“Camille, j’ai une urgence. Il faut que tu me dépannes. Rappelle-moi !”
Il déteste qu’on le dérange, quand il est en pleines recherches, en l’occurence sur Sakura. Cette jeune femme l’obsède § N’est-il pas en train de se monter un scénario bidon ?
Sakura, en photos, n’est seulement qu’un corps offert, du plus soft au plus hard.
Et voilà qu’il lui attribue la tête d’une fille du Paradis, qui se donne aux clients !
Certes, il y a de fortes présomptions, mais de là à ce que…
Malgré sa maîtrise des réseaux, Camille n’en trouve pas davantage, ni sur celle des photos, ni sur celle du Paradis, pour valider que c’est une seule et même personne.
Il était certain, et voilà qu’il doute !
Pour évacuer cette pression, il écoute le message téléphonique, qui vient de Monsieur Nisho, quelqu’un qu’il faut ménager, mais qu’il tient aussi d’une certaine manière. Car ce vieux monsieur grisonnant et élégant a un faible pour les jeunes femmes à la vingtaine débridée.
Plutôt que de faire oeuvre de charité sociale, en transformant tous les appartements qu’il possède en logements pour les familles sans toit, Monsieur Nisho a flairé le filon des jeunes femmes qui aiment se mettre en valeur sur les réseaux sociaux. Il leur propose soit un cadre de leur choix où elles se saturent de selfies, soit un photographe à disposition et en toute discrétion. Accessoirement, pour arrondir ses fins de mois, il loue aussi à des binômes déjà constitués de photographe et modèle.
C’est ainsi qu’il a croisé le chemin de Camille, photographe inconnu qu’il sollicite pour photographier des jeunes femmes peu farouches. Elles veulent se constituer un book, mais Monsieur Nisho reçoit secrètement une série des clichés dénudés, tandis que Camille les conserve aussi, bien entendu. Si l’un tombe, l’autre tombera ; le deal est clair.
Très professionnel en sus de sa timidité, Camille est régulièrement sollicité, et a ainsi pu découvrir l’étrange arsenal de Monsieur Nisho, du studio glamour au studio BDSM, au libre choix de celle qui définit le cadre de ses photos.
On ne fait pas attendre Monsieur Nisho ! Camille le rappelle :
“- Ah Camille, Merci. Il faut que tu me rendes un service.
- Encore une jeunette qui vous a tapé dans l’oeil, Monsieur Nisho ?
- Non, c’est vraiment sérieux là. J’ai un photographe qui s’est décommandé, et il faut que tu le remplaces. C’est dans moins de deux heures, alors il me faut ta réponse de suite.
- Et j’y gagne quoi, moi ?
- Ce sont des clients fidèles, dont je ne veux pas me passer, et je pense que tu aimeras le spectacle qui te sera offert. Bien sûr, comme à chaque fois, la suite ne me regarde pas”.
Camille réfléchit à grande vitesse ; il ne peut se fâcher avec un commanditaire qui lui offre en exclusivité tant de filles qui ne demandent qu’à poser nues, et dont les tirages ornent les murs de son studio, ou plutôt les ornaient, jusqu’à ce qu’une certaine Sakura…
Pas vraiment le choix, Camille donne son accord.
Ce sera sans doute une de ces pétasses qui se croient irrésistibles ; entre celles qui cherchent à faire pigeonner des seins plats, et celles qui se tripotent le minou sans engendrer la moindre excitation, il est rôdé.
Il shoote, il guide, il complimente, et basta !
Fort heureusement, le matériel est toujours prêt. Sait-on jamais.
Deux boîtiers et trois objectifs, ça suffit ; les studios photo de Monsieur Nisho sont bien équipés, côté éclairage, et le flash n’est pas forcément nécessaire.
Camille affectionne plutôt les ambiances peu lumineuses, gages d’un certain flou romantique, mais se plie toujours aux désidératas des clientes, dont certaines ne veulent qu’un éclairage cru et violent qui met parfois en avant une peau blanche et un maquillage raté.
Le studio photo est à quelques minutes à pieds. Camille s’y rend au plus tôt ; il aime être le premier au rendez-vous. Il aime vérifier l’installation seul, sans une nana qui se dandine autour de lui, en posant des questions techniques dont elle se fout.
