Voilà sept mois que Thanasia était prisonnière du repaire de Draven Dairn, l'avatar de brume aux yeux verts.
Plus que prisonnière, c'était une possession, un trophée de chasse réservé à son propriétaire.
Et depuis sa capture, la petite silhouette agrémentait l'espace de ses luxueux quartiers souterrains, un collier d'argent au cou, des menottes lui fermant pieds et poings comme des bijoux d'esclave.
Il en fallait moins que ça pour museler ses pouvoirs vampiriques ; Car une seule entrave de ce métal précieux suffisait pour réduire Thanasia à l'état d'adolescente inoffensive.
Pourtant, Dairn avait jugé bon de la décorer d'un harnais de chaînettes ceinturant ses côtes. Les délicats maillons retenus par son collier se croisaient sur sa poitrine et séparaient ses seins. Un choix esthétique plus que pratique, de même pour sa tenue dont la soie transparente révélait les secrets au moindre rai de lumière.
En effet, une ficelle tressée à sa taille tendait un rideau pelvien qui tombait entre ses cuisses. Une autre pièce de textile épousait les formes de sa poitrine, attachée devant comme derrière par des fermoirs argentés. Deux pendentifs verticaux s'agitaient en silence sous ses lobes d'oreille.
C'en était tout. La vampire mourrait de vexation si elle n'appréciait pas elle-même dévoiler sa peau d'albâtre dont elle était si fière.
Ainsi vivait-elle derrière des portes closes, au cœur de la base des White Mantis, réseau souterrain d'où Draven et son groupe fomentaient leurs sordides opérations.
Reposant dans le salon, Thanasia flânait sur la table basse, étendue sur le ventre, ses pieds nus battant dans l'air comme un métronome.
Le Soleil s'était couché à travers les fausses fenêtres du repère, simulant un paysage de campagne à l'heure de la surface. Les quartiers de Draven restaient vides depuis plus d'une semaine, et elle s'en serait accommodée s'il ne l'avait pas si peu nourrie avant de partir.
Pour l'avoir vaincue et enchaînée, soumise et enfermée, Thanasia détestait ce bandit. Il profanait sa dignité dès qu'il s'en sentait l'envie et lui imposait des actes que son honneur préférait taire. Ce mufle n'avait que faire de ses protestations !
Nul n'enfermait la Rose Blanche de Saerth'wen !
...A part quand cela arrivait. Mais qu'importe ! Il l'avait capturée à la déloyale ! L'eut-il connue du temps où elle régnait sur le désert, Thanasia l'aurait rendu à son Créateur !
Les siècles n'y changeaient rien. La vampire ruminait toujours autant sur sa gloire passée et la force dont elle faisait preuve autrefois, occultant les détails peu reluisants de ses souvenirs biaisés.
Cependant, dans son grand orgueil elle osait l'admettre, l'avatar de brume était un des rares à l'avoir capturée.
Un exploit méritoire.
D'ordinaire, il exigeait la crème de l'Ordre Immaculé pour y parvenir... ou un autre vampire ancien.
Les premiers la soumettaient jour et nuit à des châtiments physiques précédant son 'éxécution', les seconds en faisaient une esclave dont ils drainaient le sang déléctable, indéfiniment.
S'échapper n'était jamais chose aisée et prenait parfois des années.
Mais quitte à comparer maux pour maux, appartenir à Draven restait un sort plus enviable pour la fière créature.
Certes, c'était un maître cruel et vulgaire, qui avait eu le culot de la vaincre. Mais au moins était-ce un esthète, et un amateur des belles choses :
Ses quartiers se paraient d’œuvres convoitées et ses armoires patinées débordaient d'objets et de babioles chargées de valeur, sentimentale comme pécuniaire. Un cocon, un musée, un lieu de vie que seuls des êtres aussi anciens qu'eux savaient créer.
De plus, présent comme absent, il la laissait paresser à sa guise. Elle faisait partie des meubles en quelque sorte. Sa bibliothèque comme son cellier étaient garnis de pièces remarquables qu'elle s'assurait de consommer prudemment.
Bien que Draven lui en ai permis l'accès, il se fâcherait si elle en abusait.
L'avatar la punissait à la moindre faute, même celles auxquelles il n'assistait pas. Comme la fois où elle s'était couchée dans son lit double en son absence, plutôt que la paillasse étroite qu'il lui avait assigné. Elle avait refait les draps à l'identique, il n'avait pourtant aucun moyen de le deviner ! Mais son dos violenté se rappelait encore de sa sanction.
Le bout pointu de ses ongles ébènes caresse le souvenir disparu des marques de fouet... puis s'aventure sur sa croupe en souvenir d'autres coups. D'une nature plus bestiale.
Elle ne détestait pas sa vigueur... Autrement plus plaisante que le gras des bourreaux de l'Ordre ou l'anémie osseuse des vampires.
Enfer, elle avait soif...
Et ni le tome déplié devant elle, ni le contenu de son verre ne pouvaient y remédier. Ses crocs appelaient à mordre dans son avant-bras puissant...
Son maître appréciait sa morsure.
L'intense libération de dopamine qui l'accompagnait. Thanasia le savait.
Et le savoir submergé par elle plutôt que l'inverse lui procurait toujours une forme de consolation dans cette existence soumise et forcée.
Et puis, la saveur d'un avatar possédait un raffinement incomparable à la plus douce des jugulaires humaine ou terranide. Et le goût de sa sève...
Les doigts de Thanasia s'aventurent entre ses cuisses, elle appuie ses canines contre le bord de la table en espérant les tromper, donner l'illusion de mordre. En vain.
Une heure à peine passe avant qu'elle n'entende des bruits de botte au dehors. Elle accueille avec soulagement le cliquetis de la serrure tournant dans la porte métallique. Enfin, il était de retour.
Draven retrouve ses pénates dans l'ambiance chaleureuse du salon où, dans l'âtre, ronflent encore les bûches. Quelques bougies font danser leurs flammes sur le lustre et dans les pièces attenante.
Il y a peu, Dairn devait encore empêcher son esclave de fuir à peine la porte entrouverte, la retenant au dedans sous un tsunami d'injures savantes.
Il trouve son trophée sur son présentoir favori, étendue sur la table basse au milieu de la pièce comme un grand félin, entre le sofa de Byssine et la cheminée en marbre. Son tapis d'Ashnard resplendissait dans cette lumière nocturne, léchant les blanches courbes de son esclave avec la même générosité. L'intérieur était impeccable, comme à l'accoutumée ; Thanasia savait le sort qu'il lui était réservé si son maître trouvait la moindre poussière.
La vampire lève le nez de son ouvrage usé, feignant l'indifférence, son doigt suivant la courbe du haut de son verre à pied, produisant un bruit clair et léger.
« Bon retour, Maître...» l'accueille-t-elle d'un discret sourire, sur le même ton mutin qu'elle adoptait lorsqu'elle devait l'appeler ainsi. « Les affaires sont-elles bonnes ? Qui avez-vous occis, cette fois ? »
Sans même regarder, elle attrape la bouteille entre ses pieds et, repliant habilement ses jambes, verse un autre verre pour l'avatar.