Ses affaires sous les bras, la jeune femme fit son retour à la maison sans le moindre problème. Elle transportait ses affaires au milieu du métro bondé sans trop de difficultés, et même quand elle eut enfin à sortir des transports en commun pour entamer une courte marche jusqu’à ses appartements, ce ne fut guère avec grande difficultés, la demoiselle ayant bien gagné en force et en muscles depuis son arrivée à Seïkusu. Après tout, elle avait du prendre l’habitude d’enchaîner au moins une heure et demi de marche tout les jours, se devait de porter ses propres affaires plutôt que de les voir être apportée sur ses ordres, et surtout, elle vivait une vie bien plus active, oscillant entre les études et les sorties en ville quelquefois, non sans dénoter les quelques balades auxquelles elle s’adonnait en compagnie d’Emaneth pour simplement profiter de ce monde extérieur qu’elle savourait enfin. Aussi, même avec les bras chargés de ses courses, elle parvenait étrangement à s’en sortir, allait au milieux des rues à bon pas sans s’essouffler, pensant encore au bon repas qu’elle allait se préparer ce soir avant de se mettre à ses tardives révisions. De toutes façons, même si elle traînait un petit peu, il s’agissait du vendredi, elle n’avait pas cours le lendemain, aussi elle avait peut-être même le droit de s’arroger un petit temps confort et observer une émission bête à la télé avant d’aller se lover sous les couettes ! Ce serait un véritable bonheur, et elle en avait drôlement envie désormais, mais avant cela, elle devait finir son petit trajet.
Pendant tout ce temps là, Emaneth était restée particulièrement vigilante, laissant ainsi le soin à sa comparse de divaguer, de rêvasser, de s’abandonner à un peu de calme et de tranquillité. Il faut dire, la charge mentale de se savoir toujours cherchée par quelques déplorables pourceaux n’était guère simple pour une jeune femme, et malgré son audace et son orgueil, Enothis ne manquait pas à la règle. Elle avait besoin de souffler, de respirer un peu, et la présence de la Djinn était la seule chose qui pouvait lui permettre ce genre de détente, de temps de paix. Aussi, lorsque la conscience de l’esprit du désert restait active pour pouvoir garder un œil complet sur les environs, celle-ci mettait un point d’honneur à ne pas oublier le moindre détail, buisson un peu suspect, poubelle un peu mal placée, forme de vie X ou Y qui traversait la rue plus loin et tentait de rejoindre l’allée la plus proche en cachant dans ses bras on ne saura quel paquet. Il en revenait de son devoir et de son honneur d’être la vigilante entité qui gardait un œil bienveillant sur la demoiselle à la peau de bronze qui lui servait d’hôte. Aussi, rien n’échappait à sa conscience, et elle en gardait une mémoire particulièrement vive, comme si l’ensemble s’inscrivait en elle, flots de souvenirs tellement précis qu’elle pourrait réciter l’ensemble de son observation avec le moindre détail. Enfin, tant que la dépense énergétique n’était pas trop importante. Elle restait très dépendante de certains facteurs, et dès que ses batteries étaient vides, elle devait puiser dans l’énergie de sa comparse… Ce qui leur provoquait parfois de grandes crises d’hypersomnie.
En tout cas, ses observations de ce soir n’étaient pas trop pesantes pour la simple raison que les vendredis étaient de ces jours où les travailleurs et autres riverains préféraient bien souvent rejoindre le coeur commercial et actif de Seïkusu plutôt que de filer trouver un repos bien mérité à leurs pénates. Aussi, il n’y avait guère de monde dans les rues, et quand Enothis parvint aux orées de son immeuble, ce fut sans le moindre problème, et sans même que la Djinn ne remarque une seule fois la présence douteuse qui les avait amenées à se trouver si suspicieuses et alertes. Comme quoi, peut-être s’agissait-il tout simplement d’une erreur de leur part, et qu’elles avaient juste eut le malheur de faire un excès de zèle au vu de leur position ? Cela semblait plus logique qu’autre chose, et tandis qu’Emaneth lui expliquait cet état de fait, l’égyptienne rentra dans son logis, monta les escaliers jusqu’au troisième étage, puis atteint enfin son palier, où elle ouvrit la porte et se faufila enfin dans son logis, heureuse d’être enfin dans ce lieu qu’elle jugeait sûr et bien caché. Elle n’eut plus qu’à ranger ses courses, déposer ses affaires, et commencer à faire sa petite vie de chaque soir, commençant tout d’abord par allumer la télé afin de s’offrir un fond sonore décent, puis commençant à faire le minimum de nettoyage de ce qu’elle avait put laisser traîner au matin, avant de finalement entamer les diverses préparations, celle du repas et de ses révisions. Aussi, elle eut à peine finit son train-train habituel qu’Emaneth s’exprima avec un intérêt taquin :
« Tu m’y fais penser, mais depuis le temps que nous sommes ici, combien de jeunes hommes as-tu croisés qui en avait après tes jolies petites fesses ? Il paraît que les étrangères sont bien côtées au Japon mais tout de même, quel tableau de chasse !
