Zorro n’eut pas longtemps à attendre. A vrai dire, à peine avait-il fini de demander une serviette à Sarah que la voix de la jeune femme s’éleva de la pièce d’à-côté – sa chambre s’il ne se trompait pas. L’instant d’après elle en sortait dans sa tenue décontractée encore humide qui moulait ses formes voluptueuses et son pantalon trop large qui lui tombait sur les fesses, dévoilant l’exquise chute de ses reins. Une chute où le regard du mercenaire s’égara momentanément, jusqu’à ce qu’il en prenne conscience et relève les yeux, à l’instant même où la rouquine se redressait et s’approchait de lui avec les serviettes.
Lorsque leurs regards se croisèrent, le voyageur béni intérieurement son organisme peu sujet au rougissement et s’empara des linges avec un merci un peu trop vif, avant de refermer la porte.
Il s’enveloppait dans la plus grande des deux serviettes, agréablement surpris par sa moelleuse douceur, autrement plus confortable que les chiffons rêches auquel il était habitué, quand la voix de la rouquine s’infiltra à travers le mince panneau de bois.
- Je vais bientôt aller me coucher ! Je te laisse les clefs de la boutique sur la table pour demain, j'ai quelques courses à faire le matin donc tu pourras ouvrir avant que j'arrive ! Je n'en aurais pas pour bien longtemps, s'il y a des clients, tu pourras toujours dire de repasser plus tard ou noter ce qu'ils veulent ! Je te fais confiance ! Passe une bonne nuit !- Pas de souci, bonne nuit à toi.Blottit dans la serviette, il attendit quelques instants que Sarah aille dans sa chambre. Il l’entendit descendre les marches vers le rez-de-chaussée, sans doute pour poser les clés sur la table comme elle venait de l’annoncer, puis remonter à l’étage et s’enfermer dans sa chambre. Il patienta encore un moment, histoire de s’assurer qu’elle n’en ressorte pas au mauvais moment, puis sortit de la salle de bain, la grande serviette nouée autour de sa taille. Rapidement, sans un bruit, il gagna sa chambre, referma la porte derrière lui. Il laissa tomber la serviette à ses pieds et se dirigea, nu, vers la fenêtre de la pièce qu’il ouvrit en grand pour profiter de l’air frais de la soirée.
Un souffle de vent venu du large s’engouffra dans la pièce, chargé de son odeur d’iode et d’aventure, ébouriffant les cheveux du mercenaire. Face à la fenêtre, les yeux fermés, ce dernier entama une série de gestes lents et contrôlés, maitrisant sa respiration. Chaque mouvement était exécuté avec fluidité, chaque inspiration gonflait ses poumons au maximum, chaque souffle les vidait complètement. Peu à peu, au fil de sa danse, il atteignit un état de calme presque parfait. Alors il s’immobilisa, les mains jointes à hauteur du nombril et, sans à-coup, bloqua sa respiration. Il resta ainsi sans bouger, bercé par le vent marin. Les secondes s’écoulèrent, se transformant en minutes. Son cœur battait lentement dans sa poitrine, à un rythme régulier. Boum. Boum. Boum … Finalement, il prit une profonde et lente respiration. Cligna des yeux. Reprit conscience de son environnement. L’esprit encore dans un état second de calme sérénité, il se dirigea comme dans un rêve vers son lit. Habituellement, il se contentait d’une méditation profonde de quelques heures qui apportait tous les bienfaits nécessaires à son corps. Cette fois, il se laissa plonger dans le sommeil, en habits d’Adam, un courant d’air caressant sa peau bronzée par une vie de grand air. Et les rêves emportèrent son esprit.
~~~~~~********¤¤¤☼¤¤¤*******~~~~~~
J’avance dans une forêt obscure, inconnue. La nuit est avancée, mais nulle lune n’est visible par-delà les rares trouées qui parsèment les arbres. Juste un ciel d’un noir d’encre, plus profond encore que le gouffre de l’enfer. Pourtant j’avance sans difficulté et tout me semble clair, comme si une lueur blafarde filtrait à travers les ténèbres de cette forêt. Pas un souffle de vent, pas un bruit ne se fait entendre dans les feuillages. Seulement, au loin, le hurlement sinistre de quelque bête crépusculaire. A ce son, sans savoir pourquoi, je hâte le pas, de plus en plus, jusqu’à courir comme un fou.
