Bien longtemps que je n'étais pas pulsé par cette énergie. On a beau soulever des poids lourds, balancer des bagnoles, plier le métal. Cette énergie n'est pas palpable, ni mesurable, ni tangible. Il anime les corps autour de moi, des corps que j'enviais particulièrement. Cette pulsation qui bat au rythme du cœur.
L'Ambition.
Le goût de partir, le goût de tout quitter, le goût de refaire sa vie. Ça y est, j'y suis putain. Qu'est-ce qui s'est passé ? Un voyage sur Tekhos. Puis, un deuxième, en cherchant sur des dizaines de kilomètres ses portails à la mord-moi-le-nœud qui n'ont pas d'Algorithmes d'apparition du moins, rien que la terre ne connaisse. Ouais, tout est au pif, en tout cas c'est bien fait pour qu'on ait l'impression. Mais d'après mon père biologique, j'ai une très grande longévité. Alors j'utilise ce luxe pour chercher, traquer, pister, attendre, observer. Des longues nuits blanches avec un p'tit sac sur le dos à attendre qu'un truc apparaisse. Des fois en grouillant comme un rat entre les ruelles, en retournant la zone sous-marine. Même en reluquant les quartiers dans plusieurs kilomètres à la ronde.
Tout ça, pour cette énergie. C'était le seul merdier qui me donnait envie de vivre. Et j'étais prêt à traverser un building de nouveau comme sur Tekhos si nécessaire. Il y avait pas d’ennui, pas de lassitude. Oh, de la frustration, certes. Des sacrés coups de nerfs même. Mais rien qui n'entrave cette envie, cette pulsion, cette obsession. Je voulais partir. Terra avait l'air de cacher des secrets qui sont appelés à être percé. Et j'compte bien les découvrir.
Un mois. Jour pour jour. Que j'étais dehors à vagabonder comme le dernier des clodos.
Ma recherche s'est étalé bien plus loin du Japon. Le problème, c'est que j'prends pas l'avion. J'm'envole moi-même. Pas de visa, pas de passeports. Le Roi des clandestins qui mine de rien a pu parvenir à passer à travers les tours de contrôle aériennes. Survoler la mer de chine pour avoir les miches à Shanghai. Pas encore essoufflé de ma besogne, et j'ai eu raison. Aussi sale qu'un homme des cavernes, les vêtements usés, j'assiste sous mes yeux ébahit, à la lumière aveuglante d'un portail qui vient d'apparaître à 3h47 du mat' alors que j'dormais sur les docks. Ma crinière hirsute flotte dans l'air aux bourrasques de la faille, un bruit strident dans les esgourdes, et le cœur battant dans mon torse comme s'il pulsait pour la première fois. Dans une onde de choc, j'me propulse comme un boulet de canon à l'intérieur.
Le bruit, l'air, le son, les sensations. Tout disparaît dans un moment éphémère et à la fois éternel. Cette fameuse transition qui était bizarre la première fois, et tout aussi bizarre la troisième fois. La lumière s'engouffre et des terres sauvages et sableuses se précisent au loin.
Pour un crash tout aussi violent.
***
"Hm.
- Alors Héraclès, oui ou non ?
- J'sais pas.
- T'as pas l'air du coin quand on t'écoute. N'importe qui aurait sauté sur l'occasion !
- Euh, si, si j'habite ici.
- Ou ça ?
- J'suis un nomade.
- Nomade, hein... Ecoute, t'es un gros molosse, tu es le profil parfait pour ce boulot. Mais je ne peux pas t'en dire plus tant que tu n'acceptes pas..."
Lied m'avait parlé d'Ashnard. Me disant que je n'avais pas besoin de connaître cet endroit. Faut croire que j'aurai dû lui poser quelques questions avant. Mercenariat, boulot lambda et aventures. Voilà l'emploi du temps des rares cinglés qui traînent dans le coin. Les contrées du Chaos sont sous leurs juridictions, à ne pas prendre au pied de la lettre parce que c'est l'anarchie ici. Même si certains comportements donnent pas envie, j'ai pas non plus l’envie de me foutre dans un sale pétrin si j'me retrouve devant quelqu'un qui maîtrise l'obsidienne pour me foutre KO. Et j'tombe sur ce Nyx. En tout cas il se fait appeler comme ça. Dans les ruelles d'une ville bien moche, sale et chaotique, j'taille la bavette avec ce p'tit mec tatoué partout sur lui. Il fallait survivre, et pour survivre, il faut de l'argent. Et ça commence à faire quelques jours où ça devient compliqué. Après un soupir hésitant, j'opine doucement du chef. Et c'est là qui me demande de le suivre.
