Attablée avec Cyanure et Maïa, la demi-déesse observait les environs avec une moue ennuyée. Les deux succubes à ses côtés discutaient de l'évolution des mœurs des mortels. Enfin, discutaient... Disons que c'était une vive discussion avec la fille qui s'opposait à la mère. La fille qui maintenait qu'il fallait être un minimum pudique et décent pour draguer, et non pas s'afficher ouvertement nue. Que cette dernière méthode était vulgaire, aux yeux des mortels. Et la mère soutenait l'inverse. Mais c'est parce qu'elle n'avait pas grandi dans ce monde, Maïa, elle n'y venait que pour se sustenter, avant d'y être exilée. Elle ne comprenait pas la façon de fonctionner des humains. Cyanure, en revanche, était assez jeune lors de l'exil pour s'approprier la façon de faire des mortels. Et elle était en constante opposition avec ses trois aînées, sur ce sujet.
La sorcière ricana, alors que Cyanure rappelait à Maïa que cette dernière avait passé la nuit en cellule il y avait de cela quelques jours, justement à cause de ça. Exhibitionnisme, avait clamé le policier, avant de l'embarquer. Il faut dire que la succube n'y avait pas été avec le dos de la cuillère. Soutenant qu'elle pouvait chasser seule, elle s'était présentée à la bibliothèque de la faculté de la ville uniquement vêtue d'un pagne ornemental et d'une parure de bijoux sur la poitrine. Oh, bien sûr, elle avait fait de l'effet aux nombreux jeunes présents. Mais elle était aussi tombée sur un adulte en pleine possession de ses moyens, inflexibles, qui faisait passer son devoir avant son plaisir. Et ce, malgré les insinuations envoyées par la magie de la démone.
Cressida détourna la tête pour ne pas éclater de rire, et ainsi s'attirer un regard réprobateur et vexé de la part de Maïa. Elle donna même un petit coup de pied dans la jambe de Cyanure pour l'empêcher de poursuivre sur sa lancée.
Toute envie de sourire la déserta cependant en captant l'aura de deux hommes qui s'approchaient de leur table. Ils... Eh bien, leur aura empestait, tout simplement. Luxure, vice, violence... Ils n'étaient pas novices dans le harcèlement de femmes, et n'hésitaient pas à outrepasser leurs droits, considérant qu'un "non" voulait forcément dire "oui, mais je veux vous faire mariner".
« Hey, salut beautés. Vous êtes toutes seules, dites-moi...
— Ça tombe bien, on cherchait de la compagnie. Et vous êtes... Wahou ! Super bonnes ! »
D'un reniflement méprisant, Cressida tourna la tête. Si Cyanure semblait comme elle, dégoûtée par ces deux hommes, Maïa avait une lueur calculatrice au fond du regard. Elle n'écouta pas les répliques, pendant un court instant, inspirant profondément pour ne pas foudroyer sur place les importuns. Cyanure sembla refréner sa mère et envoyer bouler calmement les deux hommes, mais Cressida n'écouta pas. Elle serra les doigts autour de sa fourchette, envisageant avec sérieux l'envie de la planter quelque part dans le corps des intrus. La main ? Non, ça ne faisait pas assez mal. Le sexe ? Trop évident. Les yeux, peut-être ? Ou la langue ?
« Allez, z'en voulez, faites pas genre ! Les nanas se fringues pas comme ça pour sortir les poubelles.
— Z'etes trois et nous deux. C'est nikel pour un p'tit karaoké, en plus on a des micros custom rien que pour vous. »
Finalement, peut-être que le sexe serait une bonne idée. C'est sûr, ils seraient customisés leurs micros là.
« Pardon, j'arrive en retard. Je sais qu'on avait dit 19h, mais les bouchons...
Ah ? Ce sont des amis à vous ? Salut, je m'appelle Solis. »
La sorcière fut aussi surprise que les deux hommes, lorsqu'un troisième les interrompit. Elle jaugea le nouveau venu, fronçant les sourcils, alors que Cyanure sautait sur l'occasion de se débarrasser des deux relous sans qu'il n'y ait de meurtre ou de mutilation, attrapant la main du dernier arrivé avec un sourire.
« Euh... Ouais, salut ! Vous êtes ensemble ? Elles ont rien dit.
— Oui, elles sont très timides de nature. On a beau être à Seikusu, même si certaines femmes s'habillent de façon légères elles ne sont pas toutes des femmes faciles ou des filles de joie. »
Cyanure acquiesça vivement, sans dire un mot, tandis que Cressida prenait un air offusqué, qui devait sans doute coller à la situation, si on imaginait qu'elle s'offusquait d'être qualifiée de fille de joie. En réalité, elle se sentait navrée que dès qu'une femme était habillée de façon un peu moulante, qu'elle portait une jupe plus courte qu'au-dessus des genoux, on disait qu'elle s'habillait légèrement. Et elle ne pensait pas du tout s'être habillée légèrement, en plus. D'accord, son short était à peine jusqu'à mi-cuisse. D'accord, elle portait un crop-top en dentelle qui s'arrêtait au-dessus de son nombril. Mais on ne voyait pas non plus ses seins, couvert par un haut de bikini. Et puis merde, elle s'habillait bien comme elle le voulait, non ?
« Pff, leurs trous de ses putes ressemblent sûrement à rien à force de ce faire niquer dans des ruelles. »
Elle ne se contrôla pas, à cette dernière réplique des intrus qui s'éloignaient. D'un geste du doigt, elle fit en sorte qu'ils se prennent la porte vitrée du restaurant de plein fouet. Elle fulminait, et seule Cyanure parvenait à la calmer, d'une main apaisante posée sur sa cuisse.
La demi-déesse décida alors de regarder le dernier arrivé. Comment avait-il dit qu'il s'appelait ? Solis ? Mh.
Elle n'eut rien le temps de se décider à faire qu'il faisait signe à la serveuse et retournait à sa place. Cressida l'observa encore un instant, puis se tourna vers les deux succubes qui discutaient de son intervention.
« Eh bien, je le trouve... Tout à fait charmant, ce jeune homme. J'irais bien le remercier à ma manière, souriait Maïa, la plus âgée de la tablée.
— Mère ! Il nous a aidé, et vous voulez lui voler son âme ? Vous êtes irrécupérable... Déplora Cyanure. »
Cressida secoua la tête. La serveuse ramena un plat de frites, sous le regard reconnaissant des succubes, et la sorcière plongea dedans. Elle avait encore faim, finalement.
« Personne ne volera l'âme de personne. Je crois, d'ailleurs, que tu devrais ramener ta mère à la maison, Cyanure. Je vais le remercier personnellement. Et je ne veux aucun incident ! »
Maïa, qui allait ouvrir la bouche, soupira. Mais comme le sortilège lancé par la demi-déesse pour masquer les attributs démoniaque était très utile, elle ne contesta pas. Cyanure souffla, rassurée. Et elle se leva, après avoir avalé la moitié des frites, à l'instar de la sorcière. Celle-ci retint Maïa un instant, soufflant quelques mots à propos des sinistres individus venus les ennuyer, et la succube paraissait rayonner, impatiente de rentrer.
Terminant son coca, déposant quelques billets sur la table, la blonde s'approcha alors de leur "sauveur".
« Bonjour. Solis, c'est cela ? Nous n'avons pas eu le temps de vous remercier, avec mes amies. Elles ont dû rentrer, malheureusement, elles ne se sentaient pas bien. Mais je tenais à vous exprimer notre reconnaissance. Je peux vous payer un café, pour terminer votre repas ? Oh, et je m'appelle Cressida. »