Et encore ne sont-ce pas les pires ! Il a déjà été confronté à l’une, venue au shooting nue sous son manteau soi-disant pour ne pas avoir de traces de dessous, qui l’enleva sitôt rentrée, et ne cessait de tourner autour de nui alors qu’il faisait ses réglages. Camille a toujours en tête lorsqu’elle vint lui raconter un truc, lui agenouillé à fixer un pied lumineux, et elle la chatte nue au ras de son visage. Il n’avait qu’à sortir sa langue…
Le studio du premier étage, Camille le connaît par coeur ; c’est le plus élégant, le moins sulfureux diraient certains. Le canapé blanc permet bien des audaces, l’éclairage est adapté plutôt doux, et il y a également un classique fauteuil en rotin, sans oublier le placard qui recèle des trésors pour “pimenter” le trop conventionnel.
Tout est prêt, bien trop tôt même.
Appuyé à la fenêtre comme pour guetter la cliente, Camille parcourt son smartphone, et bien sûr la galerie photo dédiée à Sakura. Il essaie d’imaginer ce corps, parfois suggéré et parfois exposé, avec la tête de la fille de joie du Paradis. Ca pourrait vraiment coller.
Pourtant…
Il vient de trouver ce qui cloche ! En fait, ce qui lui déplaît, c’est qu’il ne supporte pas que celle qui pose pour la beauté du corps et dont il y a fort à parier qu’il est amoureux, soit aussi celle qui se fait sauter par tout mec ayant du fric et qu’il pourrait faire chanter.
Il verra, le moment venu. Négligemment, il regarde par la fenêtre. Une blonde descend de voiture, et se dirige vers l’immeuble.
“Qu’est-ce que c’est que cette blondasse? Si Monsieur Nisho pensait à un after avec elle, c’est même pas en rêve !”
Les talons dans l’escalier, les pas s’arrêtant devant la porte, la poignée qui tourne, ça se confirme, hélas.
Debout face à la porte, appareil photo en mains, Camille regarde celle qui entre.
“C’est quoi cet accoutrement?” se dit-il, masquant la question par un “Bonjour”.
Juste avant qu’un violent flash ne l’éblouisse : la silhouette de Sakura, encore elle.
C’est impossible, et pourtant, il en reste coi, remerciant tous les dieux de l’univers.
Ce n'est plus de l'obsession, c'est pire : il la voit partout ! Et pourtant...
Dès cet instant, Camille décide d'utiliser tout ce qu'il sait d'elle, pour voir si c'est bien elle.
Il a presque toutes les cartes en mains, mais il ne peut pas abattre son jeu aussi simplement !
“Bonjour, je vous reconnais, malgré votre déguisement ; vous êtes celle qui pose dans des photos pornos, et qui se fait sauter au Paradis pour du fric”.
Pas terrible comme entrée en matière, et surtout le risque d’un clash avec Monsieur Nisho, une chose à éviter absolument, car ça le priverait d’une source de clichés copieuse.
Il va falloir être beaucoup plus subtil !
Il essaie de contenir toutes ses pensées, toutes ses questions, tous ses désirs aussi. Car, de l’avoir vue nue dans des clichés sans équivoque, ne le laisse pas indifférent… si tant est que ce soit Sakura.
Pour le moment, il faut rester neutre !
Il essaie de deviner si la perruque blonde pourrait cacher les cheveux de celle qu’il a vue au Paradis. Peut-être…
Il essaie de deviner si le masque chirurgical pourrait cacher le dessin des lèvres de celle qu’il a vue au Paradis. Peut-être…
Il essaie de deviner si les yeux, derrière les lunettes de soleil, pourraient être ceux qui l’ont fixé au Paradis. Peut-être…
Il essaie d’infirmer ou confirmer que ce pourrait être Sakura, celle dont il est tombé amoureux via ses clichés. Peut-être…
“Ravi de travailler avec vous, Monsieur Nisho m’a beaucoup recommandé ce shooting”, dit-il, pour essayer de fondre la glace de celle qui reste sur le seuil de la porte.
“Entrez, mettez-vous à l’aise, poser votre manteau sur la chaise au fond, mais peut-être connaissez-vous déjà ce studio.”, il faut réduire le round d’observation au plus bref.
Mais, quand le manteau est posé, quand elle se retourne vers lui, Camille reçoit de nouveau un flash violent. Cette tenue, il est sûr de l’avoir vue sur des clichés de Sakura. Plus aucun doute !
“Etes-vous…”, Camille se ravise aussitôt car il allait prononcer son nom d’artiste, sans être sûr à 100%, et improvise “euh vous avez des souhaits sur la séance?”.
Il doit à tout prix réussir à fouiller les photos sur son portable, là où il a enregistré tous les clichés qu’il a achetés à Sakura. Si l’habit de cette modèle a aussi été porté par Sakura en séance de pose, ça renforce encore les certitudes déjà bien ancrées.