Ernest est surpris, par le geste, par l’audace de Célestine. Il a tout prévu, la petite visite, le rafraichissement, puis la séance dans ses quartiers... un programme pas tout à fait minuté quand même, mais qui répond aux contraintes contextuelles de cette opération à haut risque. Et puis, d’une certaine manière, respecter son programme, c’est se prouver qu’il contrôle toujours, que l’inversion temporaire des rôles n’est qu’une fantaisie, une expérience passagère.
Plutôt impulsif, un éclair fuse dans ses prunelles rouges. Il a un geste de recul et est sur le point de repousser la jeune femme de manière assez sèche. Mouvement vers l’arrière des oreilles, battement de queue, il a certes des expressions faciales qui peuvent être difficile à déchiffrer au début, son corps demeure néanmoins très expressif. Ainsi Célestine le voit-elle, la seconde d’après, hésiter. Il est en fait percuté par une question. Est-elle folle de lui proposer ça, ici ? Ou encore plus intrépide que lui ? Il baisse les yeux, examine le sol. L’aspirateur est déjà passé dans cette pièce. Mais pas moins de trois portes mènent au grand salon, dont une à double battant ouvrant sur un des principaux couloirs de la demeure. Mais une grande demeure, deux ailes, trois étages, où évoluent Rose, Henry et Julia, la cuisinière. Jouable mais dingue ! Qu’a exactement en tête Célestine ? Elle ne lui a pas tout expliqué. Comment mesurer le danger ? Du coup, est-ce vraiment jouable ? Peut-il lui laisser assumer les risques ? Ernest secoue légèrement la tête. Il a beau être vif d’esprit, le voilà submergé de questions, et surtout coincé entre ses envies, son égo, des choses très contradictoires. Finalement, son esprit retors trouve la solution. La réflexion a duré deux secondes, montre en main.
« Ho, à boire, à peu près ce que tu veux. Coca, soda, bière, café. Même chez les gros bourges, certains trucs peuvent ne pas changer. »
Ton détaché, attitude redevenue nonchalante, comme si rien ne s’était passé. Mais soudain, il attrape le col de la jeune femme, lui fait baisser la tête en tirant légèrement dessus, puis murmure à son oreille d’une voix presque perfide :
« On va jouer à un petit jeu, Célestine. Je t’es expliqué les risques. Si on se fait choper, je suis grave dans la merde. Mais, pour autant, c’est toi-même qui m’a conseillé de savoir lâcher les commandes. Alors ok, je te file les commandes, mais pas sans ce petit jeu bonus. Voilà la règle, c’est très simple. Si on se fait choper dans mes quartiers, là où j’ai prévu la séance, je m’engage à te protéger. Tu te feras virer comme une malpropre et tu ne devras plus jamais t’approcher de cet hôtel, mais c’es tout, en tout cas, j’essaierai que ça soit tout. Par contre, si on se fait choper ailleurs, je jure que je vais te pourrir, je raconterai des bobards, je dirai avoir été manipulé, on portera plainte, tu seras livré en pâture aux médiats et à nos avocats... bref, un cauchemar. Te voilà prévenu, patronne. Ton rat est à tes ordres. »
Ce n’est pas vraiment une déclaration de soumis, mais plutôt de gros salopard. Ernest n’est ni plus ni moins fidèle à sa réputation. C’est également une grosse mise à l’épreuve. Célestine a-t-elle des couilles ? Enfin, façon de parler.