Derrière moi, la forêt flambe.
Changement de décor.
Je flotte maintenant dans le ciel nocturne. La lune, haute, éclaire un petit village, non loin de la mer. D’où je me trouve, j’aperçois une ombre encapuchonnée qui avance d’un pas sûr entre les maisons endormies, jusqu’à une bâtisse en retrait. Je la vois qui frappe à la porte. Celle-ci s’ouvre, éclairant la silhouette, qui semble enlever sa capuche. Pourtant, je ne distingue pas ses traits. Alors que je m’approche, l’ombre pénètre dans la maison et la porte se referme. La scène se brouille.
Je suis maintenant dans un espace sans ombre ni lumière. Je ne saurais dire si je flotte ou si je suis assis quelque part. Je ne saurais même dire si je possède un corps. Tout ce que je perçois, ce sont des sons. Des voix, l’une féminine, l’autre masculine. La voix féminine m’est étrangement familière, mais impossible de l’identifier. Des bruits écœurants de mâchouillements, puis brusquement, un éclat de voix, suivit du son sourd d’un coup de poing, d’un tissu qui se déchire et d’autres éclats de voix incompréhensibles.
Soudainement, c’est comme si un voile se levait de mes yeux. Le décor reste vague, flottant dans une sorte de brume faite de ténèbres profondes, de flammes rougeoyantes et de sang, mais une silhouette se distingue nettement devant moi. L’angoisse me saisit. La silhouette se retourne lentement et apparait devant moi cette face issue de mon passée. Longs membres recouverts d’une carapace chitineuse grisâtre. Grands yeux vitreux luisants d’une flamme malsaine, visage semblant tout droit sorti de l’esprit malade d’un savant fou. Odeur putride de sang, de bile et de pourriture. Le démon s’avance vers moi. S’immobilise. Impossible de bouger. Ses mandibules immondes s’agitent, comme si elle me parlait puis d’un coup elle se jette sur moi, ses griffes écartées révélant l’espace de bouche pleine de gros qui remplace sa paume. Un bruit d’explosion retentit à mes oreilles alors que la créature m’atteint à la gorge. Une voix semble murmurer.
- Le sang appelle le sang.~~~~~~********¤¤¤☼¤¤¤*******~~~~~~
Zorro se réveilla en sursaut, roulant par réflexe hors de son lit, en position de défense. Il lui avait semblé entendre un bruit étrange, comme un vague grincement. Encore en partie sous le choc de son rêve, il lui fallu quelques minutes pour se calmer. Assis sur le bord de son lit, il se passa les mains sur les yeux, laissant le vent nocturne le débarrasser de sa sueur et de son angoisse.
-Le sang appelle le sang …Finalement, apaisé, il se recoucha et se rendormit rapidement. Les cauchemars étaient fréquents pour lui. Au petit matin, il n’en garda aucun souvenir.
Ce fut la lumière des premiers rayons du soleil filtrant à travers ses paupières closes qui le tirèrent du sommeil. Il était encore tôt. Tant mieux. Il en profita pour prendre le temps de s’étirer. Préparant ses affaires, pantalon de lin noir et chemise grise de la même matière, ceinture de cuir et accessoires indispensables, il se dirigea sans bruit vers la salle de bain et entreprit une toilette rapide, poussant le vice jusqu’à tailler sa barbe. Après plusieurs jours de voyage, elle en avait grand besoin ! Et puis cela lui donnerait une allure plus présentable pour les prochains clients. Alors qu’il se rinçait le visage, son regard tomba sur un petit tas de parchemins qu’il n’avait pas vu la veille. Curieux, il s’en empara et les parcourut des yeux, ses sourcils se fronçant au fil de sa lecture. Tous, sans exception, étaient des affiches de têtes mises à prix, certaines pour une bouchée de pain, d’autre pour une somme autrement plus coquette.
