« Vingt-mètres, qu’il disait, » dit
Hadrian en hochant de la tête, son regard toujours aussi rieur qu’à l’habitude, comme s’il ne croyait pas lui-même à la rumeur. « Rien que ça. Eh bien, je ne pourrais dire, mais si une bête de cette taille rôde, je me dis qu’il doit y avoir quelqu’un qui l’a plaçé là. C’est quand même pas commun, cette saloperie. »
Il serait en Meisa qu’il aurait probablement refusé de le croire, parce que Meisa, contrairement au continent, suivait une certaine norme sur les créatures surnaturelles, et ce n’était pas à la portée du premier nigaud venu de pouvoir manipuler ces monstres qui, pour la plupart, étaient des tueurs nés. Cependant, dans les terres de Nexus, les probabilités d’événement improbable grimpait de façon plutôt terrifiante.
Normalement, ce serait à la garde de Nexus de s’occuper des menaces magiques, mais depuis la disparition de la dernière des Ivory et de la soudaine disparition de leurs plus grands mages, il ne restait maintenant qu’une poignée de personnes aptes à gérer ce genre de problèmes, et même sans être un aventurier, certaines communautés étaient prêtes à payer le prix fort pour que quelqu’un vienne les débarrasser d’une créature, et le Roi n’était, souvent, que trop heureux de délaisser l’ennui de son palais pour profiter d’une opportunité de mettre ses capacités à l’épreuve, histoire de garder son corps et son esprit combatif aussi aiguisé que possible. Faire des passes d’entraînement avec un maître d’armes ou des chevaliers de la cour, c’était bien joli, mais ça ne serait jamais qu’un entrainement. Non, Serenos avait besoin d’une situation de vie ou de mort pour se sentir alerte, et surtout quelque chose qui utiliserait toutes ses forces pour tenter de l’occire, et quoi de mieux qu’un serpent géant pour faire le travail ?
Enfin, il aurait dû être la seule personne dans cette foutue forêt, et pour être franc, après trois jours à patauger dans les terres marécageuses et malodorantes de l’Ouest Nexusien, il était sur le point de croire que si les villageois ne lui avaient peut-être pas menti sur l’existence du serpent, celui-ci avait peut-être changé d’habitat, parce que… rien. Absolument ri—
« HISSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSS ! »
« Ah ? » fit le Roi en levant la tête vers la provenance du son. « Combien ? »
« Probablement un kilomètre et demi vers le sud-sud-est. »
« Parfait. »
Le Roi se mit alors au pas de course et exécuta un léger « saut ». Le « saut » était une technique magique qui permettait à un mage de se téléporter rapidement sur une courte distance, lui permettant normalement de mettre quelques kilomètres de distance entre lui et un ennemi. Seulement, ce n’était pas une technique infaillible, et il était nécessaire d’avoir sur soi au moins une pierre astrale pour pincer l’espace entre deux points.
Après avoir effectué le saut, le Roi de Meisa se trouva nez à nez avec la queue de sa proie, qui était déjà bien agité et donnait de furieux coups de queue et de tête. Serenos eut un petit sourire en voyant du sang voler dans toutes les directions ; il n’était donc pas seul. Il porta ses doigts à ses lèvres et laissa résonner un sifflement strident, qui ne tarda pas d’attirer l’attention de la bête. Celle-ci, déjà bien enragée, se tourna à peine avant de faire avancer son affreuse tête vers le Roi, contractant tous ses muscles pour se propulser à grande vitesse. Le Roi bondit hors de son chemin, et elle s’enfonça dans la forêt, déracinant quelques arbres sur son passage, avant d’exécuter un virage remarquablement contrôler et revenir à toute vitesse dans sa direction. Serenos eut un sourire amusé alors que la bête ouvrit sa gueule, et il s’élanca vers elle dans un sprint, avant de foncer droit dans sa gueule ouverte, et disparut dedans lorsque la bête referma sa mâchoire.
Cependant, la grosse différence entre avaler un animal sauvage et avaler un maître épéiste était simple ; le maître épéiste pouvait causer des dégâts sévères.
Hadrian apparut alors dans le champ de vision de Siraye et lui tendit la main.
« Bonsoir, madame. Je suis Hadrian Jamil yn Jamil. Permettez que je vous aide à sortir ? »
Il jeta alors un coup d’œil vers le serpent, qui se tortillait de façon variées pour tenter d’écraser l’intrus qui le tailladait de l’intérieur, crachant sang et venin dans toutes les directions. Par moment, on pouvait voir l’épée de Serenos jaillir de sous les écailles avant de disparaitre de nouveau.
« Ah, lui ? Ne vous inquiétez pas. Une bête mystique intelligente aurait peut-être été un souci, mais c’est un bête Serpent de Lu— »
La voix de l’homme s’interrompit alors que son compagnon de voyage fut brutalement éjecté du corps de la bête par un mouvement probablement involontaire qui avait permis au serpent de le régurgiter.
L’homme à la peau foncé tourna le regard vers le Roi.
« Tout va bien, sire ? »
« Non. »
Il se releva avec grande difficulté et s’étira le dos en grommelant.
« Donc, nouvelle information ; ce n’est pas un Serpent de Lune, celui-là. » dit le souverain de Meisa en s'époussetant le pantalon.
« Non ? » fit Hadrian en relevant un sourcil surpris.
« Non. »
« Mais il est énorme. »
« C’est bien ce qui m’intrigue. C’est qu’un bête serpent des forêts bien normal, mais… énorme. »
« Un serpent normal ? Ça ? »
« Je crois qu’ils appellent ça un basilic ici. »
« Ça n’a pas un corps de poulet, les basilics ? »
« Si, par chez nous, mais ici, ce sont des gros serpents. »
« Et donc ? »
« Eh bien, môssieur le Sage, un basilic normal, ça mesure entre douze et quinze mètres de long, et c’est tout petit. Celui-là est anormal. »
« De la magie, alors ? »
« Sans doute un truc qu’il a avalé… » grommela le Roi.
« Il revient à la charge. »
« Oui, oui, j’ai vu. »
Le Roi grommela et s’élança de nouveau vers le serpent qui se remettait déjà de ses blessures, mais cette fois, le Roi fit usage de sa magie pour relâcher de grandes vagues de flammes brûlantes autour de la créature, pour l'énerver et s'assurer qu'elle ne se prenne pas d'une soudaine envie d'attaquer l'elfe des bois et le sage.
Ce dernier, tout aussi détendu, tourna la tête vers la demoiselle et lui sourit.
« On lui prête main forte ? » offrit-il avec une indifférence notable, comme si venir ou non en aide au guerrier n'avait rien de particulièrement urgent.