Sa première invocation solitaire ! Corona était ravie. Depuis le temps qu’on lui avait offert de renaître en tant que succube, elle n’avait fait qu’être l’ombre d’une succube plus expérimentée. Que ce soit pour les invocations, les marchés, les balades sur Terre ou les tortures de prisonnier, elle n’était jamais seule. Même pour les orgies ! (Même si, okay, c’était un peu le but de ne pas être seule pendant une orgie)
Alors quand sa mentor lui avait dit qu’elle était prête pour une petite invocation mineure en solitaire, Corona avait sauté de joie. Pour un peu, elle aurait même embrassé la succube ! Elle s’était ensuite préparée soigneusement. Elle portait peu d’atours mais ceux-ci étaient méticuleusement choisis. D’abord, des cuissardes en cuir à talon aiguille, anthracites, couvraient ses jambes jusqu’à mi-cuisse. Le bord était ouvragé, finement brodé et incrusté d’argent. Un tanga, de même teinte, couvrait sa féminité, et parait ses hanches de lacets de cuir et d’un anneau d’argent. Un bikini, de cuir également, de même teinte, englobe sa poitrine. Il possède les mêmes ornements brodés et incrusté que les cuissardes, mettant en valeur la courbe de ses seins et la pâleur de sa peau. UN fin collier d’argent ornait sa gorge, et un diadème en os recouvert d’argent ornait son crâne, entre ses deux cornes.
Celles-ci étaient lustrées avec soin, les incrustations d’argent et d’or dedans brillant de mille feux à la lueur des chandelles. Les plumes de ses quatre ailes étaient aussi soigneusement arrangés, et une cape spécialement découpée pour les laisser passer couvrait le dos de Corona. Le col de cette cape était en fourrure, et se prolongeait pour faire comme une écharpe, ou un boa, et s’enroulait à présent autour des bras de la succube.
Fin prête, elle s’était rendue dans la chambre des autels. Là, elle s’était installée sur l’un d’eux, et avait attendu patiemment qu’un mortel ne décide d’invoquer une succube. Corona était sereine. Et impatiente. Elle ne craignait pas sa première mission en solitaire. Mais peut-être qu’elle aurait dû…
Depuis quelques temps, certains démons invoqués ne revenaient pas. Ils cessaient de donner des nouvelles, et personne ne savait où ils étaient. La seule chose certaine, c’est qu’ils étaient encore en vie. Et encore, pour certains, leur nom se rayait dans le registre après quelques temps. Personne n’était capable de comprendre la raison de leur disparition. Leur seul point commun, c’était que la dernière fois qu’ils avaient été vus avait été dans la chambre des autels, à attendre une invocation.
Corona avait suivi l’affaire des disparitions d’une oreille distraite, et elle la chassa de ses pensées alors que la chaleur familière de l’invocation à venir se propageait dans son corps. Elle ferma les yeux, laissant la magie dissiper ses cellules et les reformer à un tout autre endroit.
« Qui ose m’invoquer ? Commença-t-elle d’une voix doucereuse. »
Elle n’eut pas l’occasion d’aller plus loin. A peine avait-elle fermé la bouche qu’un filet tomba sur elle, scintillant dans la lueur des chandelles, et s’intégra sous sa peau. La seule manifestation physique de ce filet était un ras-de-cou niché sous sa chaine en argent, de la même teinte argentée.
Furieuse de cette « surprise », Corona tenta de mettre le feu à la pièce autour d’elle, espérant brûler cet invocateur qui ne jouait pas dans les règles. Mais elle eut la désagréable surprise de ne pas pouvoir accéder à ce puits de magie démoniaque comme elle le pouvait depuis sa renaissance.
« Qu’est-ce que… ?! Interrogea-t-elle, une nuance de panique dans sa voix.
— Silence, succube, ordonna une voix féminine, ferme et autoritaire. »
La succube tenta de répliquer, mais elle se rendit compte que son corps ne lui répondait plus. Les dents serrées, elle darda un regard furieux sur la femme qui sortit de l’ombre.
