Il y avait d’abord eu Toshiro. L’un de ses habitués. De ceux qui venaient taquiner le tapis vert au cours de la soirée presque tous les soirs. Un des rares qui, même conscient du danger que pouvait représenter un casino, était parfaitement capable de maîtriser ses pertes et ses gains. Comme à son habitude, il se présentait avec la même somme, à tel point qu’Asep’Timusoth préparait presque souvent ses jetons à l’avance alors que son client prenait le temps de s’installer à sa table. Il ne s’extasiait jamais de ses gains, ni même ne faisait grand cas de ses pertes. Il ne jouait jamais plus que sa mise initiale et, s’il gagnait, se contentait de rempocher cette dernière en taquinant le tapis jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour son propre goût ou qu’il n’ait plus de jetons. Son seul péché consistait à prendre un Cosmopolitain pour accompagner sa soirée, qu’il sirotait par de très petites gorgées, de telle sorte qu’il finissait toujours, presque miraculeusement, à en boire la dernière gorgée lorsque son heure à la table avait sonné. Il avait pris l’habitude de s’enquérir un peu de l’état du Démon après quelques tours de cartes et ce dernier lui répondait volontiers. Il y avait quelque chose d’assez passionnant chez cet homme d’une constance quasi-inouïe, pour un Mortel, bien entendu. L’Incube se permettait parfois même de glisser quelques questions à son égard pour essayer d’en apprendre un peu plus sur lui, sur ce qu’il faisait, si on l’attendait, et parfois même pourquoi il venait taquiner la chance dans ce lieu qui n’avait rien à voir avec cette dernière. Il arrivait même à la créature des Enfers d’utiliser ses talents pour aller à l’encontre de son propre sabot de cartes, n’était-ce que pour faire durer la partie un peu plus longtemps. Toshiro était une énigme à lui tout seul et, même s’il venait presque tous les jours, les heures ne semblaient pas durer assez longtemps pour parvenir à percer son mystère.
Malheureusement, Toshiro n’avait visiblement pas l’humeur pour taquiner les jetons suffisamment longtemps. Après avoir perdu un peu, il s’était refait – légitimement – et avait décidé de reprendre sa mise et se rentrer chez lui, non sans avoir remercié
Zackary et lui souhaité une bonne nuit, ce que le croupier lui avait rendu dans un parfait professionnalisme. Heureusement, les tables se remplissaient et se vidaient parfois tout aussi vite. Et si quelques clients et clientes étaient venues rapidement tester le Black Jack, demandant parfois au croupier les règles du jeu, aucun n’était restait réellement très longtemps pour susciter une once d’attention de la part du Démon. Ce n’est finalement qu’un peu plus tard qu’une inconnue – il s’en serait souvenu – se présenta à sa table. Une jeune femme, aux longs cheveux bruns et au regard de jade, habillée dans une robe de soirée délicate, s’installe sans coup férir à sa table, posant finalement son regard dans le sien. Il incline légèrement la tête alors qu’elle lui demande, sans attendre, si elle peut avoir des jetons, tout en posant une somme non-négligeable d’argent sur la table. Généralement, les clients sont encouragés à utiliser la caisse centrale pour faire leurs échanges, mais les croupiers ne sont pas en reste. Un léger sourire sur le visage, Asep’Timusoth estime à vue de nez le montant représentés par les billets posés devant lui.
« Bienvenue, Madame. » Il inclina à nouveau son visage et posa sa main sur la liasse de billets avant de l’attirer dans sa direction.
« Vous préférez des jetons de vingt, cinquante ou cent ? » La valeur des jetons permet généralement de jouer plus ou moins longtemps, mais, bien entendu, les plus grandes valeurs amassent toujours plus de gains. La question était souvent anodine dans un casino, mais, pour l’Incube, elle permettait également d’avoir une bonne idée de la personnalité de la personne qui lui faisait face.
A la table, deux autres personnes attendaient la fin de cette nouvelle interaction pour reprendre leur partie. Leurs stocks de jetons n’étaient pas négligeables mais avec cette entrée en scène, l’inconnue arriverait à rivaliser avec ces dernières sans avoir à rougir. Restait à savoir si cette entrée en scène était le prélude à une soirée de réussite ou de déchéance. L’avantage de cette table, était qu’elle était complètement dépendante de son croupier et de rien d’autre. Après tout, il y avait peu d’entre eux qui étaient des Démons, n’est-ce pas ? Il s’agissait donc probablement à la fois du meilleur et du pire endroit où se trouver actuellement. Comptant avec dextérité les jetons, il posa plusieurs tas devant lui avant de les pousser finalement vers leur nouvelle propriétaire dans un sourire avenant.
« Nous pouvons désormais reprendre la partie, Madame, Messieurs, faites vos jeux je vous prie. » Premier tour de mise, avant la distribution des cartes. Il connaissait déjà un peu le caractère des deux autres participants de la table, mais il avait désormais une inconnue supplémentaire et, curieux qu’il était, l’Incube espérait bien tâcher d’en apprendre plus sur cette dernière au fur et à mesure qu’elle jouerait face à lui. Car, après tout, les jeux d’argent étaient un excellent moyen d’apprendre à déceler la vraie personnalité de quelqu’un, d’étudier ses réactions face aux enjeux, à la chance, aux espoirs, à la peur de perdre…