- OH ! Je ! Bon sang Emaneth, ne sors pas des idioties pareilles !
- Allons, regarde, rien que celui que tu as bousculée dans le couloir plus tôt, il devait être ravi de chuter pour voir ces jolies jambes que tu as.
- Oh arrêtes ! On dirait une vieille perverse qui cherche à marier sa nièce, c’est terrible ! Je n’en ai rien à faire. Puis je sais même pas qui c’était ce petit gars que j’ai bousculé. Il avait pas l’air d’être nippon, mais alors de là à savoir si c’est un étudiant, un lycéen, ou je ne sais quoi encore, je ne pourrais pas dire. J’ai autre chose à faire franchement ! »
Les taquineries allèrent bon train. Il était courant que les deux échangent simplement comme elles le faisaient là, profitant de pouvoir passer du temps entre elles pour enfin enchaînés les échanges et les blagues, les deux ayant réellement créées un lien depuis l’époque où elles avaient été liées, et se trouvant parfaitement heureuse de cette forme de dialogue un peu absurde qu’elles entretenaient. Une espèce de relation entre une très grande sœur et une très jeune sœur, qui malgré les siècles d’existences qui les séparaient parvenaient à se comprendre et à se parler à coeur ouvert, à défaut de pouvoir s’offrir une étreinte sincère, ou quelques contacts rassurants. Elles se permirent donc de parler simplement, même si d’un point de vue extérieur la jeune femme semblerait monologuer, et l’une et l’autre s’occupèrent des différentes tâches de la soirée d’Enothis à tour de rôle. L’égyptienne coupa légumes et viande bon marché, puis Emaneth fut celle qui s’occupa de la cuisson avec ses dons, tandis que la demoiselle en possession du corps regardait la poêle se déplacer d’elle-même pour faire sauter la préparation. A la télévision passait un sentaï dont elle n’avait cure, aussi avait-elle sortie son carnet de vocabulaire et tentait de réviser les différents mots qu’elle se devait de retenir pour la journée, puis quand elle put s’attaquer au repas, elle vint remplir son ventre vide depuis bien trop longtemps avec une avidité vorace. Bon dieu qu’elle avait faim le soir, c’était difficile de consommer assez de nutriments pour deux entités. En parlant de cela :
« Tiens, d’ailleurs, désolé de te poser la question Emaneth, mais quand tu manges avec mon corps, ça te nourrit ou ça me nourrit ? Enfin oui je sais que la question est un peu idiote, je sais comment ça marche mais … En gros, si tu manges ces petites confiseries que je t’ai acheté en utilisant mon corps pour le faire, est-ce que ça te nourrit mieux que quand tu puises dans mes réserves ?
- Malheureusement non, tout au plus je profite du goût, mais dans le fond ça reste ton corps, c’est lui qui est entretenu.
- Fais chier. J’te jure, ça serait tellement plus simple que nous préparions un peu plus de bouffe et que tu puisses te refaire tes batteries avec. Parce que même là … bwwaaaaah… Je sens déjà la fatigue me tomber sur le coin de la figure, c’est chaud.
- On ne peux pas trop faire autrement. A part dans certains cadres d’époques, de lieux et de dispositions stellaires, je ne peux guère avoir ma propre énergie tant que je suis dans ton corps. Et avouons le nous, je ne pourrait guère partir tant que tu seras vivante.
- … Dans le fond ça ne me gêne pas, de vivre toujours avec toi… Peut-être plus quand j’aurais un copain, mais ça c’est pas vu, je reste trop bizarre. Et non ne me ressort pas ce que tu as dis tout à l’heure, je veux pas l’entendre ! »
Elle était exténuée, mais elle avait encore un peu de travail à faire. Observant l’horloge, qui affichait déjà un bon vingt-deux heure, elle s’affaira à étudier encore un petit moment, les yeux lentement éteints par le besoin de sommeil. Pendant ce temps là, la vaisselle se lavait et se rangeait d’elle-même sous l’effet des dons d’Emaneth, tant et si bien que plus d’une heure plus tard, tout les lieux étaient propre et rangés, laissant la petite demoiselle finir son dernier bout de révision avant de sentir qu’elle était à bout de force, et de ne pas demander son reste. Elle se redressa, alla doucement à la baie vitrée pour observer à l’extérieur, toute ensommeillée, puis tira lentement les rideaux et abaissa le store mécanique un minimum, jugeant cela bien suffisant une fois à mi-hauteur pour que la lumières n’envahisse pas la pièce de bon matin. Puis elle se traîna dans sa chambre mollement, se désapa de la plus hâtive des manières, et se roula dans ses couettes afin de passer une bonne nuit. Elle bossera demain, et de toute façons, elle comme Emaneth étaient trop à sec d’énergie pour faire quoi que ce soit de plus aujourd’hui.
En tout cas, elle ne pouvaient plus rien faire pour ce soir, sans se douter du proche danger.