Perplexe, le mercenaire reposa les feuillets où il les avait trouvés et descendit dans la cuisine pour prendre une collation avant d’aller ouvrir la boutique. Sur la table il trouva, comme prévu, les clés de l’atelier. Le porte-clé attaché, un petit chat usé par le temps, le fit sourire.
Son déjeuner avalé en vitesse, il quitta la maison, n’oubliant pas de refermer derrière lui, et se dirigea d’un pas alerte vers la boutique, saluant au passage Dwyl’, qui broutait non loin avec l’efficacité d’une tondeuse. Le mercenaire allait devoir veiller à faire faire de l’exercice à son compagnon, s’il ne voulait pas que celui devienne gros et gras à souhait.
Arrivé à la boutique, il batailla un moment avec les clés mais finit par réussir à ouvrir la porte. Il alla poser les clés derrière le comptoir, à l’abri et à un endroit où il était sûr de les retrouver, plutôt que dans ces escarcelles déjà bien remplies, et commença sa journée.
Manifestement, l’armurière avait déjà fait le ménage la veille avant de partir, aussi n’avait-il pas grand-chose à faire. Il rangea quelques papiers, redonna un rapide coup de balai, s’occupa des quelques clients de passages, pour la plupart forts surpris qu’il se charge d’eux, prit leur commande et occupa son début de matinée du mieux qu’il put.
Il était au fond de la boutique, en train de réarranger la position d’un pistolet après l’avoir examiné pour lui-même sous toutes les coutures pour commencer à se familiariser avec l’objet quand le carillon résonna et que la porte s’ouvrit, laissant apparaître Sarah et son doux parfum à contre-jour. Il termina ce qu’il était en train de faire après l’avoir salué et la rejoignit devant le comptoir.
- Comme tu vois la matinée fut plutôt tranquille. Deux trois clients sont passés pour prendre une commande, Madame Maxime te passe le bonjour et t’offre le petit panier de pain que j’ai posé juste là derrière et un client et venu te voir parce qu’il avait un problème avec le chien de son fusil. Je t’avouerais que je n’ai pas compris de quoi il parlait, mais je lui ai dit que l’experte arriverait bientôt. Il repassera d’ici une demi-heure de ce qu’il a dit.Tout en parlant, Zorro avait rassemblé les différentes commandes et il tendit les feuilles à la jeune femme. Ce n’est qu’alors, maintenant qu’elle n’était plus à contre-jour, qu’il remarqua son visage tuméfié. Il poussa un juron vulgaire tout droit venu de chez lui et posa les feuilles sur le comptoir.
- Bordel Sarah ça va ? Tu as affronté un ours ou bien ?Sans attendre de réponse, il lui prit délicatement le visage entre les mains et le tourna doucement vers la lumière, inspectant la lèvre fendue de sa patronne, marque irrégulière et rugueuse sur ses lèvres pulpeuses, ainsi que les bleus qui marbraient son visage et sa pommette. Un voile rougeâtre obscurcit son regard émeraude.
- Il faut régler ça rapidement. Attend, ne bouge pas.La lâchant d’une main et sans lui laisser le temps de protester, il sortit d’une de ses besaces un petit flacon sphérique. Lorsqu’il l’ouvrit, une odeur rafraîchissante de plantes embauma l’atmosphère. Il préleva un peu du baume régénérant et du bout des doigts, le plus délicatement possible, il en appliqua d’abord sur la pommette de la rouquine, puis ses autres bleus avant de finir par lui caresser doucement et longuement la lèvre inférieure, n’hésitant pas à en remettre plusieurs couches pour faciliter la guérison. Son œuvre achevée, il l’examina d’un œil critique, vérifia qu’il n’avait rien oublié, et lui sourit.
- Tu m’as dit que tu irais faire des courses ce matin … Tu aurais pu préciser qu’il s’agissait de courses de chars et que tu allais avoir un accident ! Ou alors la vie d’armurière est plus dangereuse que ce que je pensais.Avec un clin d’œil, il lui tendit le baume, refermé.
- Tu peux le garder, ce n’est pas compliqué d’en refaire. Bon sur ce, c’est quoi le programme patronne ?