« A partir de maintenant, tu m’obéiras en tout point. Et pour m’en assurer… Ouvre la bouche ! Ordonna-t-elle. »
A son grand dam, Corona obéit. La femme fit couler le contenu d’une fiole dans sa gorge, et lui ordonna d’avaler. Puis, avec un sourire froid, elle lui commanda d’éteindre les flammes des chandelles. Furieuse, mais incapable de se révolter, la démone utilisa la magie -à laquelle elle pouvait désormais accéder- et moucha la flamme des bougies. Elle tenta de diriger le feu vers la femme, mais la magie échappa à son contrôle dès qu’elle songea à brûler celle qui l’avait emprisonnée, retournant hors de sa portée. Elle avait envie de jurer, et ne pouvait même pas exprimer son mécontentement de cette manière.
« Parfait. Suis-moi. »
Incapable de refuser, la succube suivit la femme. Les jours qui suivirent consistèrent en des batteries de tests, d’expériences, et d’observations du même acabit. Corona était incapable de refuser d’obéir à la femme, mais elle pouvait refuser quand quelqu’un d’autre que son invocatrice essayait de la contrôler. Et si elle ne pouvait atteindre sa magie quand elle songeait à blesser cette dernière, elle découvrit qu’elle pouvait y accéder quand elle songeait à tout sauf à ça. Comme pour faire s’effondrer un pan de plafond au-dessus d’elles en songeant que la pièce était trop petite.
Malheureusement, l’invocatrice s’occupa de ces failles. Avec son propre sang, mêlé à celui de la succube, elle devisa une substance qui permettait de la contrôler. Apposée sur un autre, cet autre pouvait faire de même. Pour plus de sûreté, l’invocatrice dessinait des symboles occultes de contrôle et de protection sur les sujets tests.
Quand elle s’estima enfin satisfaite, elle ordonna à Corona d’entrer dans une cage et de s’allonger dans une boîte en bois rectangulaire, ressemblant à un cercueil bas de gamme, et la recouvrit d’un drap en lui ordonnant de ne pas bouger et de ne pas faire de bruits jusqu’à ce qu’elle lui ordonne autre chose.
Bouillonnant de rage, la brunette s’exécuta. Elle ignorait combien de temps passèrent ensuite. Elle ne ressentait pas vraiment la faim, et l’ennui lui donnait l’impression qu’une heure s’écoulait aussi lentement qu’une année entière. Quand enfin le drap se souleva, elle fixa l’invocatrice d’un regard meurtrier, ignorant le jeune homme à côté d’elle. Elle détestait qu’on parle d’elle comme d’un objet. Pire, elle haïssait le contrôle que cette femme avait sur elle. Elle méprisait cette sensation de faiblesse, cette impression d’être impuissance.
Des hommes de mains s’attelèrent à sortir la cage du camion pendant que Corona frémissait de fureur, allongée, immobile, dans son pseudo cercueil. Elle brûlait d’envie de se lever, et d’éviscérer chacun de ces hommes. Elle se languissait de serrer ses mains autour du cou de l’invocatrice et de sentir la vie lui échapper lentement, en la regardant dans les yeux avec ses prunelles écarlates.
Alors qu’elle songeait à la façon délicieuse dont elle pourrait se venger de l’invocatrice, cette dernière se pencha justement au-dessus de la caisse.
« Tu obéiras à ce jeune homme, sur qui j’ai apposé les sceaux avec l’encre qui t’y oblige. Et tu ne me trahiras pas, qu’importe ce qu’on t’ordonne. Tu me tiendras au courant des faits et gestes de ce pourceau, tous les jours, susurre-t-elle en se penchant, le visage à quelques centimètres de celui de Corona. Pour l’instant, adopte ton apparence humaine, succube, et va te mettre à ses ordres. Comme je te l’ai appris, ajoute-t-elle d’un ton froid et en même temps brûlant de cruauté. »
Incapable de résister, la succube ferma les yeux. Ses cornes, et ses deux paires d’ailes pourpre, disparurent. Sa queue en pointe également, pourtant soigneusement dissimulée en étant enroulée autour de sa jambe droite. Elle était en tout point semblable, si ce n’est la disparition de ses attributs démoniaques.
Elle se releva, et enjamba le rebord sur cercueil pour en sortir. Après un regard incandescent de furie envers l’invocatrice, Corona se dirigea vers le jeune homme et s’agenouilla à ses pieds.
« Je suis à vos ordres, Maître, siffla-t-elle d’un ton venimeux. Il n’y était pour rien, mais il était protégé par « l’encre spéciale », et elle détestait devoir se soumettre à la volonté d’un mortel. Commandez, et j’obéirais, termina-t-elle en serrant les dents, incapable d’atteindre la magie pour le faire brûler comme elle le voulait. »