DOMAINE ANTONIUS
Le domaine Antonius est une ancienne forteresse médiévale en partie réaménagée en manoir par le propriétaire actuel : le vicomte Peter Wilhelm Antonius. Le domaine Antonius couvre plusieurs dizaines d'hectares de terres qui sont réparties entre le bastion principal, avec ses dépendances ainsi que son haut et épais mur de pierres, le petit village niché à son pied entouré d'une simple palissade de troncs taillés, et les plantations d'arbres aux fleurs bleue phosphorescentes qui s'alignent ensuite à perte de vue à travers les vallons du reste du domaine. Un petit lac vient tremper les pieds du bastion érigés sur un gros promontoire rocheux surplombant aux deux tiers les flots. La rivière, qui alimente le lac, se jette au préalable dans les douve qui isolent le rocher comme une presque-île. Cela n'est pas naturel et l'on peut voir de nombreuses traces qu'à l'origine le promontoire faisait partie du reste du village. Cependant, à coup de pics et de pelles, il a été séparé avec le temps du reste. Deux accostages sont d'ailleurs construits par-dessus les flots. L'un est directement rattaché au village et sert au commerce fluvial. L'autre, beaucoup plus petit, sert de jetée à un petit esquif qui rappelle que, pendant un temps, le vicomte a beaucoup voyagé par les eaux et en a gardé l'habitude de parfois sortir se divertir en allant voguer sur les flots du lac en solitaire.
Le village au pied du bastion est occupé par les gardes et leurs familles, les serviteurs de la maisonnée qui sont des personnes libres ainsi que quelques commerces et auberges proposant leurs services aux visiteurs de passage. Certains esclaves influents ou ayant gagné la confiance du vicomte ont également un petit quartier qui leur est dédié. Même si les habitations ne semblent pas différentes des autres, ont peut constater que les portes ne se verrouillent que de l'extérieur et le quartier est patrouillé avec une fréquence triple de celle du reste du village par la garde civile. Cela demeure néanmoins plus confortable que les quartiers des esclaves qui sont sis dans de petites cahutes de pierre dure et en partie enfouie dans la roche du promontoire afin d'éviter que les esclaves ne tentent de creuser pour s'évader.
Ceux-ci se trouvent dans les dépendances avec la garnison qui s’entraîne, vit et les surveille vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis leurs baraquement droit en face. Le vicomte Antonius est connu pour ses exigences au service très draconienne et nombreux sont les soldats qui ont été châtiés sur la même place que les esclaves pour des abandons de poste, s'être endormis pendant une ronde, ou encore pour maltraitance ou méchanceté gratuite.
Car, dans le domaine Antonius, on ne plaisante pas avec la main-d’œuvre. Celle-ci est convenablement traitée, pour des esclaves. Disposant de jours de repos, de contrôles médicaux, d'habits dédiés, et même d'une infirmerie et d'une école basique pour les plus petits. Car, hélas, comme le dit le proverbe, "on ne choisit pas ses parents". Et quand des enfants d'esclaves naissent sur le domaine Antonius, ils deviennent eux-même propriété du vicomte. Cependant, une loi mise en place par la petite-fille de ce dernier, Alaïs Victoria Antonius, permet depuis quelques années aux parents des enfants nés esclaves de demander à rendre des services supplémentaires, qui sont alors porté à leur crédit. Ledit crédit peut ensuite permettre aux parents de racheter la liberté de leur enfants après sa majorité, car avant, le fait d'être la propriété du vicomte force celui-ci à les considérer comme sous sa protection, à les nourrir et à leur fournir un toit et des vêtements.
Tout n'est pas rose cependant pour les esclaves des Antonius. Le travail à la plantation est long, répétitif et harassant. Les conditions climatique, quoique tempérées, peuvent être très dure sous l'intense soleil d'été et les pluies tempétueuses de novembre provoquent souvent des glissements de terrains, qui sont le lot de dangers, avec les épidémie et parfois le rationnement de la nourriture, de cette main-d’œuvre bon marché. Cependant, conscient que les esclaves sont aussi des êtres vivants, le vicomte a instaurés des jours de repos qui sont aussi des jours de fête, permettant à ces pauvres gens de parfois, voir un peu de lumière au bout d'un tunnel bien obscur. Le plus possible, le vicomte souhaite que les choses se passent calmement, mais il n'est pas homme a se laisser marcher sur les pieds cependant. Il a droit de vie et de mort, de haute et de basse justice, sur ses terres et parfois, n'hésite pas à le rappeler à ceux qui viennent à l'oublier.
