C'était une journée comme une autre pour Shun, à se morfondre sur sa chaise au fond de salle de cours de M. Akashiro, le professeur d'histoire. Il faisait beau ce jour-là et l'étudiant serait bien mieux sur sa planche au skatepark plutôt que de momifier à écouter des choses qu'il connaissait déjà.
Heureusement, il était installé au dernier rang de la classe et pouvait utiliser son smartphone sans se faire repérer. Shun n'était pas un cancre, au contraire il avait des facultés d'apprentissage remarquables mais tout dans son attitude montrait le contraire. Il était solitaire, s'isolait volontiers des jeunes de son âge et répondait rarement aux questions qu'on lui posait. Cela n'avait rien à voir avec de la timidité, il s'exprimait normalement, c'était juste que la compagnie des autres ne l'intéressait pas. Il en payait un peu le prix puisqu'on le prenait pour un branleur chiant et absolument pas digne d'intérêt. Les garçons surtout le honnissaient pour sa beauté particulière. Son physique un peu androgyne plaisait aux filles et souvent des commentaires mignons fusaient de leur part à son égard, provoquant l'ire de machos plus affirmés.
La sonnerie de la pause méridienne sonna enfin. Exceptionnellement, Shun avait deux heures devant lui avant de reprendre les cours et il serait bien parti flâner mais son skate s'était brisé net la veille sur une réception ratée et il lui fallait en racheter un. Aussi, il était venu en transports en commun -l'horreur pour lui qui n'aimait pas la foule - et il ne comptait pas recommencer de sitôt, plutôt marcher. Dernier à sortir de sa classe, il remonta sur ses hanches son cargo trop large et arrangea son t-shirt à l'effigie de Vegeta, son personnage favori de la série Dragon Ball . Il portait son éternel bonnet dont il ne séparait que rarement et arpenta quelques dizaines de mètres de couloir pour rejoindre son casier. Les élèves des classes supérieures ne portaient plus l'uniforme règlementaire de l'établissement et c'était pour lui une liberté salvatrice.
A cette heure-là, c'était la folie. Les étudiants se ruaient sur leurs vestiaires pour récupérer leur déjeuner et fonçaient ensuite trouver une place pour manger. Le parc du campus était le lieu privilégié des regroupements où tous pouvaient profiter de la verdure des jardins et des beaux jours de ce début d'été. Shun fut bousculé, poussé, serré et il prit sur lui pour ne pas fuir à toutes jambes. Il arriva quand même devant son casier et l'ouvrit pour trouver son bento, sa boite repas. Pour lui, pas question de se mélanger aux autres, il irait manger peinard sur le toit du bâtiment B où personne ne venait jamais. Une exclamation le fit se retourner. Oh? Il connaissait de vue la jolie fille aux cheveux courts qui gesticulait de l'autre côté du couloir. Elle avait son casier en face du sien et du peu qu'il avait vu, elle était particulièrement bruyante et extravertie, tout son contraire. Elle était souvent avec sa sœur, beaucoup plus discrète mais aujourd'hui, elle était seule. Elle occupait tout l'espace et les deux filles avec qui elle parlait ne pouvaient pas en placer une. Shun prit quelques secondes pour la regarder. C'était un joli petit lot et de profil, sa poitrine était aussi arrogante que généreuse, un bon point de plus selon les critères personnels du jeune homme.
Peut être qu'elle le senti et elle se tourna vers lui. Aussitôt, il détourna le regard et s'esquiva. Pour rejoindre le bâtiment B, il n'était pas nécessaire de sortir mais juste de suivre la prolongation du couloir jusqu'à un escalier qui le mena au dernier étage. La porte d'accès au toit était ouverte et il sortit pour aller s'installer sur un gros cube en béton, assis en tailleur. Il aimait bien cet endroit car personne n'y venait. Ensuite, le lieu n'était pas dédié à la détente. Il n'y avait pas de bancs, pas de jardin, juste des systèmes de climatisation et des gros tuyaux alimentant le bâtiment en tout ce qu'il fallait. La porte d'accès au toit était toujours ouverte, tout comme celle du petit abri à matériel, à l'autre bout.
Un courant d'air frais tira Shun de ses pensées. Le soleil fut voilé par un nuage puis par un autre. A cette époque de l'année, les orages d'été pouvaient survenir à n'importe quel moment et il semblait que ce pourrait être le cas sous peu.
Derrière lui, un crissement sur le gravier le fit se retourner d'un bloc. il n'avait pas entendu quelqu'un s'approcher.