Après un instant de tendresse échangé, Vaz avait laissé Aly partir pour faire tout ce qui lui restait à faire.
C’était bien peu de choses, dirait-on, mais il y avait toute une symbolique au fait de déballer leurs affaires. Ils n’avaient pas vraiment déballé depuis qu’ils avaient quitté l’Ukraine. Ils avaient toujours été aux aguets, prêts à partir dans la minute. Déballer signifiait qu’ils allaient rester ici un moment et qu’il n’avaient plus à fuir soudainement, en emportant seulement ce qu’ils pouvaient porter. Le croyaient-ils seulement ? Pouvaient-ils se résoudre à se détendre en gardant un œil ouvert, ou la paranoïa s’était-elle déjà installée ? Comment se sentiraient-ils dans un jour, une semaine, un mois ? La violence de leur situation finirait-elle par les rattraper et par détruire leur chance de se créer une vie ?
Il y avait tant de stress et de charge mentale à gérer ! Ils avaient été formés pour, mais même un super agent secret avait droit à des vacances. Leur vie était devenue une éternelle opération sous couverture. Et ils allaient devoir s’y faire ou s’autodétruire en essayant.
Le Russe alla jusqu’à la cuisine. Il attrapa une poêle, sortit cette drôle de machine à faire cuire le riz. Préparer le poisson allait être un jeu d’enfant, mais faire fonctionner ce truc lui demanda un peu de temps, finissant par comprendre le fonctionnement et la programmation après un moment passé à tâtonner. Il entendait Aly allumer la douche tandis qu’il commençait enfin à préparer le repas.
Est-ce que l’eau avait un goût différent selon celle qu’on choisissait ? Est-ce que le riz qu’il avait pris était si singulièrement différent d’un autre ? Saurait-il seulement le remarquer ? Il ne savait pas ce qu’un Japonais mangeait ni comment, à part pour les baguettes. Devait-il préparer le poisson différemment pour s’adapter aux baguettes ? Avaient-ils des couverts ?
Il fouilla mais ne trouva pas les couverts à l’occidentale auxquels ils étaient habitués. Il y avait des couteaux et des cuillères mais il comprit vite qu’il s’agissait d’ustensiles de cuisine ou très particuliers. Il allait falloir se résoudre à utiliser des baguettes, et il se résolut à couper le poisson en bouchées avant de le passer à la poêle, attendant que la cuisson soit presque finie avant de mettre la sauce à son tour.
Il était surpris, au moins, par la qualité de la préparation. On était loin des Doshiraks et du genre de nouilles instantanées qu’on vendait en Europe ou en Amérique.
Heureusement, Aly avait grand besoin d’une bonne, longue douche, et il eut tout juste le temps de finir et de préparer deux assiettes, baguettes en inox plantées dans le riz fumant et un peu collant, avant de les amener dans le salon. La télévision s’allumait doucement alors qu’elle arrivait en tenue de soirée. C’était comme ça qu’il appelait le petit pyjama improvisé qu’elle enfilait chaque soir. Il posa son regard sur elle et sourit.
« Tu es resplendissante, » lui dit-il avec tendresse.
C’était vrai. Vider les cartons et se débarrasser figurativement de l’usure de leur fuite semblait lui avoir fait grand bien et elle avait l’air prête à profiter du moment. En la voyant ainsi, lui aussi se sentait prêt à relâcher la tension.
Il se retourna vers la télévision tandis qu’Aly sortait une couverture et le rejoignait sur le canapé. Le menu de leur box apparut à l’écran et il lança un cri victorieux en voyant le signal.
« Aha ! Ça y est ! Voyons voir… »
Tandis qu’elle s’installait, il créa rapidement un compte depuis le menu de l’application télé. Ça prit du temps, mais elle eut largement le temps de s’installer, Vaz tirant la moitié de la couverture à lui et lui passant son assiette entre deux étapes de création.
Et puis, enfin, ils purent ouvrir la page d’accueil. Il s’empara de sa propre assiette et se laissa aller dans le canapé, se glissant contre la belle.
« Tu as une idée de ce que tu veux regarder ? »