En seigneur très croyant, le propriétaire a fait construire une grande basilique gothique directement incluse dans le bastion et dont la sacristie est reliée aux appartements du maître de maison par un petit couloir discret tandis que la grande porte donne dans la coure de l'édifice fortifié. La cour elle-même est séparée entre les jardins du seigneur, qui sont surélevés par un mur d'enceinte intérieur, de la cour des dépendances. La seule occasion où les esclaves peuvent quitter leur cour, c'est en passant la grande porte du bastion pour aller travailler aux champs, ou les jours saints quand le culte est donné. Chose rare pour l'époque, le vicomte et sa maisonnée assistent à la messe en présence de tout le personnel, et des esclaves qui y assistent debout, depuis le fond de la basilique.
Les terres dans Antonius sont très vallonnées, souvent avec une pente douce menant au lac qui trône bien plus au centre du domaine que le bastion de la famille régnante. La culture des fleurs de Mana, est ce qui fait leur fortune et la fortune de ces terres. Les exportations sont florissantes et la demande n'est presque jamais en baisse. C'est pourquoi, malgré un titre peu ronflant et un domaine qui n'est même pas si grand par rapport à ses immenses voisins, le domaine Antonius est pourtant un passage obligé, une charnière commerciale incontournable de sa région et son propriétaire, le seigneur le plus riche à des centaines de lieues à la ronde.
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La journée avait été calme pour le capitaine Wolf, une bonne journée au champs, pas de bagarre ou d'incident à signaler. Il espérait encore avoir une simple journée paisable jusqu'au moment du recomptage des esclaves au moment de les rentrer dans leur baraquement.
- Capitaine ! Il en manque un ! S'exclama alors le sergent d'une voix alarmée.
Fronçant les sourcils, le capitaine s'avança, les écailles de métal de son armure crissant les unes sur les autres.
- Vous êtes sûr sergent ? Vous les avez recomptés ?
- Oui mon capitaine ! Nous avons même identifié le fuyard !
- Lequel est-ce ?
- Le nouveau ! Le terranide-félin qu'on emploie pour aller cueillir les fleurs au sommets des arbres ! Celui qui s'appellerait "Mystère" !
- Mystère ou Mistigri, je ne veux pas le savoir ! Sonnez l'alerte, envoyez les patrouilles à cheval avec les chiens, retrouvez-le avant que le vicomte ait nos têtes !
Peu de temps après, de nombreux cavaliers en armure de cuir légère partaient au galop, tenant les longues laisses des chiens de chasse lancés à la poursuite de l'esclave en fuite. Le soir tombait tout juste mais, à moins que le terranide n'ait encore la force de courir comme un dératé après une journée à escalader des arbres, il y avait peu de chance qu'il sorte des limites du domaine. Lui-même sortit à cheval pour se rendre à un poste de garde muni d'une tour permettant d'inspecter les alentours.
Il ne lui fallut pas plus d'une paire d'heures pour que le cor de chasse signifiant que le fugitif avait été repéré retentisse au loin.
Le capitaine redescendit après avoir localisé l'origine du coup de corne et bondit à cheval pour s'y rendre au triple galop, se repérant aux aboiements des chiens et au bruit caractéristique de cuivre du cor.
Quand il parvint sur place, deux hommes en armure maitrisaient à grande peine un petit terranide félin tandis qu'une demi-douzaine de chiens tournaient autour de la mêlée en poussant des aboiement, réclament impatiemment qu'on leur donne le signal de l'attaque.
- Comment s'est-il sauvé ? Demanda le capitaine en sautant à terre pour les aider.
Un des éclaireurs lui répondit en décrivant ce qu'il avait compris de la méthode utilisée pour tenter de s'évader. Mais dans les grandes lignes ça reposait sur un manque d'attention.
Le vicomte ne va pas aimer ça... Songea le capitaine en aidant à passer les menottes au petit terranide.
Vu qu'il se débattait avec vigueur il fut décidé de lui menotter également les chevilles. Et comme il se débattait encore, l'un des gardes le gratifia même du revers du droit en plein abdomen pour le calmer.
