Alecto avait rédigé, dessinant les lettres avec une attention méticuleuse, traçant les formes, s’arrêtant pour lever les yeux au ciel, la plume contre la joue, en réfléchissant aux tournures de phrase, se relisant souvent.
Son poignet était souple, ses gestes d’une grâce pure, et tout son être semblait être harmonieux lorsqu’elle agissait ainsi. Elle y prenait un grand plaisir, et cela la rendait invincible. Elle n’eut pas besoin de demander conseil à son Maître, et lorsqu’elle estima que cette missive était idéale, la jeune femme se releva, tira le parchemin, et lui en fit lecture en marchant de long en large.
A vrai dire… elle n’attendait pas l’assentiment du Démon, mais plutôt qu’il soit fier d’elle et qu’il savoure l’élégance des paragraphes, la finesse des idées soufflées comme le plus méticuleux des scribes que pouvait posséder le Porcin Tadéus. Quel imbécile, d’avoir préféré sa bouche à son verbe, alors qu’elle lui proposait de devenir sa biographe…
A cet instant, le document terminé, le sceau apposé avec aisance tant elle était habituée à la chose, et replié dans un carré de cuir fermement noué, Alecto se sentait piquée par l’excitation, un désir qui l’enflammait profondément et elle avait une furieuse envie de ce corps infernal… Ces sensations nouvelles, que le glyphe encourageait là où jadis elle se réfrénait, semblaient difficiles à contrôler. Elle le dévorait des yeux.
Mais il venait de souligner comme il la laissait maîtresse de la situation, et cette confiance qu’il mettait en elle et ses actes agissaient comme un contre-sort efficace. Le Petit Corbeau se faufila de nouveau dans la couverture chaude afin de dormir un peu… Mais Damascus à côté était un aimant brûlant. Ses pensées peinaient à s’évanouir pour lui permettre de trouver le sommeil, elle avait des visions érotiques en tête, qui la perturbaient, et d’un coup, elle tendit la main vers lui, n’y tenant plus.
Au dernier moment, son geste s’interrompit, sa main se crispa dans le vide, tremblant nerveusement, symbole de la lutte qui opérait en elle.
Ils se lèveraient tôt et elle avait à être en pleine possession de ses moyens le lendemain. Elle ne devait pas se laisser distraire par le Démon, elle était clairement dans un état fiévreux anormal… Inspirant, expirant, lentement, Alecto fit revenir son bras docilement, ferma les yeux, le front en sueur, et chercha à se calmer en murmurant.
« Je ne vous décevrai pas, cette fois. »
Ce faisant, elle dormit, de manière assez agitée, ses songes troublés par des rêves orgiaques de succubes et de démons, où un immense porc rôtissait sur une broche au centre de la scène de débauche chaotique.
L’aube l’éveilla avec la sensation d’être humide, ce qu’elle constata, se remémorant ses fantasmes nocturnes. Sans attendre cependant, l’air plus grave, elle avait déjà replié tout leur modeste campement lorsque Damascus fut prêt.
Alecto accorda un soin particulier à sa mine, tressant ses cheveux en nattes qui, habilement nouées et retombées, cachaient partiellement sa tonsure disgracieuse. Elle c’était vue, dans le reflet du ruisseau, et en aurait pleuré tant elle s’était trouvée laide… Aussi, le Petit Corbeau avait laissé sa tunique ouverte sur un décolleté probant, pour attirer le regard sur une partie de son corps qui, selon elle, n’était pas aussi repoussant que son visage.
Des perles de métal dans ses tresses et quelques bijoux attesteraient de sa condition d’émissaire d’un riche marchand. Ils chevauchèrent, elle suivant la monture des ténèbres jusqu’à arriver proche de la garnison en question… Là, elle talonna sa jument pour aller au-devant de Damascus, prenant immédiatement son rôle.
L’Esclave n’était pas à l’aise. Elle allait mentir.
Mais, contrairement à sa prestation devant Saïf, elle avait été consultée par le Démon, et avait prit part à la supercherie… Il avait fait une erreur en la prenant de cours sans l’avertir, mais cette fois, c’était radicalement différent. Et Alecto n’était plus la simple suivante de son Maître, elle était, elle, l’Officielle.
Elle s’approcha en tête, le dos bien droit, la stature d’une noblesse étonnante, que lui conférait sa grâce simple et naturelle. Improviser n’était pas son fort, aussi avait-elle eu le temps du voyage pour songer à ce qu’elle dirait, répétant son texte intérieurement, afin de camper au mieux son personnage. La crainte était présente, mais quelque chose en elle chassait le doute. Ils réussiraient, elle le savait. Elle avait cette foi. Cette foi qui la rendait intouchable.
