Les pires aspects de la malédiction ayant frappé Kristian étaient probablement l'ennui et la fatigue. Jeune homme de peu de foi et de peu de conviction, il avait payé ses péchés du vivant par une inextricable sensation de torpeur, comme une dépression insidieuse ne voulant jamais le quitter. Sous la forme de ce gros chat noir poilu, il était moins qu'un chat encore. Bête d'intérieur placide et passive, il se traînait d'un perchoir à un autre quand Elle ne le prenait pas contre elle.
Elle, c'était Freya, la sorcière, celle qui lui avait pris son innocence et la vie et avait reçu, en échange de sa perversité, ses neuf vies félines en cadeau de Satan lui-même. Il ne pouvait plus disposer de son propre corps, car il était la propriété de Freya et même s'il eut envie de quitter ce monde, il lui eut été impossible de s'ôter la vie. Au demeurant, on lui en avait littéralement donné neuf, en cas d'accident.
Au moins, sous cette forme, il n'avait pas à supporter l'apparence corrompue dont il avait été affublé lorsque, d'aventure, Elle le réclamait à ses côtés et lui rendait force et détermination.
Mais toute bonne chose, aussi mauvaise soit-elle, avait une fin. Et sa sieste interminable au bord de la fontaine de ce manoir dans lequel elle l'avait installé arrivait à son terme. Ce manoir, d'ailleurs, d'où leur venait-il ? Il ne demandait pas, mais il avait son idée sur la question et vous ne voulez pas la connaître.
Mais la sieste, donc, arrivait à sa fin, car comme le Prince Chaton ne se réveillait pas aux appels de la novice inconnue qu'Elle avait envoyé pour le réveiller, il eut l'immense plaisir d'être appelé sous sa forme humanoïde. Il se transmuta bien vite pour prendre son affreuse forme hybride et, sa taille jouant, il se retrouva vite les pieds dans l'eau, puis les jambes. Il ouvrit les yeux tandis qu'il basculait et se tira de l'eau à moitié trempé, la queue dressée et hérissée, les dents serrées.
"Ksssssh !!"
Il détestait ça. Non pas qu'il déteste les bains, il les aimait follement. Mais ces surprises ! Les surprises de Freya.
Elle devait être là, d'ailleurs. Sinon, pourquoi aurait-il cette forme ? C'était toujours elle qui le convoquait. Quel tourment préparait-Elle pour lui, cette fois ?
Il tourna ses yeux rouges vers le manoir endormi et ne La trouva pas, mais il la vit, elle. Curieux, il sortit de l'eau à quatre pattes avant de grimper sur ses jambes et de se redresser progressivement, comme s'il reprenait l'habitude de marcher, tout simplement. Il la fixa, la détaillant des pieds à la tête et guettant tout signe de duperie dans son regard.
Rousse, belle gueule, mais jeune et un peu commune... A force de voir les sorcières de Son coven, il avait appris à reconnaître les sorcières expérimentées des autres. Une grande sorcière n'aurait pas laissé ce très, très léger strabisme persister.
A la manière des chats, il arrêta de la regarder et se tourna vers le mur.
"Vous devez être la nouvelle. Je suis Sa chose. Où est-elle ?"
Il ne la prit pas de haut, car il devait toujours un certain respect au coven, consigne de Freya ; mais il n'allait pas se montrer mielleux et adorable pour autant. Depuis qu'Elle avait trahi sa confiance et l'avait réduit à ça, imprégnation maléfique ou pas, il était d'une humeur aussi noire que son poil.
"Laissez, j'ai trouvé."
Distrait, il avait tourné le regard vers les fenêtres et, à la faveur d'une ombre projetée par les arbres à la faveur du vent, il L'avait aperçue. Il La reconnaissait à son immense chapeau pointu, à son style inégalable et à sa putain de plastique irrésistible. Ah ! Oui ! Il savait que son amour pour Elle était inscrit dans le code du maléfice mais son goût pour Elle ne l'avait pas quitté depuis ce soir funeste !
Toujours tel un chat, il quitta Astrid sans un mot ni un regard, la contournant dans le cadre de la porte en se frottant à la robe blanche, toujours nu comme un animal, et laissant dans son sillage, avec la queue joyeuse qui la colla jusqu'à sa pointe, quelques poils d'un noir d'encre.
Il La rejoignit dans le salon sans attendre et tomba en prosternation devant elle. Il lui embrassa les pieds et frotta son visage contre eux, remontant contre ses jambes et contre ses cuisses aussi en la reniflant, en se régalant de son odeur et de sa douceur tout en faisant attention de ne pas trop la gratter du bout de ses petites cornes.
"Vous m'avez convoqué, Maîtresse ?"