait permis d’atteindre le plaisir en solitaire, mais du fait de sa situation de déesse, elle n’avait pas eu besoin de chercher, contrairement au mortel, pour connaître sa véritable identité. Ce serait lui ou personne d’autre. Et lorsque Edwina avait une idée en tête, elle ne l’avait pas ailleurs.
Les semaines qui suivirent sa découverte, elle se mit à la rédaction d’une lettre, un courrier long mais précis, à l’attention du fameux Jin, ne laissant pas filtrer dans son courrier, qu’elle l’avait connu à travers un de ses films. Au contraire, elle fit preuve, selon son propre jugement, d’ingéniosité, en disant qu’elle avait eu connaissance de son nom par l’ami d’un ami, qui l’avait rencontré dans une salle de sport, quelque part au Japon. Qu’elle-même aurait beaucoup aimé venir à sa rencontre, mais que son état ne pouvait lui permettre le voyage. Oui. Quitte à se faire passer pour quelque peu indisposée, tout, plutôt que quitter le confort de son domaine.
Ses arguments pour le faire venir était plutôt alléchant. Une paie plus que satisfaisante pour quelques heures de sport, tout frais payés. Évidemment ! La richesse de miss Papadakis était sans limite, aussi, elle proposait de lui faire préparer un jet privé, qui viendrait le conduirait à l’aéroport de Los Angeles et son chauffeur viendrait le chercher afin de le conduire dans son manoir où elle l’accueillerait avec plaisir et où, s’il le voulait bien, il serait logé et nourri. Il pourrait discuter des formalités un peu plus précisément, mais tout ce qu’elle désirait et cherchait, c’était un coach sportif. Sa demande était potentiellement excentrique, mais miss Papadakis l’était tout autant. Sur elle, elle ne disait pas grand-chose. Simplement qu’elle était une femme en surpoids, selon ses médecins et afin de les rassurer, elle avait promis de trouver quelqu’un pour remettre les choses en ordre.
Edwina n’était pas aller jusqu’à lui dire qu’elle se fichait royalement de ses capacités sportives et que tout ce qui l’intéressait, c’était son physique d’Apollon. Non. Ça, elle ne le mentionna pas dans son courrier, il le découvrirait bien assez rapidement. Elle glissa la lettre dans une belle enveloppe et la posta elle-même, en grand secret. Seule Rosie et son chauffeur était au courant de sa démarche. Et elle-seule savait que Jin Tanaka n’était pas simplement un sportif aguerri et il n’était pas forcément coach, mais bel et bien professeur. Elle se doutait sans avoir à chercher très loin, que ce serait risqué d’essuyer un refus catégorique si elle mentionnait ses films. Edwina n’avait pas besoin de faire appel à sa nature de déesse pour comprendre que monsieur Tanaka ne désirait probablement pas que s’ébruite les films sulfureux dont il était le...chibre principal.
« Madame ? C’est l’heure de votre dîner...»
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Une semaine après réception de la lettre, Edwina fit appeler son chauffeur. Elle lui expliqua qu’il devait aller chercher monsieur Tanaka à l’aéroport et le conduire ici aussi vite que possible. Elle avait hâte de faire sa connaissance. Officiellement «J’ai envie de me remettre en forme rapidement...» et personne pour douter de ça, en tout cas pas devant elle.
«Ainsi, Jerry, il faut aller à l’aéroport. Josie à préparé un panneau avec le nom de l’homme que vous devez récupérer. Il y a son plan de vol dans l’enveloppe qui se trouve sur la table, ainsi qu’un peu d’argent au cas où ce monsieur désire faire une halte quelque part ou s’acheter quelque chose à manger...mais tâchez de ne pas traîner, vous savez que je n’aime pas attendre...»
«Oui madame.»
Jerry n’était pas son nom. Il s’appelait Terry McCoy. Mais son chauffeur était plus qu’habitué à la mauvaise mémoire des noms de sa patronne et ne s’en offusquait pas. Elle payait bien et aussi, même si elle avait voulu le renommer Lindsay, il serait aller jusqu’à changer son nom sur sa carte d’identité. Pourquoi pas ? Après avoir encore écouté les directives de la dame, Terry, un homme noir de presque deux mètres, attrapa l’enveloppe, passa prendre le petit panneau avec écrit «Tanaka» dessus et se dirigea à l’extérieur, entrant sa grande taille dans la Bentley qu’Edwina affectionnait particulièrement. Il la bichonnait d’ailleurs, fier de conduire un aussi beau véhicule.
Il ne mit pas longtemps avant de s’engager sur la route et après deux heures de trajet, arriva à l’aéroport. Il gara le véhicule directement sur la piste des jets privés, près à accueillir Tanaka, qui devait se sentir seul dans ce vol où il n’y aurait que lui et quelques employés de vol, ainsi que, peut-être, un ou deux passagers qui payaient pour voler dans le jet de la Papadakis. Il n’eut pas longtemps à patienter, adosser contre la Bentley, pour voir au loin un point qui grossissait rapidement, avant de venir se poser sans encombre sur le tarmac. Une fois le véhicule à l’arrêt, il prit son panneau et s’avança vers le jet, laissant la porte s’ouvrir et les employés laisser descendre les quelques voyageurs. Il faisait chaud à Los Angeles et c’était une journée radieuse pour emmener Jin Tanaka vers la riche femme qui l’attendait impatiemment.
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Impatiemment était le mot. Edwina faisait les cent pas, s’arrêtant de temps en temps pour observer son reflet dans la glace du grand salon. Elle avait tressé sa longue chevelure, serti sa crinière brune de fleurs dorées et portait un collier finement taillé dont la pierre pendaient entre ses seins. Comme toujours, elle avait de nombreuses bagues en or à ses doigts, ainsi que des bracelets assortis, aux poignets et aux chevilles, ses pieds nus sur le carrelage frais de la demeure.
La robe qu’elle avait choisie était légère, largement ouverte sur ses cuisses, dans un vert tendre qui mettait en valeur le nacre de sa peau. Les tissus choisis par Edwina étaient toujours léger et doux, la dame détestant par-dessus tout de se sentir serrée dans des vêtements, certes, plus modernes, mais qui étaient bien loin du confort qu’elle trouvait dans les toilettes de style antiques.