« Salutations, l’ami. Loin de moi l’idée de déranger les exceptionnels héros qui protègent avec bravoure la glorieuse nation de Nexus, contre ces chiens d’Ashnard, mais … » Elle se redressa, sur son cheval. Des trois soldats misérablement en poste pour la garde de ce qui était une des entrées du camp militaire, l’une semblait avoir du mal à entendre, l’un avait un œil crevé disgracieux, et seulement le troisième avait l’air de pouvoir tenir le choc, s’ils avaient été des brigands.
« … Mais j’ai là une missive de la plus généreuse importance à porter à la connaissance de votre Général. »
Le troisième, alerte, les observait d’un œil méfiant, même si Alecto perçu quelques coups d’œil à son décolleté. Elle s’efforça de garder la tête haute, et leva légèrement l’étui léger où se trouvait le parchemin falsifié.
Puisqu’il demandait qui les envoyait et qui était cet homme en armure, l’Esclave eu le réflexe de répondre d’elle-même, alors qu’elle allait attendre que Damascus, son Maître, prenne la parole.
« Je suis l’émissaire de Tadéus Kervipar. Oh, et lui ? » Elle tourna les yeux vers le Démon, se retint de lui sourire en le trouvant exquis, et renchérit. « Mon garde du corps. Les routes ne sont pas sûres, vous en conviendrez. Mais… Je n’ai plus rien à craindre, désormais que me voici entourée de courageux soldats. »
L’homme n’avait pas l’air sensible à la flatterie, mais il considéra Damascus, alors qu’il avait clairement hoché la tête en entendant le nom du Marchand.
On leur permit l’accès et ce fut la femme qui fut missionnée pour les conduire jusqu’au Général. Cependant, par mesure de sécurité, elle les laissa à pieds, et devant une tente qui, d’allure, ne semblait pas être celle du plus haut gradé militaire présent. Alecto ne connaissait rien aux insignes martiaux, et ne reconnut pas les armes du Légat qui secondait le Général.
On les fit poireauter de longues minutes, au point que la jeune femme commença à craindre qu’on ne les ait pas cru. Tournant les yeux vers son Maître, elle fut surprise par la pluie qui tomba, drue, d’un seul coup comme la mousson. Tout le camp militaire se mit en branle, on courait mettre les quelques tonneaux ouverts à l’abri, les denrées, les armes sensibles… Et ce fut leur sauf-conduit.
Le pan rouge de la tente s’ouvrit et une main les invita à entrer prestement.
- Allons, allons, qu’on ne nous accuse pas d’avoir laissé dehors sous l’averse l’amie de Tadéus Kervipar.
Le Légat était un homme très grand, au point qu’Alecto dut lever haut la tête pour voir qui parlait ainsi. Son armure attestait des batailles endurées, et les sutures sur son nez, le cocard, les bandages à son épaule jusqu’à sa main, témoignaient qu’ils n’avaient pas été vainqueurs souvent.
Elle s’inclina immédiatement, portant la main au porte-document.
« Je saurai témoigner à mon bon ami Tadéus de votre compassion à mon égard. » Et elle se redressa sans attendre qu’on le lui autorise, ce qui était en soit, un effort colossal. Le Légat n’était cependant pas confiant de nature, il les observait de ses petits yeux bruns.
Il se présenta, rapidement, et tendit la main, pour vérifier le fameux document invoqué. Alecto tendit donc la missive au dénommé Octavius Optio, second du Général Tisza. Après une brève lecture, Optio se laissa lourdement choir dans un fauteuil, comme si un soulagement comme un harassement brutal venait de l’assommer.
- Par tous les dieux, c’est inespéré.
Le Petit Corbeau réprima l’envie de sourire victorieusement, et de lancer un regard complice au Démon.
- Le Général Tisza n’est pas visitable aujourd’hui. Vous avez dû faire une longue route, je vais vous assigner une tente, hm, rien d’aussi riche que ce que possède le Gr… hm, votre ami, mais lorsqu’il sera visible, le Dux prendra attache avec vous pour …
Il s’interrompit, semblant seulement maintenant remarquer la tunique dénouée d’Alecto, laissant peu de place à l’imagination quant à la forme et la taille de sa poitrine. Pourtant, immédiatement, il reprit, droit dans ses bottes.
- Pour un contrat en bonne et due forme.