- ARTHUR ! ON NE FRAPPE PAS LES ESCLAVES SANS UNE BONNE RAISON ! S'exclama le capitaine d'un ton courroucé.
- Il a tenté de me mordre ! Se défendit l'éclaireur, ce dont le capitaine douta fortement vu la nature de l'homme en question.
- Remballez-le, on le ramène au bastion, le vicomte voudra un rapport complet... Termina l'homme en enfourchant à nouveau son cheval.
| Le vicomte Peter Wilhelm Antonius avait toujours été un homme très fin physiquement. Avec l'âge il s'était en plus asséché, comme un vieux fruit ridé et dont la peau se recouvrait petit à petit de taches plus sombres au niveau des mains. Les cheveux courts, gris et le visage toujours parfaitement rasé, il n'était pas compliqué de deviner que l'homme avait été militaire et que cela avait laissé des habitudes. Malgré sa taille moyenne, il semblait souvent plus grand qu'il ne l'était en réalité. Cela, il le devait à un aplomb sans faille et une rhétorique cinglante qui contribuaient à donner au vicomte une aura, un charisme évident que seuls obtiennent ceux qui ont vu beaucoup de choses dans leur vie, apprenant la sagesse et la patience par des voies peu enviables.
Ses yeux bruns étaient d'acier pour ceux qu'il jugeait, et l'on murmurait que même sa défunte épouse n'avait pas eu droit à un seul regard tendre de toute sa vie. Et pour cause, ce n'était un secret pour personne que le vicomte ne l'avais jamais aimée et elle non plus. Ils s'étaient mariés par obligation parentale, avaient eu un fils ensemble et elle était morte deux ans plus tard dans un accident de cheval, avec un homme que le vicomte soupçonnait fortement d'être l'amant de celle-ci. Il n'y avait rien de plus à en dire. Les seuls pour qui ce regard ne s'était jamais adoucis comptaient au nombre de deux : Son fils, Carl Terence, et sa petite-fille, Alaïs Victoria.
Souvent seul depuis la mort de son fils sur Terre, le vicompte attendais toujours avec impatience le retour de sa petite-fille à chacune de ses vacances scolaires. Et justement elle devait arriver prochainement d'après ses estimations.
Aussi quand son capitaine arriva en traînant derrière lui l'un de ses esclaves maintenus par deux gardes, il se contenta d'hausser un sourcil interrogateur, continuant à fumer sa pipe tout en jouant de la main gauche sur son piano.
Comme d'habitude, le vicomte ne comptait pas entamer la conversation. Son geste d'interrogation signifiait qu'il attendait une explication.
- Monseigneur, nous vous ramenons l'esclave en fuite... Entama le capitaine un peu mal à l'aise.
- Quiconque ayant des yeux pour voir et des oreilles pour entendre le son des cors d'alerte s'en serait douté... Commenta le vicomte en le regardant. Apprenez-moi quelque-chose que je ne sais pas capitaine, sinon cette conversation n'a pas d'intérêt...
Le capitaine entrepris alors d’expliquer la tentative d'évasion en question. Ce qui sembla retenir le plus l'attention du vicomte, donc le moment où il cessa de pianoter sur son instrument, fut l'aveux couvert qu'un garde ne l'avait pas vu se faufiler.
- Capitaine, vous savez comme moi que vos hommes ont des devoirs, que je les paies pour cela et que ce genre d'erreur doit être corrigée...
Il se tourna vers l’officier et, tirant sa pipe de sa bouche en tapota le fourneau contre la cuirasse du capitaine.
- Trouvez le responsable, punissez-le comme il se doit, continua-t-il d'un ton calme, comme s'il commandait à manger. Je refuse de payer des tire-au-flanc.
- Bien monsieur, et pour lui ? Demanda le capitaine en désignant le terranide.
Le vicomte se tourna vers le terranide et tira sur sa pipe d'un air songeur.
- Tu as tenté de t'évader... Dit le vieux seigneur en s'adressant au mystérieux félidé. Sais-tu que j'ai payé pour obtenir ta personne ? Si tu t'enfuis, c'est comme si tu me volais l'argent que j'ai investi en toi. Qu'as-tu à dire pour ta défense ? Demanda-t-il.
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