«Je me suis dit que, peu importe ce qu'il pouvait arriver, cela était sûrement plus intéressant que de rester seul dehors. Et bien que je n'ai aucun problème à rectifier le caractère d'ivrognes, j'apprécie davantage un moment de quiétude avec vous.»
«J’ai cru remarquer cela.»
Ce fut dit dans un murmure chaleureux. Olympe se positionna confortablement dans les coussins, habituée et à l’aise. Elle laissait ses yeux caresser la physionomie de Serenos, s’attardant sur certaines parties de son visage, parfois de son corps, sans s’attarder. Ses pupilles revenaient inlassablement aux yeux de son partenaire. Elle n’avait pas besoin d’observer des lieux qu’elle connaissait pour ainsi dire, par coeur, à force d’y venir. Cependant, elle n’emmenait pas toujours, voir rarement, des gens qui ne soient pas des amis proches. Peut-être que dans une nuit d’ivresse, il lui était arrivé de venir avec quelqu’un qu’elle venait tout juste de rencontrer, mais c’était vraiment à cause de l’alcool et non par envie de s’isoler avec, comme c’était le cas ici. Ce serait donc mentir totalement que dire que Serenos était le premier qu’elle emmenait ici. Mais cela en serait un également de dire que c’était une chose habituelle.
«D’embrouille ? Vous pensez qu’il y aura embrouille ?»
Olympe ne lui reprochait pas ce terme. Elle en riait plutôt, un sourire en coin. Mais il n’eut pas le temps de réagir, car une main baguée passa entre les tentures qui s’écartèrent sur deux créatures au corps de rêve, quasiment nue, vêtue par l’ombre et la lumière douce que projetaient les lanternes. Elles s’inclinèrent sans parler, déposèrent les boissons et des plateaux de quelques denrées, entre le couple, avant de s’éloigner, sans qu’un seul mot ne fut échangé. Olympe observait toujours Serenos. Une fois les serviteurs partis, elle se pencha pour remplir leur coupe, tout en expliquant.
«Elles sont aveugles et ne parlent pas. C’est pour ça qu’on les engage. Certains trouvent cela cruel, d’autres...eh bien ils jugent plutôt bénéfique que des êtres ainsi handicapés puissent travailler quelque part.» Elle tendit sa coupe à Serenos et prit la sienne. «Entre nous, je pense qu’à l’extérieur, elle ne survivraient pas...» C’était fou de voir la facilité et l’habileté avec laquelle elles avaient effectués les gestes du service, ainsi que le fait qu’elles n’aient rien renversé. La force de l’habitude. «Je crois qu’elles ne sont pas malheureuses ici.»
La putain, sur ses mots, leva son verre pour faire un santé silencieux, trouvant que les mots que l’on sort normalement pour trinquer seraient bien trop futiles pour être dit ou entendus. Le regard pesait plus que les paroles. Elle bu une gorgée de l’alcool doux, mais piquant qu’on leur avait servi, une spécialité de La Ville, et fit tourner son verre lentement, tout en continuant d’observer son vis à vis. Au bout d’un moment, elle reprit.
«Donc, vous avez dit «embrouilles». Pensez-vous qu’il y en aura ?» Olympe aimait parfois reprendre les propos de l’autre, pour le pousser à s’expliquer. Elle pensait bien que Serenos avait dit cela sans penser au sens exact de ce terme, comme souvent, les gens employant des termes génériques sans que ce dernier ne signifie réellement ce qu’il veut dire. Elle qui s’exprimait si peu, tentait toujours d’être précise. «Ou est-ce là un terme que vous avez utilisé sans y penser ?»
C’était d’ailleurs toujours fascinant pour elle de voir des gens capables d’aligner des tas de mots, des phrases qui n’avaient parfois pas de sens ou au contraire un sens profond, sans sembler se fatiguer. Elle-même se savait peu capable de cette prouesse. Comme si elle avait peur d’user sa voix ou peut-être était-ce de noyer son interlocuteur de babillage. Olympe serait probablement incapable de dire pourquoi elle était si peu bavarde. Pourtant, ce n’était pas une femme muette ou ayant été forcée de l’être. Mais c’était vrai que le fameux «les femmes sont bavardes» ne s’appliquaient absolument pas à elle et contrairement à ce que certains clients avaient pu penser par le passé, ce n’était pas due à l’éducation qu’elle reçut, que ce soit de Mère ou de son père. Bien que dur envers elle, ce dernier n’avait en effet jamais imposé le silence à sa fille. Cela ne signifiant pas pour autant qu’il l’écoutant assidûment.
De temps en temps, Olympe se penchait et attrapait une noix, un fruit, un morceau de pain, qu’elle grignotait en écoutant Serenos. Elle appréciait sa voix, l’éducation qui transparaissait dans son langage et la puissance qui se dégageait de son corps. Et s’il était vrai qu’elle avait envie de connaître le goût de ses lèvres et de sa peau, la putain était patiente et n’en montrait rien, si ce n’était ce regard qu’elle laissait glisser sur lui, ses yeux qui s’attardaient sur sa bouche lorsqu’il parlait, sur sa gorge, sur ses mains.
« J’ai rarement eu l’occasion de me trouver avec un homme tel que vous dans cet endroit. A dire vrai, un homme comme vous tout court.»
Elle avait parlé après un long silence que seuls leurs souffles perturbaient, ainsi que les bruits qui émanaient des «niches» alentours. D’une main, elle tenait toujours sa coupe qui se vidait lentement lorsqu’elle la portait à ses lèvres, de l’autre, elle écartait les bouteilles de la petite table entre eux. Ils étaient servis en quantité, de sorte à ce que personne ne viennent les déranger. Ici, en ce lieu, les gens ne débarquaient pas dans votre tente à l’improviste. Il fallait qu’une des personnes présentes sortent pour inviter, que ce soit les serviteurs ou quelques amis ou inconnus. C’était en grande partie pour cela que Olympe avait choisi ces lieux. Parce que la tranquillité et l’intimité y était totale.