On arrive devant un conteneur. Le caisson métallique est rouillé et rien ne donne envie d'entrer. J'grogne.
"Si tu cherches à me coincer, je peux te broyer vivant ici et maintenant.
- Du calme, le colosse. Il faut bien une couverture tranquille, pour travailler tranquillement..." Qu'il me répond d'une voix espiègle.
Il ouvre, c'est vide. D'un habile geste, les jointures d'une porte se disloquent dans le mur du fond. Ca donne sur des escaliers sombres et descendants. J'fais alors apparaître un orbe vert dans le creux de ma main pour y voir quelque chose. Nyx soupir avec un ton sarcastique.
"Un nomade, hein.
- Ouais, un nomade."
Il se met à rire et voilà qu'on arrive dans des couloirs obscurs, ça débouche sur un immense bureau, l'odeur du moisit, d'alcool et de bouffes dans des cartons, occupés par des gens armés jusqu'aux dents. Des écrans sur les tables, certains fonctionnaient, d'autres grésillaient, et un en particulier avait un focus net sur une personne attachée. En vision nocturne. Un p'tit bout de femme. Nyx pointe l'écran en tapotant du doigt.
"Tu vois, elle ? C'est une voleuse. Impitoyable, sans pitié, cruelle et égoïste.
- Qu'est-ce qu'elle a fait...?
- Du mal, à énormément de gens. Je te connais assez pour savoir que tu n'aimes pas ça toi non plus.
- Vous avez pas l'air d'être des anges, non plus.
- Il faut se défendre.
- Ça change quoi avec elle ?
- Elle profite du chaos pour nous conduire à notre perte !"
J'fronce les sourcils.
"Qu'est-ce que tu veux.
- Des réponses. On doit savoir pour qui elle bosse et couper le robinet à la source. On pense que t'es le profil parfait.
- J'ai jamais questionné quelqu'un. Pas dans ce contexte.
- Tu trouveras un moyen. Tu peux... Aussi en profiter.
- En profiter ?
- Regarde bien..."
Il zoom et effectivement...
"D'accord.
- Une liasse t'attends quand tu auras fait le boulot.
- Comme si c'était fait.."
On va voir qui va profiter du Chaos ma grande. Un mec m'accompagne, et les néons s'allument progressivement sur nos tronches, dans une pénombre quand même bien menaçante. Puis on arrive devant une porte blindée. Il sort un badge, le passe sur une borne, une lumière rouge passe au vert sur le boitier et le verrou se retire du flanc massif du battant. Deux spots aveuglent notre captive et sans un mot qu'on m'enferme à l'intérieur. La gueule que j'ai. Des cheveux poussiéreux, des haillons barbares qui me servent de vêtements. J'empeste la sueur, mes mains sont calleuses et le bout des ongles noirci par le travail manuel. Ma voix grave, rauque et puissante résonne dans la pièce quand il faut l'interpeller.
"Apparemment tu veux pas ouvrir ta petite bouche."
En la détaillant rapidement, j'peux voir que c'est une hybride, avec des prothèses cybernétiques tout à fait étonnant. Mais aussi voir que c'est une jolie créature. Tu vas voir, espèce de lâche que j'vais te briser petit bout par petit bout. Plusieurs outils sont dispatchés sur une table. J'ai fait de la mécanique, mais ça m'a l'air bien trop complexe pour essayer de faire un truc bien propre. Mes pas lourds s'approchent d'elle alors que mon ombre l'enveloppe de toute ma masse, dans un ultime élan magnanime.
"Est-ce que tu vas parler ? Cette question ne sera posée qu'une seule fois. Ensuite, j'en aurais rien à cirer."
Oh oui, refuse, s’il te plaît. Elle sent bon, elle est jolie et on est enfermé.
Merci Terra.