Au final, Gerd n'avait pas réussi à trouver un point d'observation idéal, mais son ouïe fine lui avait perdu d'entendre ce qui avait été dit. Il en avait entendu bien assez pour se faire une très bonne idée de la situation et s'épater de la pertinence des théories de la vieille Tottenblot, monstrologie à part. Après toutes ces années, il était encore étonné du flair des femmes cocues : il allait falloir se faire une raison !
Quant à se faire une idée précise de ce qu'il chassait, il avait quelques options, et une quasi-certitude quant à la nature de la créature. Mais il devrait en avoir le cœur net.
La sortie de Tottenblot lui donna l'opportunité de se préparer à passer à l'action, non sans avoir observé l'homme traverser le vieux moulin avec la vigueur d'un trentenaire. Il eut un doute sur son identité pendant un instant, refusant de reconnaître l'époux de l'autre harpie en cet homme si joyeux et énergique ; mais, en vérité, cela confirmait sa suspicion.
Une fois l'humain parti, Gerd fit le tour de la bâtisse pour y entrer à son tour, laissant planer un regard songeur sur Gustave qui s'en allait pimpant vers le petit bois en fredonnant.
Il avait pensé à une faune. Les faunes étaient des créatures plutôt versatiles, et s'il leur arrivait rarement de s'attacher à un mortel, ça n'était pas un cas jamais vu. Mais il n'y avait pas cette dimension éminemment sexuelle et débridée dans la relation. Ca, c'était le propre d'une autre créature, assez proche en apparence mais bien différente dans sa nature et sa fonction.
Il avait pu apercevoir l'intérieur de la chambre redécorée, mais pas voir le lit. En approchant, il en apercevait le bord et la literie simple mais confortable.
Et avant de la voir, cette créature mystérieuse, il put la sentir. C'était bien plus prenant que la très légère odeur de la piste qu'il avait suivi. Les humains normaux ne l'auraient probablement pas senti, en tout cas pas comme lui, mais lui le sentait. Elle pénétrait son nez et ses sinus jusqu'au milieu de son crâne, lui faisait frémir la cervelle, diffusait une chaleur agréable et relaxante dans son corps. Une odeur de fleurs fraîchement écloses et de matin de fête, et comme le chant d'un oiseau piaillant sa joie retrouvée, quelque part, au fond de ses oreilles.
Les sorceleurs étaient peut-être stériles, ils n'en étaient pas moins des mâles intenses, et face à cette attaque le système de Gerd ne pouvait que céder, réagir de la manière la plus brute qui soit. Il fit un effort énorme pour rester en contrôle de ses pensées, soufflant tandis qu'il arrivait enfin à la porte de la chambre, la poussant, grande ouverte, pour découvrir enfin celle qui occupait le lit.
« Evidemment ! »
Il tomba sur la satyre svelte au crin immaculé et confirma son hypothèse. Désormais, il savait parfaitement ce qui était arrivé à Gustave Tottenblot. Et si tout ça n'avait rien de néfaste, bien au contraire, l'arrivée d'un ou d'une satyre dans une communauté rimait généralement avec une période à venir de guerres familiales et de séparations douloureuses. Entre l'âge d'or des dieux lubriques et aujourd'hui, la monogamie et une certaine conception de la fidélité s'étaient imposés, rendant une telle aventure dommageable pour le tissu social de la communauté.
Elle ne faisait rien de mal mais, quoi qu'il en soit, Gerd devrait trouver un moyen de la chasser d'ici.
Après lui être passée dessus, peut-être. Sa tête tournait, il lui semblait flotter dans l'air qui l'entourait et toute son attention était tournée vers la biquette magique qui le découvrait elle aussi, changeant de position pour l'observer et exposant partiellement la nudité de son corps irrésistible.
Garder le contrôle... Mais tout à l'heure...
« Tu sais qu'il n'y aura pas de Franz ce soir. Il n'y aura personne d'autre que Gustave, parce que c'est un vieux jaloux, » lui lâcha-t-il sans spécialement y réfléchir. « Ce qu'il veut c'est te garder là pour lui, dans ta prison grande ouverte aux barreaux faits de promesses. Et ça va finir comme à chaque fois, avec une femme folle de rage liguant les autres et venant te chasser avec fourches et torches ardentes ! »
Il s'était approché du lit tout en parlant, laissant libre cours à sa diatribe, arrivant au bord de celui-ci et se penchant sur elle jusqu'à reposer sur ses mains et ses bras tendus, ses yeux de chat plantés dans les siens.
« Alors que ce qu'il te faut, c'est de la liberté et du plaisir. Pas vrai, satyre ? »